« Ce qui me reste après 53 années de service, c’est que j’ai apprécié particulièrement la qualité des élèves que j’ai rencontrés tant sur le plan académique que sur le plan humain en général. Mais, je pense qu’on mérite mieux que ça », a déclaré le frère Serge Larose qui a pratiquement consacré toute sa vie au service des Frères de l’institution chrétienne (FIC) et au service des écoliers haïtiens. En convalescence chez lui, l’expérimenté pédagogue a fait savoir qu’il n’existe pas d’avenir pour Haïti sans une éducation de qualité et solide. Une façon à lui de sonner l’alarme.
Pour sa part, l’ancien ministre de l’Éducation nationale sous le gouvernement du président d’Ertha Pascal Trouillot, le Dr Charles Tardieu, 37 ans de carrière, a fait un petit survol historique pour montrer l’origine de la déchéance du métier d’enseignant-e en Haïti. Selon lui, depuis les années 60, Haïti a commencé à perdre des enseignant-e-s qualifiés. Il a expliqué que ces gens-là émigrèrent en Afrique, (particulièrement au Congo) et en Amérique du Nord, (surtout au Canada), parce qu’ils étaient persécutés par le régime des Duvalier. Pour combler le déficit, a raconté le vieux de la vieille, les Duvalier n’avaient rien fait. Et depuis lors, dit-il, le champ est ouvert à tous, aux gens sans grande qualification, sans vocation et sans amour pour le métier. C’est comme pour dire que cela devient un tremplin pour les jeunes qui abandonnent par la suite le secteur pour mauvais traitement.
« C’est ce qui explique en partie le désordre que nous sommes en train de vivre dans ce secteur aujourd’hui. C’est ce qui explique aussi ce que nous avons maintenant : une éducation qui n’est pas de qualité. Un pays avec un système éducatif si exécrable n’ira pas loin et l’avenir du métier est incertain », a martelé le spécialiste en éducation, le Dr Charles Tardieu.
La dévalorisation du corps enseignant, la faiblesse de leur rémunération, la médiocrité, des conditions d’enseignement et d’apprentissage et le manque de formation professionnelle adéquate sont autant d’indicateurs qui fragilisent l’exercice de ce métier incontournable, selon l’avis de ces spécialistes.
« C’est un métier incontournable, mais trop de choses découragent aujourd’hui nos jeunes et les plus intelligents à l’exercer. Et la société et l’État ne valorisent pas cette profession en Haïti », a déclaré Marc Anthony Alix, 49 ans de carrière d’enseignant. Selon lui, les éducatrices et les éducateurs de nos enfants haïtiens devraient être considérés à leur juste valeur. « Ils sont plutôt maltraités et même banalisés par la société ».
Dans la même veine, Rose Thérèse Magalie Georges de la Confédération nationale des éducatrices et éducateurs d’Haïti (CNEH) a fait savoir que le métier d’enseignant-e en Haïti est en voie de disparition. Il a même avancé les arguments suivants : les gens ne sont plus intéressés à la profession. Le traitement infligé aux enseignant-e-s est inhumain.
« Avec ce cas de figure, dans les 10 prochaines années, on ne pourra pas trouver dans ce pays des professionnels compétents et qualifiés pour exercer ce métier », a indiqué celle qui a 32 ans de carrière dans le secteur, la syndicaliste Magalie Georges.
De son côté, le Dr Patrice Dalencour, 39 ans de carrière, croit que l’avenir dans ce domaine, est plutôt inquiétant. Car, dit-il, il y a trop d’enseignant-e-s à qualification insuffisante dans le secteur. C’est un danger pour le futur. Le sexagénaire estime qu’il revient à l’État de penser et de faire les choses autrement pour attirer beaucoup plus de gens qualifiés et compétents. En réalité, a-t-il ajouté, c’est un métier qui est en decrescendo de plus en plus.
« Quel-le enseignant-e aujourd’hui va inciter son enfant à exercer ce métier ? Personne ! Car, les enseignant-e-s ne sont pas honorés. Moi, si je reste c’est parce que j’aime ce métier », a précisé Patrice Dalencour, ajoutant que c’est une carrière que les gens embrassent temporairement faute de mieux et que celui qui le choisit est automatiquement condamné à avoir une vie difficile sur le plan économique.
Par ailleurs, si le secteur éducatif en Haïti est toujours associé à des journées de grève et de manifestation, c’est dû au fait que les conditions des enseignant-e-s sont minables et que l’éducation n’est pas la priorité de l’État et des citoyens, a conclu la secrétaire de la CNEH, Rose Thérèse Magalie Georges.
Crédit photo : Le Nouvelliste CCN