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L’école québecoise, vecteur de fragmentation sociale

Stéphane Vigneault

Coordonnateur du Mouvement L’école ensemble

Solidarité bien ordonnée commence par nous-mêmes !

Les Journées québécoises de la solidarité internationale nous incitent cette année à réfléchir au rôle de l’éducation. Au Québec, quoiqu’en disent certains jovialistes, notre système d’éducation est inéquitable. Quelle incidence a ce système sur la formation des jeunes Québécoises et Québécois, des jeunes dont on voudrait qu’ils embrassent les principes de solidarité internationale ? Que reste-t-il en fait de notre solidarité… nationale, cette incroyable force motrice au moment des grandes réformes progressistes des années 60 et 70 ? Tous les acteurs sociaux le diront : elle est en piteux état. Le marché scolaire québécois est à la fois le résultat et la cause de cette situation.

Du dépassement de soi au dépassement des autres

En matière d’éducation, le Québec applique depuis 50 ans une politique officieuse de ségrégation scolaire. C’est en effet en 1968 que la province a commencé à financer l’école privée avec l’argent des contribuables (1). Cet argent public a permis aux écoles privées subventionnées d’augmenter continuellement leur part du marché scolaire. Seulement 5 % des élèves du secondaire fréquentaient le privé en 1970 : ils sont aujourd’hui plus de 21 % (2). Bien sûr, le privé choisit les élèves les plus favorisés et performants en imposant des frais de scolarité et en filtrant les demandeurs grâce à des examens.

Le réseau public a choisi de répondre au départ de ses meilleurs élèves en créant des écoles à projet particulier sélectif qui pratiquent leur propre écrémage. On a ainsi voulu compétitionner le privé sur son terrain, celui de la sélection. Le nombre d’élèves admis dans une école publique sélective est estimé au secondaire à 20 % (3).

En conséquence, l’école publique « ordinaire » voit sa tâche alourdie avec notamment une surreprésentation des élèves avec des besoins particuliers. Cette nouvelle composition de la classe ordinaire, de plus en plus écrémée, renforce l’attrait du privé subventionné et du public sélectif aux yeux des parents. Et le cercle vicieux se renforce.

Les conséquences

Ce système scolaire à trois vitesses a conduit le Conseil supérieur de l’éducation à mettre en garde le gouvernement : l’école québécoise est la plus inéquitable au Canada : « Dans toutes les provinces ou régions du Canada, les élèves des écoles défavorisées ont obtenu une performance inférieure à ceux des écoles favorisées, mais cette différence est nettement plus élevée au Québec. »

Ce qu’il faut comprendre, c’est que partout dans le monde, les élèves défavorisés réussissent généralement moins bien. Dans un système équitable, comme en Ontario ou en Finlande, cette différence de performance est atténuée. À l’inverse, dans un système inéquitable comme celui du Québec, les inégalités à la ligne de départ se retrouvent telles quelles à la ligne d’arrivée.

Et qu’est-ce qui différencie un système inéquitable d’un autre qui ne l’est pas ? Le niveau de ségrégation scolaire. Or avec plus de 40 % de ségrégation scolaire au Québec — 21 % d’enfants choisis par le privé subventionné additionnés aux 20 % d’enfants tamisés par les projets particuliers sélectifs du réseau public — il ne faut pas se surprendre de nos résultats médiocres. Un quart des élèves du secondaire décrochent et un quart des enseignat-e-s quittent la profession durant leurs cinq premières années sur le marché du travail. D’autres citeront les problèmes de nos concitoyen-ne-s en lecture : 53 % des 16-65 ans ont des compétences faibles ou insuffisantes en littératie (4).

La cohésion sociale est également mise à mal par cette compartimentation précoce des enfants. Nous sommes placés dans notre petite bulle sociale parfois dès le préscolaire. Les plus favorisés se sentent de moins en moins concernés par le destin national.

En France, la Fondation Jean-Jaurès a récemment tiré la sonnette d’alarme quant à ce problème de fragmentation sociale : « Depuis trente ans, les catégories les plus favorisées s’autonomisent du reste de la population. Elles développent des comportements et des réflexes propres à leur milieu et elles se sentent de moins en moins liées par un destin commun au reste de la collectivité nationale. Le premier risque, c’est que leur sentiment de solidarité s’érode au point de fragiliser notre modèle social, avec le développement de techniques d’optimisation fiscale pour contourner l’impôt par exemple. Mais cette évolution pose aussi et surtout un problème démocratique. De par leur autonomisation vis-à-vis du reste de la société, les élites sont susceptibles d’avoir de plus en plus de mal à comprendre les classes moyennes et les classes populaires. Le risque est qu’il y ait donc un décalage croissant entre les politiques publiques mises en place et les aspirations réelles de la population. »

Le temps du choix collectif

Il est donc urgent de rebâtir notre solidarité nationale pendant qu’il en est encore temps. Les solutions sont connues de tous les partis politiques : fin du financement des écoles privées par les contribuables (comme en Ontario) et fin de la sélection dans le réseau public.

Au moment où vous lirez ces lignes, le Québec se sera donné un nouveau gouvernement. Souhaitons — non, demandons ! — que des propositions claires de déségrégation de notre système scolaire soient débattues à l’Assemblée nationale. C’est l’idée même que nous nous faisons de notre société qui est en jeu.

Illustration : Jacques Goldstyn

Notes
(1) https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/1969-v10-n4-cd5001858/1004696ar.pdf.

(2) http://sern.qc.ca/fileadmin/user_upload/syndicats/z48/Communiques/Note_de_recherche_projets_particuliers_final.pdf p. 2.

(3) http://sern.qc.ca/fileadmin/user_upload/syndicats/z48/Communiques/Note_de_recherche_projets_particuliers_final.pdf p. 7.

(4) http://www.magazine-savoir.ca/2017/07/12/lalphabetisation-en-2017/.



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