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Le système scolaire québécois à l’école de la citoyenneté mondiale

Par Marie Brodeur Gélinas, chargée de programme pour les JQSI à l’AQOCI.

Au Québec, non seulement le système maintient-il les inégalités socioéconomiques des élèves qui le fréquentent, il contribue même à les aggraver.

L’école québécoise permet-elle de construire une citoyenneté mondiale chez ses élèves ? Il peut sembler hors propos que des organismes de solidarité et de coopération internationales (OCI) se posent la question, et pourtant, rien n’est plus cohérent dans une démarche concertée pour la construction d’un monde juste et équitable.

L’école est dans le monde et le monde est dans la classe. Une évidence nous semble-t-il, et pourtant... Les jeunes Québécois descendent de populations qui ont colonisé le territoire, ou de peuples colonisés, ou des deux. On leur raconte une certaine histoire de ce territoire, et aussi une certaine histoire du monde. On leur parle d’actualité, et l’actualité leur impose chaque jour des images d’un monde aux rapports de pouvoir issus (entre autres systèmes d’oppression) de la colonisation et d’un néolibéralisme imbriqué dans cette logique d’exploitation, le tout doublé d’un occidentalocentrisme qui justifie et essentialise ensuite ces inégalités.

Tous les organismes québécois de solidarité et de coopération internationale interpellent les élèves ou leurs parents à quelque niveau : collectes des dons, propositions des activités, communication des messages d’une campagne et invitations à poser des gestes politiques. Le succès de ces invitations étant seulement proportionnel au niveau d’urgence humanitaire dont il est question et au sentiment de proximité géographique ou culturelle, on voit bien comment la culture coloniale dans laquelle nous baignons influence négativement la participation de la population aux appels à la solidarité internationale.

L’école n’évolue pas à l’extérieur de cette culture ; dans une certaine mesure, elle en est issue et la reconduit. Si l’éducation recèle un fort potentiel de transformation sociale, et qu’elle en sème fort heureusement bien des graines, le système scolaire maintient aussi — de par son fonctionnement, certaines approches et certains contenus — les inégalités socioéconomiques sur les plans local et international. Il s’agit d’un obstacle de taille à l’éducation à la citoyenneté mondiale, que le réseau québécois de la solidarité internationale ne peut ignorer.

En 2018, les organismes impliqués dans l’organisation des Journées québécoises de la solidarité internationale ont invité chercheurs, militants et autres practiciens de l’éducation à partager leurs réflexions afin de répondre à la question suivante : « Quel rôle joue l’éducation dans la construction d’une citoyenneté mondiale ? » Diverses pistes offertes par ces auteurs permettent d’esquisser des réponses.

Tout d’abord, le système

Au Québec, non seulement le système maintient-il les inégalités socioéconomiques des élèves qui le fréquentent, mais contrairement à certains pays, il contribue même à aggraver ces inégalités.

Cela s’explique notamment par une double ségrégation scolaire, d’abord par la compétition entre écoles privées et publiques, puis entre écoles publiques offrant des programmes particuliers... et les autres écoles.

Ensuite, certaines approches

Cette compétition déloyale se reflète ensuite aussi dans celle que l’école impose aux élèves par des systèmes d’émulation et d’évaluation qui les amènent à se comparer les uns aux autres plutôt qu’à eux et elles-mêmes, et ce, sans interventions suffisamment différenciées selon les besoins.

En d’autres mots, non seulement l’école encourage d’abord la compétition et la performance, mais elle ne met pas non plus en place les mesures d’équité permettant une véritable égalité des chances. Les enfants se socialisent à même ce paradigme, alors que des interventions en éducation à la citoyenneté mondiale les interpellent plutôt au nom des valeurs de solidarité et de justice. Il serait intéressant d’évaluer les dissonances cognitives engendrées par un tel paradoxe !

Tout comme la société dont elle est issue, le système d’éducation reconduit également de nombreuses discriminations systémiques. Notons les interventions sexistes et le profilage racial, tous deux observés dans les écoles québécoises. Nous avons également abordé ci-haut le facteur des conditions socioéconomiques des élèves. Il reste à ajouter que ce n’est pas non plus à l’école — ou si peu — que les jeunes apprennent la force des actions collectives menant à des succès collectifs.

À quelle fréquence, au Québec, une classe doit-elle relever un défi dont la solution et le succès se mesureront à l’implication complémentaire de chacune et chacun des élèves qui la composent ?

Finalement, des contenus... ou plutôt leur absence

Si la citoyenneté mondiale passe par la reconnaissance des enjeux de notre histoire et de notre présent, ainsi que par des actions de justice, force est de constater que certains enjeux semblent oubliés des manuels scolaires. Silence sur les cultures autochtones et leurs propres approches scientifiques ; silence sur l’esclavage en Nouvelle-France ; silence sur l’existence plus que centenaire de la diversité culturelle au Québec ; silence sur l’apport des sociétés civiles d’ici et d’ailleurs pour lutter contre les inégalités.

Ainsi, dans le cours de 5e secondaire intitulé Enjeux du monde contemporain, seul le principe d’assistance humanitaire est abordé, au détriment de la solidarité internationale, en particulier celle qui se fait en partenariat entre organismes québécois et organismes du Sud. Où sont les groupes de femmes et LGBTQA+, d’environnementalistes, de spécialistes de l’éducation et de la santé, par exemple, qui œuvrent chaque jour dans les pays du sud pour faire face aux conséquences des inégalités locales et mondiales ? Nous disions en début d’article que seules les crises humanitaires interpellent massivement la population québécoise. Devrions-nous voir une certaine corrélation entre cet aspect oublié du programme et cette façon de réagir de la part du public ?

L’aspect le plus révélateur de ce rôle de l’école dans le maintien d’une certaine vision coloniale du monde concerne certains séjours organisés dans les pays du Sud. On les présente encore trop souvent comme des « voyages humanitaires » où les élèves iraient faire du travail communautaire — aider des populations pendant quelques jours ou quelques semaines. Qui sont les organismes partenaires qui accueillent ces stagiaires ? Quels sont leurs analyses, leurs actions et le type de relation qu’ils entretiennent avec des groupes du Québec ? Nous gagnerions à en apprendre plus sur ces communautés qui agissent déjà elles-mêmes pour lutter contre les injustices, améliorer leurs conditions de vie et coopèrent avec des communautés du Nord.

Nous avons encore tant à apprendre, tant à comprendre, tant à faire ! L’éducation, cette clé d’émancipation et de transformation, ne peut être tenue pour acquise. Chaque geste politique, administratif, pédagogique lié à l’éducation comporte son potentiel de maintien des dogmes ou encore de questionnement des normes reconduisant les injustices systémiques. C’est notamment à la société civile de choisir ce qu’elle exigera de l’école.

Source : Le Huffpost Québec

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