Bannière JQSI 2018

JQSI, le magazine

C’est avec fébrilité que nous publions ce premier Magazine des JQSI portant sur l’éducation. Comme organismes de coopération et de solidarité internationales, comme organismes des sociétés civiles du Nord et du Sud, comme théoriciennes et théoriciens qui se penchent sur ces questions incontournables, pour nous toutes et tous, ces prises de paroles sont précieuses. Dans un monde de plus en plus interconnecté et interdépendant, nous devons poser les questions qui touchent aux fondements de l‘éducation, aux systèmes qui s’y rattachent, aux approches à préconiser et aux contenus à prioriser – ou pas !

Vous trouverez dans ces pages des pistes de réflexion et d’actions éclairant sous divers angles des enjeux liés à l’éducation :

  • Des appels à refonder l’éducation pour construire une société solidaire, juste et durable.
  • Des propositions pour décoloniser l’éducation.
  • Des moyens pour lutter contre les injustices afin de donner son réel pouvoir émancipateur à l’éducation.
  • La mise en lumière de sujets trop souvent absents dans nos repères historiques et sociaux à propos des peuples et groupes marginalisés.
  • Des réflexions sur les dérives possibles de gestes que l’on croit solidaires mais qui peuvent nuire s’ils ne sont pas accompagnés de démarches éducatives adéquates.
  • Des exemples d’initiatives citoyennes réalisées aux quatre coins du monde qui redonnent la dignité à chaque apprenante et chaque apprenant.
  • Et bien plus encore.

En choisissant le thème de l’éducation, le comité organisateur des JQSI a choisi de remettre en question un système scolaire qui trop souvent maintient les inégalités socioéconomiques ; de dénoncer les discriminations systémiques qu’il engendre ; et surtout d’oser imaginer une éducation différente pour construire une nouvelle société et une citoyenneté véritablement mondiale, ici au Québec et partout dans le monde.

La production de ce magazine a bénéficié de la collaboration de partenaires d’ici et du Sud qui en ont beaucoup à dire. On les remercie vivement d’avoir pris part à l’aventure.

Bonne lecture !

Marie Brodeur Gélinas
Chargée de programmes pour les Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI)

Le Magazine en version imprimée ou téléchargeable comporte le tiers des textes. Tous les textes se trouvent sous les onglets « Articles des organismes membres » et « Articles des partenaires » (à venir).

Téléchargez le magazine en format PDF !
Partagez sur les réseaux sociaux l’article qui vous interpelle et indiquez pourquoi !
N’oubliez pas de rendre votre statut Facebook public et d’ajouter #JQSI2018

L’importance de l’éducation au Burkina Faso

Tanga Kiendrebeogo - Président de l’Association Solidarité Patoinyimba pour le Bien-être Social de Doulou, Burkina Faso

Dans la société, qu’elle soit traditionnelle ou moderne, la question de l’éducation occupe une place de choix tant au niveau national (...)

Voir

Sur les sentiers scolaires de Manawan

Maude-Gabrielle De Champlain - Enseignante au primaire et conceptrice de Culture autochtone à l’école Participante d’un projet Québec sans frontières au Costa Rica en 2004 ainsi que d’un séjour au Sénégal avec la Fondation Paul Gérin-Lajoie

C’est le 10 septembre 2013. Il y a quatre jours, j’ai répondu à une offre d’emploi dans le journal. Me voilà déjà sur le chemin forestier de 88 (...)

Voir

Comment parler d’avenir aux jeunes ? Pour une pédagogie de l’espoir…

Véronique Brouillette - Conseillère à la Centrale des syndicats du Québec

Article paru dans la revue Vie pédagogique, no 154, mai 2010 à la suite du colloque « Comment parler d’avenir aux jeunes ? » organisé par le mouvement des Établissements verts Brundtland de la CSQ

Voir

La solidarité citoyenne au secours de l’éducation publique

Pascale Grignon - Membre du comité organisateur du mouvement Je protège mon école publique Avec la collaboration du comité organisateur du mouvement

Le 1er mai 2015, des parents, des élèves, des enseignantes et des enseignants, bref, des citoyennes et des citoyens se sont tenu la main autour de quatre écoles québécoises pour protester contre les coupes effectuées par le gouvernement du Québec dans le budget de l’éducation.

Voir

Une force méconnue : le corps enseignant issu de l’immigration

Rachel Saintus-Hyppolite - Enseignante en soutien linguistique à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) L’autrice s’exprime à titre personnel

Les écoles montréalaises recèlent une grande diversité culturelle, on le sait. Il n’y a qu’à regarder les cours d’école pour le savoir. Les (...)

Voir

Bâtir un monde meilleur

Pierre Chénier - Porte-parole du Réseau des écoles publiques alternatives du Québec (RÉPAQ)

« L’école publique alternative outille l’élève pour qu’il devienne un citoyen autonome, critique, responsable et engagé ». Telle est la position (...)

Voir

Les liens entre racisme et colonialisme aujourd’hui

Maryse Potvin - Professeure, Université du Québec à Montréal (UQÀM). Co-directrice de l’Observatoire et coresponsable de l’axe Éducation et rapports ethniques du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM).

L’équipe du Magazine des JQSI a demandé à Mme Potvin de résumer une importante hypothèse de travail tant pour elle, à titre de chercheuse ,que le comité des JQSI à titre de practicien-ne-s : peut-on expliquer une partie du racisme observé dans les pays du Nord par l’éducation colonialiste et la culture dominante toujours en cours lorsqu’il est question des pays du Sud ?

Voir

Encourageons la jeunesse à redéfinir la démocratie : pour Haïti et par Haïti !

Mariebelle Leclerc-Hallé - Coordonnatrice du Centre de solidarité internationale Corcovado à Rouyn-Noranda et enseignante au primaire

Cet article est fondé sur des données recueillies dans le cadre d’une recherche de maîtrise. La présentation qui en est faite ici est partielle (...)

Voir

L’éducation pour la refondation de l’humanité

Charles E. Caouette - Professeur retraité et auteur "Éduquer. Pour la vie !" chez Écosociété

Ce texte est inspiré d’une allocution présentée en 2009 à des enseignantes et enseignants.
Pour cette communication, j’ai choisi de vous (...)

Voir

L’histoire en noir et blanc

Frank Mackey - Auteur/chercheur indépendant

Un incident récent me pousse à partager quelques réflexions sur l’absence des Noir-e-s dans l’enseignement de l’histoire du Québec, et du Canada (...)

Voir

Quelles initiatives locales dans le monde permettent d’espérer que les jeunes deviendront des citoyennes et citoyens solidaires ?

Marie-Françoise Joly - Présidente du Comité des Éducateurs Sans Frontières, Fondation Paul Gérin-Lajoie

En Haïti et dans plusieurs pays africains de la francophonie, les Éducateurs sans frontières (ÉSF) de la Fondation Paul Gérin-Lajoie accompagnent activement des initiatives visant à la construction d’une citoyenneté solidaire chez les jeunes.

Voir

Éducation et travail des enfants en Inde : défis actuels

Praveen Vempadapu - Directeur de Kidpower India, partenaire de l’organisme Aide internationale pour l’enfance (AIPE)

Aujourd’hui, l’importance de l’éducation est reconnue mondialement. Avec le développement d’emplois axés sur la technologie et un processus de (...)

Voir

Une éducation fondée sur les droits pour une école inclusive et juste

Adama Kaba - Spécialiste en éducation, Equitas – Centre international d’éducation aux droits humains

Aujourd’hui la diversité ethnoculturelle au Québec n’est plus à prouver, surtout dans les centres urbains tels que Montréal. On peut donc (...)

Voir

L’école québecoise, vecteur de fragmentation sociale

Stéphane Vigneault - Coordonnateur du Mouvement L’école ensemble

Solidarité bien ordonnée commence par nous-mêmes !

Voir

Lutter contre les inégalités et les discriminations par des projets d’éducation à la citoyenneté mondiale en classe

Coline Renard - Diplômée d’un master en sciences de la population et du développement à l’Université libre de Bruxelles et d’un master 2 en inégalités et discriminations à l’Université Lumière Lyon 2

En Belgique, la Coopération belge au développement finance un programme d’éducation à la citoyenneté mondiale, Annoncer la Couleur, destiné aux (...)

Voir

L’eurocentrisme dans le programme scolaire : un obstacle à la réussite des étudiant-e-s autochtones

Jacky Vallée - Professeur et co-fondateur du Vanier Indigenous Circle, Cégep Vanier College L’auteur s’exprime ici à titre personnel. (Traduction : Denis Côté)

Grâce au travail de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015), qui a passé 5 ans à faire de la recherche dans les archives des (...)

Voir

Enseignant en Haïti, profession à l’avenir incertain

Emmanuel Thélusma - Article publié le 4 octobre 2017 dans Le Nouvelliste (Haïti)

Les problèmes qui rongent le secteur éducatif sont nombreux. Incompétence du corps enseignant, maigre salaire, démotivation personnelle, lassitude et désamour sont les maîtres mots qui résument la réalité de ce secteur. A l’occasion de la Journée mondiale des enseignantes et des enseignants, nous avons interrogé des enseignant-e-s émérites sur l’avenir de la profession en Haïti.

Voir

L’internationalisation des cégeps : la signature du Québec dans le monde

Olivier Bégin-Caouette - Professeur adjoint en enseignement supérieur comparé, Université de Montréal

L’auteur s’exprime ici à titre personnel.
L’auteur souhaite remercier la Direction des affaires internationales de la Fédération des cégeps (...)

Voir

Je m’éveille, tu t’éveilles, nous nous transformons. Quel rôle pour les séjours d’initiation à la solidarité internationale dans les écoles ?

Sarah Charland-Faucher - Coordonnatrice et formatrice pour le Carrefour international bas-laurentien pour l’engagement social (CIBLES) Participante à un stage en milieu scolaire en 1998 au Nicaragua avec le Groupe d’entraide international Spirale

Partout au Québec, des centaines de jeunes et moins jeunes partent chaque année à la rencontre d’autres peuples et cultures à travers des (...)

Voir

Guider les enfants en situation de handicap sur le chemin de l’école - Les enseignant-e-s itinérant-e-s au Togo

Gabriel Perriau - Chargé des communications pour Humanité & Inclusion Canada

Avec l’aide de Aissatou Sy, Chargée des communications, Éducation inclusive en Afrique de l’Ouest pour Humanité & Inclusion

Voir

Des liens entre l’engagement civique et le succès scolaire ? Les preuves sont là !

Francis Paré - Coordonnateur, Alliance pour l’engagement jeunesse

Durant leur parcours scolaire, les jeunes ont l’occasion de s’impliquer dans différentes activités sportives, artistiques, culturelles ou (...)

Voir

Qu’en est-il des Premiers peuples (Premières Nations, Inuit et Métis) à l’intérieur de la formation universitaire à l’enseignement dans les facultés d’éducation québécoises ?

Jo-Anni Joncas, PhD - Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones - CIERA Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail - CRIEVAT Observatoire Jeunes et Société

Les résultats de ma thèse de doctorat, qui avait comme principal objectif d’évaluer comment le contexte d’études de femmes autochtones (...)

Voir

Le débat en classe : pourquoi et comment peut-on le faire ?

Stéphanie Didier - Doctorante en didactique, Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université de Montréal (1)

« Il faut faire sentir aux élèves qu’il y a des contradictions à dépasser, un débat à trancher, une énigme à déchiffrer, que tout n’est pas transparent et simple, mais que la raison peut et doit agir, aussi partiels et provisoires ses résultats soient-ils. » (Éthier, Le Devoir, février 2014).

Voir

La simulation de l’Assemblée générale des Nations Unies à Sherbrooke

Élèves de 4e et 5e secondaire -

La simulation de l’Assemblée générale des Nations Unies (SAGNU) est une activité offerte par le Carrefour de solidarité internationale dans les (...)

Voir

Comment dites-vous  : «  de l’éducation à la décolonisation de l’esprit »  ?

Carine Nassif-Gouin - Responsable de programmes à l’UdeM - Certificat en coopération internationale et du programme d’accès aux études à la FEP

Les propos exprimés dans cet article n’engagent que l’autrice.

Ngugi wa Thiong’o (1986).1
Decolonising the mind,
East Africain Editional Publisher

Dans ce cas-ci, on peut parler d’une ignorance systémique 
Lise Bastien (2016)

Voir

Lien entre autoritarisme et éducation dans le Paraguay des années 1869 à 2012

Ana Portillo -

Article publié dans le « Bulletin d’information et analyse » du SERPAJ – Paraguay
Année 7 - # 23 – Avril 2018
(Traduction libre, modifications et ajout des références pour faciliter la compréhension du texte : Lore Bolliet, Lisandro Chertkoff et Marie Brodeur Gélinas)

Voir

Pour un monde sans guerres

Suzanne Loiselle - Membre du Collectif Échec à la guerre

Cet automne, alors que l’AQOCI et ses membres tiennent les Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI) sous le thème Quel rôle (...)

Voir

Pascale Grignon

Membre du comité organisateur du mouvement Je protège mon école publique Avec la collaboration du comité organisateur du mouvement

Le 1er mai 2015, des parents, des élèves, des enseignantes et des enseignants, bref, des citoyennes et des citoyens se sont tenu la main autour de quatre écoles québécoises pour protester contre les coupes effectuées par le gouvernement du Québec dans le budget de l’éducation.

Le 1er mai 2015, des parents, des élèves, des enseignantes et des enseignants, bref, des citoyennes et des citoyens se sont tenu la main autour de quatre écoles québécoises pour protester contre les coupes effectuées par le gouvernement du Québec dans le budget de l’éducation. Un an et demi plus tard, un total de 125 000 participantes et participants s’étaient tenu la main devant plus de 600 écoles situées dans 16 des 17 régions administratives de la province, soit 1 école sur 4. Une mobilisation de parents historique ! Ce mouvement citoyen, démontrant une solidarité rarement vue de façon aussi explicite, a obligé le gouvernement à reconnaître l’importance accordée par les Québécoises et Québécois à l’éducation, et plus spécifiquement à leur système d’éducation publique mis à mal par des années de compressions En effet, depuis trop longtemps, le gouvernement a négligé l’école publique. Elle fait l’objet d’une dévalorisation et d’une négligence honteuses. Plus encore, les coupes sévères effectuées entre 2010 et 2016 ont aggravé la situation. Les conséquences sont nombreuses(1) :
- élèves recevant moins d’attention du corps enseignant à cause de l’augmentation du nombre d’élèves par groupes dès la 3e année et dans les milieux défavorisés ;
- moins de soutien pour les élèves étant donné l’intégration des enfants en difficulté dans les classes ordinaires sans soutien de personnel spécialisé, l’abolition de postes de professionnels (psychoéducatrice-teur-s, éducattrcie-teur-s spécialisé-e-s, orthopédagogues et orthophonistes) dans les écoles, et ce, malgré l’accroissement de la population et l’intégration d’élèves en difficulté dans les classes ordinaires, l’abandon du ratio particulier pour les élèves en difficulté et les élèves des classes d’accueil ;
- élèves stressés par une surpopulation généralisée. Le nombre d’écoles dont la capacité d’accueil est largement dépassée est effarant. L’optimisation du nombre d’élèves par classe après le début de l’année scolaire engendre des pertes d’emplois, une importante rotation du personnel enseignant et beaucoup d’anxiété pour les élèves et le personnel enseignant. La négligence dans l’entretien des bâtiments et le manque de moyens pour rénover ou agrandir les bâtiments existants contribue au problème, tout comme le grand nombre de projets d’agrandissements ou de construction délaissés ou refusés.(2)
- abandon de programmes d’aide aux devoirs et d’aide alimentaire, essentiels pour beaucoup d’élèves parmi les plus démunis ;
- frais supplémentaires créant un casse-tête pour tous les parents : augmentation substantielle des frais du service de garde, du matériel scolaire, abolition du transport scolaire, etc.
- taux de décrochage scolaire inquiétant, taux d’analphabétisme inacceptable ;
- taux alarmant d’abandon de la profession par les enseignantes et les enseignants, tout particulièrement au début de leur carrière.

L’école publique, pour un société plus solidaire et juste

Or, l’école publique québécoise doit être une école équitable, stimulante, innovante, motivante, qui donne le goût d’apprendre et de se dépasser à tous et à toutes, peu importe leur origine, leur classe sociale ou la région où ils habitent. Les indicateurs de performance doivent bien sûr permettre de quantifier la réussite scolaire (taux
de diplomation, résultats scolaires, etc.) afin de se doter des outils nécessaires à la formation de la main d’oeuvre et de contribuer ainsi à la bonne marche de l’économie, mais c’est loin d’être une finalité, au contraire !

L’éducation est un moteur de développement individuel et social : elle forme des citoyennes et citoyens éduqué-e-s, compétent-e-s, confiant-e-s, indépendant-e-s financièrement et aptes à enrichir la collectivité, et pas seulement sur un plan économique. Elle permet aussi et surtout l’épanouissement individuel, elle favorise
l’équité sociale et la démocratie, en plus de lutter contre les inégalités sociales. Elle facilite le développement du sens critique qui habilite chacun à prendre des décisions personnelles et collectives éclairées. Le monde de l’emploi nécessite désormais beaucoup plus de compétences en lecture fonctionnelle et en traitement de l’information, plus de capacité d’adaptation et plus de créativité. L’école doit préparer les futur-e-s travailleuses et travailleurs à ces réalités au lieu de les former pour des emplois qui n’existeront probablement plus au moment de leur arrivée sur le marché du travail. L’école permet également l’amélioration des conditions socioéconomiques, mais aussi des conditions de vie et de travail pour les individus, leurs familles et la
société en général.

L’école publique doit maximiser les talents de nos citoyennes et citoyens en devenir, peu importe leur origine, leur milieu de vie, leurs difficultés, leurs particularités ou leur parcours. Elle doit aussi intégrer et valoriser les communautés culturelles tout en créant un bagage culturel commun, elle doit permettre à toutes et à tous de se réaliser et ainsi de contribuer à l’indice de bonheur national brut tout autant qu’au produit national brut. Elle est aussi un formidable levier pour à la fois accroître les revenus du Québec et améliorer le climat social et l’état de santé général de la population. Bref, c’est l’atout numéro un pour permettre le développement du Québec et assurer son avenir. L’éducation doit donc ABSOLUMENT, VRAIMENT et CONCRÈTEMENT être la priorité du gouvernement.

Depuis septembre 2015, le vent a commencé à tourner, entre autres grâce à la mobilisation initiée par le mouvement Je protège mon école publique. L’éducation primaire et secondaire est alors devenue l’un des principaux sujets d’actualité ; une nouveauté. Les Québécoises et les Québécois ont pris conscience de son sous-financement chronique puis accéléré qui ne lui permet plus de remplir sa mission adéquatement ‒ 86% se sont d’ailleurs prononcés pour un réinvestissement massif en éducation en mai 2016(3). Toutes et tous s’accordent désormais sur le fait que les répercussions des coupes dans les écoles sont dramatiques. Nous voulons que ça change.

La valorisation de la solidarité comme valeur commune pourrait être une façon de mobiliser la communauté autour de l’école, et grâce à celle-ci. En effet, pour réussir, chaque élève a besoin de l’appui de sa famille et de sa communauté, bref, de son “village”, comme le dit l’adage. Envisager l’école comme un écosystème, c’est se rendre compte qu’elle est aussi un lieu d’engagement social, et que cet apport des divers milieux lui donne aussi mille occasions de se réinventer. Reconnaître la contribution possible de tous les acteurs de la société, c’est aussi une façon de valoriser l’école, d’y faire vivre des expériences positives à tous ‒ c’est un cercle vertueux, qui favorise l’entraide, la complémentarité, et nous éloigne de la gestion par silos. En favorisant des maillages avec d’autres acteurs de la société, l’école peut mettre en valeur ces acteurs, qui vont progressivement enrichir le milieu de l’éducation :

- les organismes communautaires et les milieux artistiques, sportifs, environnementaux et de la santé contribuent à ouvrir les horizons des élèves ;
- les entreprises ont tout à gagner à participer à la vie scolaire, de manière éthique, au-delà des enjeux liés au recrutement de la main-d’oeuvre, pour faire découvrir des métiers aux élèves, et stimuler leur réflexion sur leur avenir et leurs choix de carrière ;
- favoriser les interactions sociales, créer des lieux d’échange, partager des bâtiments, cela peut aussi contribuer à régler plusieurs problèmes.

Dans cette optique, nous souhaitons que l’éducation devienne une valeur transversale pour l’ensemble du Québec. Il faut (ré)affirmer l’importance de l’éducation comme valeur, mais aussi comme responsabilité primordiale de notre société, et que tous les acteurs, peu importe leur fonction, jouent un rôle dans la promotion de l’éducation.

Une obligation de financement adéquat de l’éducation par le gouvernement est essentielle. On ne peut plus jouer au yoyo avec l’avenir de nos enfants. Il faut assurer un financement adéquat et constant pour fournir les services requis pour répondre aux besoins de chaque élève. Car sans argent, les professionnelles et professionnels pour aider les élèves en difficulté ne sont pas engagé-e-s en nombre suffisant, les services aux élèves sont réduits, les bâtiments sont négligés, les mesures d’optimisation des classes cachent l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Il faut investir en éducation sans plus attendre, pour ne pas fragiliser (davantage) les générations actuelles d’élèves. Une cohorte complète d’élèves du primaire a déjà fait les frais de ces compressions et ce désengagement, il est inadmissible que d’autres générations en paient aussi le prix.

Il y aurait également lieu d’ouvrir la discussion autour de la structure même du système d’éducation, qualifiée de « plus inéquitable au Canada » par le Conseil supérieur de l’éducation du Québec à cause de ses trois vitesses (l’école publique qui accueille tous les élèves, l’école publique avec projet ou volet particulier qui sélectionne les élèves, et l’école dite privée mais largement financée par les deniers publics). Peut-être est-il venu le temps de lancer un nouveau chantier sur l’éducation au Québec...

Malgré les nombreux défis qui continuent de guetter notre école publique québécoise, il est rassurant de constater que la solidarité a joué un rôle de premier plan pour la défendre au cours des dernières années. La participation même des élèves dans les chaînes humaines protégeant nos écoles de l’austérité pourrait être la graine d’une prise de conscience pour ces jeunes de leur capacité d’action et du pouvoir des citoyens lorsqu’ils agissent de concert pour protéger leurs valeurs communes. Et s’il s’agissait des prémices d’une génération véritablement engagée et prête à prendre action pour défendre ses idéaux ?

Notes :

(1) Soulignons que, dans une étude réalisée auprès du personnel de direction d’école à travers le Québec à l’automne 2015, il appert que 87 % des directions d’école considèrent que leur établissement scolaire manque de ressources ; pour 85 % d’entre elles, la situation actuelle dans le milieu scolaire est alarmante ; 82 % évaluent qu’elles ne disposent pas présentement des ressources financières nécessaires pour répondre aux besoins de leurs élèves, et 86 % estiment que les compressions auront des impacts importants sur les générations futures. En effet, par manque de ressources, les directions d’école ont dû réduire : le nombre d’heures de professionnels (76 % des directions) ; l’achat de matériel didactique (70 % des directions) ; l’aide aux devoirs (59 % des directions) ; les ressources pour les activités parascolaires (56 % des directions).
SOURCE : Léger Recherche Stratégie Conseil (octobre 2015 [projet 15438-001]). Les enjeux en éducation. Étude réalisée auprès du personnel de direction d’établissements scolaires du Québec, pour le compte de l’Association québécoise du personnel de direction des écoles (AQPDE), de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES) et de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), http://www.amdes.qc.ca/assets/docs/rapport_AMDES_FQDE_AQPDE_CP.pdf.

(2) Des milliards de dollars en déficit d’entretien ont été cumulés pour les écoles par les commissions scolaires, comme à la Commission scolaire de Montréal (CSDM), dont 9 écoles sur 10 obtiennent la pire note possible lorsque l’on évalue leur état.

(3) Sondage Crop réalisé du 8 au 10 mars auprès de 1000 adultes francophones, commandé par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Maryse Potvin

Professeure, Université du Québec à Montréal (UQÀM). Co-directrice de l’Observatoire et coresponsable de l’axe Éducation et rapports ethniques du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM).

L’équipe du Magazine des JQSI a demandé à Mme Potvin de résumer une importante hypothèse de travail tant pour elle, à titre de chercheuse ,que le comité des JQSI à titre de practicien-ne-s : peut-on expliquer une partie du racisme observé dans les pays du Nord par l’éducation colonialiste et la culture dominante toujours en cours lorsqu’il est question des pays du Sud ?

Les brassages de populations sont des phénomènes anciens, engendrés notamment par le colonialisme, la création d’empires et d’États-nations, les « conquêtes », l’édification du système-monde et la migration d’une main-d’oeuvre asservie (même si « légalement libre ») (Balibar et Wallerstein, 1988). Racisme, colonialisme, impérialisme ont des liens historiques intrinsèques et ont émergé de façon concomitante pour se renforcer mutuellement : l’idéologie raciste a constitué l’arme politique de légitimation et de justification d’une domination occidentale et des privilèges des « races supérieures », afin de justifier la conquête, le colonialisme, l‘esclavage (Fanon 1961 ; Memmi, 1957). Le racisme, le colonialisme, l’impérialisme et leurs effets doivent donc être conceptualisés et compris de manière interreliée.

Dans un contexte mondial fortement polarisé, une lecture colonialiste et eurocentriste de l’Occident reposant sur une conception centre/ périphéries demeure d’actualité, véhiculée par les différents moyens culturels, d’éducation ou de communications, et partagée (voire intériorisée) inconsciemment par une partie des populations du monde. Plus que jamais, les dynamiques internationales et conflits mondiaux (largement autour du contrôle des ressources) affectent les rapports ethniques (de pouvoir et d’oppressions multiples) locaux, en alimentant notamment un racisme systémique au sein des différentes sociétés. Ce racisme systémique se
traduit de diverses manières, notamment par de profondes inégalités idéelles (et culturelles) et matérielles (ou socioéconomiques) (Gullaumin, 1972 ; Juteau 2016), découlant des rapports de pouvoir et affectant différemment les groupes qui rencontrent plusieurs types d’oppressions, telles que :

- la non reconnaissance des diplômes et des acquis professionnels des ressortissants des pays du Sud.
- la réification de certaines cultures, appréhendées soit comme pré-modernes plutôt qu’en mouvement et traversées par les conflits, soit comme marginales et décrédibilisées, reproduisant ainsi le clivage centre/périphérie de la colonisation et ses logiques inhérentes de différenciation et d’infériorisation.
- des stratégies politiques qui contestent seulement certaines pratiques de subordination, tout en maintenant les hiérarchies en place, marginalisant ainsi les personnes soumises aux multiples systèmes de domination en dichotomisant les discours sur la race et ceux sur le genre (Crenshaw, 1993 : 112-113) ;
- le maintien d’un racisme implicite, en raison des mutations constantes du racisme dans les sociétés aux prétentions formelles « égalitaires », mutations liées à son illégalité et illégitimité à l’ère des droits humains. Ce racisme implicite, qui affecte les représentations sociales et relations intergroupes, est fondé sur les rapports mondiaux et la place occupée par les pays dans « l’échelle hiérarchique des
nations ».
- L’accueil et le traitement plus rapides des demandes d’immigration lorsqu’il s’agit de ressortissants considérés « au Sommet » de cette échelle ; la réduction de la « périphérie « (le reste du monde non-occidental) au statut d’objet d’analyse, tout
en conservant le monopole des champs théoriques et académiques, donc la prédominance sur le discours scientifique.

Dès les années 1960, mais surtout 1970 et 1980, ont émergé dans la foulée des divers mouvements sociaux (notamment anticolonialistes et de « libération nationale ») portés par des groupes opprimés et minorisés, une nouvelle génération d’intellectuels issus de ces mouvements et des anciens pays colonisés, qui vont adopter une posture « postcolonialiste », c’est –à-dire une lecture critique de l’eurocentrisme. Plusieurs théoriciens postcoloniaux considéraient que les outils critiques alors utilisés ne réussissaient pas à rendre compte de la spécificité de leur condition d’oppression et d’aliénation, et qu’ils dépendaient encore des structures mentales héritées du clivage centre/périphéries. Edward Saïd (1980) dans son analyse de « l’orientalisme » affirmait : « l’orientalisme est un style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur l’Orient« (1) », une perception construite sur un mode imaginaire par l’Occident et fruit d’un édifice idéologique. Selon Bhabha, le poscolonialisme témoigne par conséquent « des forces inégales et inégalitaires de représentation culturelle qui sont à l’oeuvre dans la contestation de l’autorité politique et sociale au sein de l’ordre mondial moderne » (1994, p. 171).

Si, aujourd’hui, le racisme sert moins à justifier le colonialisme ou l’impérialisme qu’à défendre les « droits acquis » des majoritaires dans les pays occidentaux, sa structure et ses mécanismes demeurent, autant dans le racisme « ordinaire » et spontanée » que dans le racisme élaboré ou idéologique notamment des groupes
extrémistes (Taguieff, 2007). Le racisme est un processus de construction de différences irréductibles et dévalorisées, réelles ou imaginaires, découlant de rapports de pouvoir entre groupes au niveau mondial ou local, et servant à justifier une infériorisation de l’Autre pour légitimer une dominance, une exclusion ou une
agression (Guillaumin 2002 [1972] ; Memmi 1994 [1982]). S’il articule toujours des logiques de différenciation et d’infériorisation (Wieviorka 1993), il s’exprime parfois davantage sur un mode universaliste, par un mépris envers les particularismes (qu’il ethnicise et rejette comme inassimilables aux valeurs universelles), et parfois sur un
mode différentialiste, par l’absolutisation des différences groupales et par le refus du multiculturalisme (qui voudrait nier ou noyer les identités nationales dans le pluralisme relativiste). En raison de l’immigration, plusieurs mécanismes sociocognitifs propres au racisme s’amalgament pour reproduire les rapports « Nord-Sud » à l’intérieur de chaque société, mécanismes visibles dans les discours d’opinion au sein des médias de masse ou sociaux, notamment lors de débats publics tendus, comme celui sur les « accommodements raisonnables en
2006-2008 ou sur la « Charte des valeurs québécoises » en 2013-2014 au Québec : la dichotomisation Nous-Eux, la généralisation, l’infériorisation et la diabolisation de l’Autre, la victimisation de soi groupal, le catastrophisme, le désir d’expulsion ou d’élimination de l’Autre et l’appel à la légitimation politique ou au combat
(Potvin 2008a, 2008b, 2017 [1999]).

Crédit photo : CEETUM

Notes

(1) Edward W. Saïd, L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, traduit de l’américain par Catherine Malamoud, Paris, Seuil, 1980, p. 15.

Bibliographie

Bhabha, Homi K. 1994, The location of culture, Routledge, Londres et New York, 1994, p. 171.

Balibar, Étienne et Immanuel Wallerstein, 1988, Race, Nation, Classe. Les identités ambiguës, Paris, La Découverte.

Crenshaw, K. (1989). « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : a Black Feminist Critique of Discrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Practice », University of Chicago Legal Forum, 89, 139-67.

Fanon, Frantz [1961] (2002) Les damnés de la terre. Paris : Éditions La Découverte/Poche.

Guillaumin, C., 2002 [1972]. L’idéologie raciste (2e éd.). Paris, Gallimard.
Juteau, Danielle. 2016 [1999]. L’ethnicité et ses frontières. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.

Memmi, A., 1994 [1982]. Le racisme. Paris, Gallimard.

Memmi, Albert, 1957, Portrait du colonisé, précédé du portrait du colonisateur, éd. Buchet/Chastel, Paris.
Potvin, Maryse (2017[1999) "Les dérapages racistes à l’égard du Québec au Canada anglais depuis 1995." Politique et Sociétés 36]) : 43–71.

Potvin, Maryse. 2008a. Crise des accommodements raisonnables. Une fiction médiatique ? Montréal : Athéna Éditions.

Potvin, Maryse 2008b. Les médias écrits et les accommodements raisonnables. L’invention d’un débat. Analyse du traitement médiatique et des discours d’opinion dans les grands médias (écrits) québécois sur les situations reliées aux accommodements raisonnables, du 1er mars 2006 au 30 avril 2007. Rapport d’expert pour la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (Bouchard-Taylor). Montréal : Ministère du Conseil Exécutif, 231 p. http://www.mce.gouv.qc.ca/publications/CCPARDC/rapport-8-potvin-maryse.pdf

Saïd, Edward 1980. L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris : Le Seuil.
Taguieff, Pierre-André, 2007. L’illusion populiste. Essai sur les démagogies de l’âge démocratique. Paris, Flammarion.

Wieviorka, Michel, 1993. La démocratie à l’épreuve. Nationalisme, populisme, ethnicité. Paris, La Découverte.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Adama Kaba

Spécialiste en éducation, Equitas – Centre international d’éducation aux droits humains

Aujourd’hui la diversité ethnoculturelle au Québec n’est plus à prouver, surtout dans les centres urbains tels que Montréal. On peut donc facilement s’imaginer que les écoles francophones, lieux principaux d’éducation pour les jeunes issu-e-s de l’immigration, sont adéquatement équipées en ressources humaines pour répondre aux besoins liés à cette diversité. Pourtant, les défis restent multiples : un personnel scolaire qui reflète peu le corps étudiant, des situations de discrimination et d’intimidation qui passent inaperçues, des familles qui hésitent à s’impliquer au sein de l’école, la « barrière de la langue » trop souvent utilisée comme justification pour une communication limitée avec les familles ne sont que des exemples de problématiques actuellement vécues au sein de nos écoles.

Alors comment se vit réellement la diversité dans nos écoles ? Comment s’assurer que nos jeunes s’y sentent accueillis et en sécurité ? Comment favoriser leur épanouissement et leur réussite ? Comment l’école peut-elle former de jeunes citoyennes et citoyens solidaires ?

Autant de questions auxquelles j’ai voulu répondre ici, en faisant appel à mes expériences en tant qu’intervenante communautaire scolaire, mais aussi en tant que mère monoparentale d’une élève noire qui fréquente une école primaire publique à Montréal.

LES DÉFIS DE LA DIVERSITÉ DANS NOS ÉCOLES

La relation famille-école

À travers mon expérience à Montréal, je me suis rendu compte que la relation famille-école est souvent complexe. En arrivant dans mes écoles d’affectation majoritairement fréquentées par des familles immigrantes et allophones, une réalité me frappe : le manque de représentativité au sein du personnel scolaire. En effet, la diversité des élèves n’y est pas du tout reflétée, car mis à part le

Service de garde et de rares spécialistes, le reste du personnel est plutôt d’origine canadienne-française et blanc.

Est-ce un problème en soi ? Faut-il absolument être d’origine srilankaise pour comprendre les besoins d’une élève qui parle le tamoul à la maison ? À mon avis, pas forcément. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’une bonne compréhension du milieu et des réalités complexes des familles devrait être un minimum requis pour travailler dans ces communautés. Or, j’ai pu voir qu’une grande majorité du personnel vivait hors du quartier, parfois même dans des banlieues assez reculées. Beaucoup étaient loin de comprendre les réalités socio-économiques de leurs élèves, et les difficultés qui perduraient même plus de cinq ans après avoir immigré. Par exemple, plusieurs parents occupaient deux emplois pour arrondir les fins du mois, et n’étaient pas en mesure de suivre de près le cheminement scolaire de leurs enfants. Ignorant cela, le personnel enseignant se plaignait souvent de la faible réactivité des parents : « Ces parents-là n’ont rien à faire de l ’éducation de leurs enfants, cela ne sert à rien de leur envoyer des communications ! ».

Confuse, je cherchais constamment à expliquer à mes collègues que l’immigration, ce n’est pas un simple déménagement. Comment leur faire comprendre que beaucoup de parents, encore très attachés à leur pays d’origine, ne sont partis que pour offrir une éducation de qualité à leurs enfants ? J’essayais de susciter cette réflexion à travers des conversations individuelles, des activités thématiques, mais la tâche était ardue. Beaucoup n’avaient pas conscience de leurs propres idées préconçues, persuadés que leurs voyages fréquents dans le Sud et leur appréciation de certains aspects folkloriques de différentes cultures étaient des gages de leur ouverture sur le monde.

Avec les parents, j’en apprenais beaucoup. Ils me confiaient la raison de leur hésitation à s’impliquer et de leur méfiance vis-à-vis de l’école : ils avaient l’impression que l’école accueillait leurs enfants, mais ne voulait rien savoir d’eux. Au nom de la sécurité et de l’autonomisation de leurs enfants, les portes de l’école leur étaient fermées, sauf lorsque l’équipe avait besoin de bénévoles. Difficile de développer un sentiment d’appartenance envers une institution qui nous retire toute agentivité ! Cette relation difficile entre l’école et les familles se répercutait bien sûr sur la réussite des élèves puisqu’elle influençait même les attentes du personnel enseignant envers eux.

La relation personnel-élèves

En ce qui concerne la relation du personnel avec les élèves, elle aussi demeure complexe. En effet, surtout en milieu allophone, les enseignantes et enseignants se préoccupent davantage de la maîtrise du français, car à leurs yeux, il s’agit là du chemin obligatoire qui mènera ces jeunes vers leur intégration effective et complète dans la société québécoise. Paradoxalement, c’était là, la bataille la plus difficile pour la francophone que je suis. Je me sentais moi-même presque agressée par les multiples pancartes dans les couloirs rappelant : « C’est en français que ça se passe ici ! ». Sans compter que lorsque par inadvertance les élèves laissent échapper des mots dans d’autres langues, ils se font aussitôt réprimander, y compris dans leurs conversations informelles avec leurs pairs. Quoique ce ne soit pas la méthode que j’aurais privilégiée pour développer l’amour d’une langue auprès des enfants, je comprends presque l’intention derrière. Par contre, quand je me faisais surnommer la "petite diablesse" parce que j’avais eu l’audace d’envoyer des communications bilingues aux parents pour les inviter à un cours de francisation, là j’avais plus de mal à comprendre.

Ainsi, dans ce contexte, le personnel enseignant s’attelle à réaliser deux tiers de la mission de l’école québécoise, à savoir « instruire et qualifier », souvent au détriment de « socialiser ». D’ailleurs, leur charge de travail est telle que « socialiser » se limite souvent à faire la discipline, parfois de manière discriminatoire, et particulièrement envers les petits garçons, qui au moindre écart suscitent des réactions disproportionnées du personnel. J’avais été choquée une fois en entendant les propos d’une secrétaire au sujet d’un élève de maternelle d’origine maghrébine, qu’elle avait qualifiée de « futur terroriste ». Peu importe le comportement d’un enfant de cinq ans, je trouve inacceptable qu’un membre du personnel se permette de tenir de tels propos dans un espace professionnel.

Bref, au risque de caricaturer, le temps est tellement consacré au développement de la capacité à lire, à écrire, à calculer et à discipliner, qu’il n’en reste plus pour préparer les élèves à devenir des citoyennes et citoyens responsables et solidaires.

La relation entre élèves

Au primaire, j’ai pu remarquer la capacité des élèves à développer des affinités assez rapidement selon leurs intérêts communs peu importe leurs origines. Toutefois, comme les relations humaines ne sont pas à l’abri d’un conflit, il arrive que certains élèves vivent des situations d’intimidation ou d’exclusion pour des raisons liées à leurs différences réelles ou perçues.

S’il est vrai que les écoles envoient des messages clairs de tolérance zéro à la violence et à l’intimidation, le personnel est souvent peu outillé d’abord pour les détecter et ensuite pour y répondre concrètement. Par exemple, les commentaires racistes, plus insidieux, peuvent facilement passer inaperçus, considérés alors comme de simples « chicanes de jeunes ». Parfois, ce type de violence verbale est balayé d’un revers de la main, ou réglé individuellement, au lieu d’être utilisé comme occasion d’apprentissage pour l’ensemble des élèves.

Je pense notamment au jour où ma fille, en maternelle, m’a raconté qu’une élève avait refusé de jouer avec elle en lui disant qu’elle était « allergique à la couleur de sa peau ». J’ai alors été étonnée de n’avoir reçu aucune communication de la part de son enseignante. Pour moi, cet incident représentait de la violence verbale au même titre que des menaces, surtout compte tenu de l’effet que cela pouvait avoir sur l’estime de soi. Déjà à 5 ans, ma fille avait à plusieurs reprises pris conscience que sa peau noire pouvait susciter chez certaines personnes des réactions négatives. Il fallait donc absolument aborder le problème. Après quelques tentatives pour la rencontrer, l’enseignante bien intentionnée mais débordée, m’avait reçue et m’avait expliqué les mesures qu’elle avait prises pour régler le problème. Elle m’a aussi confié qu’en 20 ans d’enseignement, elle n’avait jamais eu à faire à une telle situation, ce qui m’a emmenée à lui parler de mon travail et des avantages d’intégrer les valeurs des droits humains dans la pratique éducative. Elle m’a ensuite invitée à animer une activité sur l’inclusion, et restait ouverte lorsque j’avais des suggestions de ressources à partager avec la classe, telles que de la littérature jeunesse sur l’estime de soi. Nul besoin de préciser que mon cœur de maman africaine vivant au Québec a été marqué à jamais par cette belle expérience.

UNE APPROCHE FONDÉE SUR LES DROITS HUMAINS COMME PRATIQUE ÉDUCATIVE

Alors, devant ce beau bilan que faire ? Évidemment, tout n’est pas gris dans nos écoles ! J’ai eu la chance de côtoyer des enseignantes et enseignants, des travailleuses sociales, des techniciennes en éducation spécialisée, des psychoéducatrices, des orthophonistes et des conseillères pédagogiques hors pair. Souvent avec très peu de moyens et une tâche ardue dans ces milieux aux multiples défis, ces personnes déterminées collaboraient pour fournir aux familles une aide plus que précieuse. J’ai été témoin à plusieurs reprises du suivi psychosocial, de l’écoute, du soutien scolaire et du dépannage alimentaire d’urgence - car oui, des enfants qui ne mangent pas à leur faim, ça existe à Montréal ! - que ces personnes offrent aux familles, dans un climat de coupures budgétaires qui menace leur présence dans les écoles. Tout cela a réellement ravivé le respect que j’avais au départ pour l’école publique québécoise.

Je ne pense pas qu’une seule solution suffise à se débarrasser de tous les défis décrits ici. Toutefois, mon expérience en éducation aux droits humains auprès de jeunes et d’adultes au Sénégal m’a confirmé les avantages d’adopter une approche fondée sur les droits humains dans toute pratique éducative. En se fixant comme objectif la réalisation de tous les droits humains, une telle approche emmène les membres du personnel à reconnaître leurs responsabilités auprès des apprenantes et apprenants. Parallèlement, elle nécessite la participation active de chaque individu dans leurs propres processus d’apprentissage et les emmène à intégrer les valeurs des droits humains dans leur quotidien. Elle repose sur six éléments : la participation, les liens avec les droits, l’autonomisation, la non-discrimination, l’égalité et la responsabilisation, regroupés sous l’acronyme PLANER (1). Pour intégrer une telle approche, les membres du personnel doivent se poser un certain nombre de questions lors de la planification de leurs activités avec les jeunes :

- Qui sont nos élèves ? Comment encourager la participation de tous et toutes ? (Participation)
- Quels principes et valeurs des droits humains sont à considérer ? Comment intégrer ces valeurs dans la pratique ? (Liens avec les droits)
- Quelles sont les forces des élèves ? Quelles connaissances ou compétences ont-ils besoin de renforcer ? Comment utiliser les forces des uns pour appuyer les autres ? (Autonomisation)
- Quels élèves pourraient être exclus ou discriminés ? Par qui ? Comment prévenir cela ? (Non-discrimination et Égalité)
- Quelles sont mes obligations en tant que membre du personnel ? Quelles sont les droits et devoirs des élèves ? Comment leur faire connaître leurs droits et leurs devoirs ? (Responsabilisation)

Concrètement, ce type de questionnement peut par exemple emmener une enseignante à fixer des règles de conduite avec ses élèves, à définir le contenu de ses cours à partir de leur vécu, à changer la disposition de sa classe pour répondre à un besoin particulier d’un élève, etc. Les possibilités sont multiples ! Une chose reste certaine, l’intégration d’une approche fondée sur les droits nécessite forcément une remise en question des croyances, des privilèges et des pratiques d’enseignement axées sur le mode de « l’expert ». Dans ce contexte, l’apprentissage est mutuel et l’enseignante doit être prête à poser les bonnes questions plutôt que de chercher à donner les bonnes réponses.

Equitas et le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme définissent l’éducation aux droits humains comme « (…) l’acquisition ou le renforcement de compétences nécessaires pour appliquer les droits de l’homme de façon pratique dans la vie quotidienne, le développement des valeurs, le renforcement des attitudes et des comportements qui font respecter les droits de l’homme et les mesures, ainsi que l’adoption de mesures permettant de défendre et de promouvoir les droits de l’homme. » (2) Il ne s’agirait donc pas seulement d’instruire ou de qualifier, mais bel et bien de former des adultes capables de vivre en société, au Québec ou ailleurs, tout en respectant les droits de tous et toutes.

Pour ma part, ce qui me passionne le plus dans mon travail, c’est que j’en apprends autant des expériences des participantes et participants qu’ils n’apprennent des miennes. Et je suis convaincue que si nos écoles étaient à l’écoute des expériences des élèves, et qu’elles s’attelaient à préparer des jeunes à vivre dans le monde, alors les séjours dans le Sud, qui ne sont pas à la portée de tous et toutes ne seraient pas la voie privilégiée pour renforcer la solidarité internationale, elle se développerait ici-même, à la maison !

L’autrice s’exprime ici à titre personnel.

Crédit photo : École élémentaire Mathieu-da-Costa

Notes

(1) Equitas. (2017). Guide d’action Andandoo pour une meilleure participation citoyenne des jeunes et des femmes au Sénégal. Pages 171-175.

(2) Equitas et Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme (2011). Évaluer les activités de formation aux droits de l’homme. Page 9.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Véronique Brouillette

Conseillère à la Centrale des syndicats du Québec

Article paru dans la revue Vie pédagogique, no 154, mai 2010 à la suite du colloque « Comment parler d’avenir aux jeunes ? » organisé par le mouvement des Établissements verts Brundtland de la CSQ

Pour une pédagogie de l’espoir...

Observer la réalité, aujourd’hui, c’est faire le constat que la Terre et ses habitant-e-s sont malmenés : pauvreté, pollution, changements climatiques, crise de l’eau, crise du pétrole, crise alimentaire, inégalités, guerres, la liste pourrait être longue… Analyser cette réalité est autrement plus complexe, puisque tous ces problèmes, d’envergure planétaire et imbriqués les uns dans les autres, auront des répercussions sur les générations futures. Dans ce contexte, comment parler d’avenir aux jeunes sans tomber dans les discours alarmistes ou sombrer dans le cynisme ? Comment leur donner le goût de s’engager pour un avenir viable et de contribuer à transformer notre réalité, à agir concrètement pour bâtir un monde meilleur ?

Étrangement, la question des impacts des crises sur la santé physique et psychologique des jeunes est très peu documentée, comme le faisaient remarquer Richard Kool et Elain Kelsey, de la Royal Roads University, en 2005 (1). Ces derniers notaient également que le terme espoir était pratiquement absent de la revue de littérature anglophone en éducation relative à l’environnement. Est-ce parce que la notion d’espoir ne revêt pas un caractère assez scientifique pour l’étudier ? Pourtant, il s’agit là d’une question fondamentale pour quiconque travaille en éducation, en environnement, en éducation relative à l’environnement ou pour toute autre personne qui croit qu’un autre monde est possible. Inspirés des travaux de ces chercheurs, le mouvement des Établissements verts Brundtland et la Fondation Monique-Fitz-Back pour l’éducation au développement durable (2) ont invité des spécialistes, des éducateur-rice-s et des organismes de tous horizons à se pencher sur ce sujet, en organisant le colloque « Comment parler d’avenir aux jeunes ? », en février 2009 (3). Un des objectifs du colloque était de construire ensemble les fondements d’une nouvelle pédagogie, la pédagogie de l’espoir. Le colloque s’est décliné selon les trois principaux temps de la pédagogie de la conscientisation de Paolo Freire : observer la réalité, l’analyser et la transformer.

Observer la réalité : l’avenir vu par les jeunes

Nous vivons actuellement une crise environnementale sans précédent. Les scientifiques et les expert-e-s peuvent nous le démontrer, preuves à l’appui. La planète se réchauffe, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, des catastrophes climatiques sont à prévoir, la planète étouffe. C’est un fait difficile à contester, les médias, groupes environnementaux et éducateurs sont là pour nous le rappeler. Dans ce climat d’incertitude, quelles sont les attitudes des jeunes à l’égard de l’environnement ? Quelle est leur vision du monde ? Est-elle fondée ? Sont-ils optimistes ou pessimistes face à l’avenir ? Comment évaluent-ils l’état de l’environnement et croient-ils qu’il peut s’améliorer ? Pour répondre à ces questions et mieux connaître les préoccupations des jeunes sur le sujet, la Fondation Monique-Fitz-Back a effectué –avec l’aide de Gilles Pronovost, professeur émérite de l’Université du Québec à Trois-Rivières ayant réalisé plusieurs études sur les valeurs des jeunes – une vaste enquête auprès de 3 000 élèves québécois de la 5e année du primaire à la 5e année du secondaire (4).

On y apprend que les jeunes sont pessimistes quant à l’avenir. La majorité des répondant-e-s estiment que dans vingt ans, la situation sera pire, quel que soit le thème proposé : pollutions diverses, changements climatiques, épuisement des ressources, etc. Moins de la moitié (43 %) se disent « confiant-e-s » ou « très confiant-e-s » relativement à ce que sera le monde dans vingt ans. Quant au rôle des personnes ou institutions, aux yeux des jeunes, ce sont les groupes environnementaux qui posent le plus de gestes pour préserver l’environnement. Une faible majorité reconnaît les efforts de leur école, qui arrive au deuxième rang. Le tiers des répondant-e-s portent un jugement favorable envers leurs parents, mais ils sont très critiques à l’égard des jeunes de leur âge, des adultes et des médias. Les gouvernements et les entreprises se situent très bas dans leur évaluation.

Dans une répartition selon les sexes, l’analyse des données montre que les filles sont généralement plus pessimistes que les garçons. D’autre part, l’indice de confiance en l’avenir du monde chute de moitié entre 10 et 17 ans et les jeunes sont aussi plus critiques par rapport à leurs semblables en vieillissant. Mais ce sont les plus jeunes qui sont les plus préoccupés par les questions environnementales et ils sont plus nombreux à déclarer que leur école leur permet de participer à des activités de nature environnementale.

On constate heureusement qu’ils croient qu’il est possible de poser des gestes individuels ou collectifs, 95 % étant tout à fait d’accord ou d’accord avec l’affirmation :
« L’environnement peut s’améliorer beaucoup si les individus changent leurs habitudes de consommation. » Les jeunes reconnaissent aussi le rôle de l’éducation et de leur école, 77 % estimant que, « pour améliorer l’environnement, les gens ont besoin de plus d’information et d’éducation » et 73 % affirmant que « l’on parle souvent d’environnement dans le contexte de différents cours à l’école ».

Fait intéressant, les jeunes qui déclarent que leurs parents font des gestes concrets à l’égard de l’environnement se déclarent plus optimistes par rapport à l’avenir, ils - elles se disent plus préoccupé-e-s par les questions environnementales et sont deux fois plus nombreux-euses à juger « très important » de se sentir utiles à la société quand ils-elles seront adultes. On observe aussi que les jeunes qui sont plus actif-ve-s sur le plan culturel ou en matière d’activités physiques ont plus de chances d’être plus actif-ve-s et conscient-e-s à propos des questions environnementales.

Les résultats de ce sondage nous montrent que les jeunes sont conscient-e-s des problèmes environnementaux qui les entourent ; mais ils-elles sont réalistes, voire plutôt pessimistes, quant à l’avenir de la planète. Ils-elles posent un jugement généralement négatif sur le niveau de conscience environnementale et d’implication des jeunes de leur entourage. Le portrait n’est toutefois pas si sombre, car ils-elles croient qu’il est encore temps de changer les comportements pour améliorer la santé de la planète.

Analyser la réalité : des pistes pour une pédagogie de l’espoir

L’avenir préoccupe les jeunes. On peut s’en inquiéter, mais on peut s’en réjouir aussi : ils-elles sont conscient-e-s du monde dans lequel ils-elles évoluent. Mais concrètement, que pouvons-nous faire en tant qu’éducateur-rice-s, ou simplement en tant qu’adultes, pour éviter le piège du cynisme ou du défaitisme ? Comment sensibiliser les jeunes aux problèmes environnementaux de façon réaliste tout en leur donnant l’espoir de pouvoir faire. S’intéresser à l’environnement, c’est voir au respect de la nature et, par le fait même, combattre les menaces réelles qui planent sur son équilibre. Dès lors, on affronte une réalité empreinte de dangers, de menaces et de pertes : dégradation de l’environnement, sécheresses, famines, pollution, épidémies, toxicité, contamination, appauvrissement, maladies, espèces en voie de disparition, déchets, catastrophes naturelles, etc. Ces problèmes suscitent des émotions, des réactions de crainte et d’angoisse. Or, avant Kool et Kelsey, très peu de chercheur-e-s s’étaient penché-e-s sur les conséquences émotionnelles de la crise environnementale. Pourtant, même si on souscrit au principe voulant qu’on évite de parler de tragédies à des enfants de dix ans ou moins (5), force est de constater que les questions environnementales peuvent perturber les jeunes et même les adultes.

Dans la conférence qu’il prononçait au colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ?, Richard Kool comparait la réaction de l’humain face à la peur à celle de l’animal : devant le danger, ce dernier se bat, fuit ou paralyse. L’inaction ou la négation des problèmes est une forme de paralysie ; or l’état de paralysie crée un sentiment d’impuissance. Fuir les problèmes ? Pour aller où ? Les problèmes environnementaux sont planétaires… La seule solution est de lutter, de se battre. Mais se battre contre qui, et contre quoi ? Quand le danger est près de nous, on peut réagir rapidement. Par contre, s’il semble plus loin, on a le temps de réagir, de planifier la lutte. Les jeunes n’ont pas à porter le poids des problèmes mondiaux, mais ils doivent savoir qu’ils font partie de la solution. Comme éducateur-rice-s, nous devons dire aux jeunes que leurs efforts sont efficaces, qu’ils portent fruit. C’est l’impression d’inefficacité qui mène au sentiment d’impuissance et à l’apathie.

Diane Pruneau, professeure à l’Université de Moncton, a qualifié ce sentiment d’impuissance exprimé par les jeunes de « faible autoefficacité collective », l’autoefficacité étant définie comme « la croyance partagée par un groupe en ses capacités conjointes d’organiser et d’exécuter les actions nécessaires pour produire un niveau donné de réalisations » (6). Selon Madame Pruneau, une des solutions pour renforcer l’espoir chez les jeunes serait de développer chez ces derniers une autoefficacité collective résiliente. Elle suggère de leur fournir l’occasion de poser un geste pour l’environnement (nettoyer les berges d’une rivière, faire un jardin dans la cour d’école, ou tout autre projet de ce type), de souligner le succès de cette action, de présenter des modèles significatifs de groupes qui ont réussi une action environnementale, d’encourager la pensée positive (tous les petits gestes comptent, c’est nous qui avons créé les problèmes environnementaux, nous pouvons les résoudre), ainsi que de développer leurs compétences environnementales (pensée prospective, résolution créative de problèmes, etc.).

Thérèse Baribeau, cheffe du Musée de l’environnement, à la Biosphère d’Environnement Canada, s’est aussi intéressée au concept de la résilience dans son approche de l’éducation relative à l’environnement et dans sa contribution à la construction d’une pédagogie de l’espoir. La résilience, concept popularisé par le psychiatre Boris Cyrulnik, a été définie par Christine Genest comme la « capacité de rebondir, de croître ou d’apprendre lorsque confronté à une situation perçue comme un défi ou provoquant un stress nécessitant une mobilisation d’énergie » (7). Elle croit que, les attributs de la résilience sont la perception de contrôle sur la situation, la souplesse, l’ouverture vers le futur, les attitudes prosociales et la capacité à donner un sens à l’expérience. L’espoir, quant à lui, permet de fixer des buts, de se projeter dans le futur et de faire des plans, tout en procurant un sentiment de sécurité. L’espoir est nécessaire à la résilience. Il revient donc aux adultes et aux éducateur-rice-s de transmettre ce sentiment d’espoir, de susciter une confiance en nos capacités et habiletés et dans les ressources qui nous entourent, de penser à l’avenir et de favoriser une issue favorable. Une des façons les plus efficaces de susciter cet espoir créateur est de mettre les jeunes en action et de « construire l’espoir avec lucidité », comme le propose Lucie Sauvé dans son approche de l’éducation relative à l’environnement.

Transformer la réalité : passer de la parole à l’action

Au terme du colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ?, un comité d’expert-e-s (8) s’est réuni pour pousser plus loin la réflexion sur ce que pourraient être les fondements de la pédagogie de l’espoir, une approche qui reste à inventer. Les membres du comité en sont rapidement venus à la conclusion que la question à la base du colloque était peut-être mal posée et que l’on aurait plutôt dû se demander : « Comment construire l’avenir avec les jeunes ? ». Après deux journées de conférences et d’ateliers sur les façons de parler d’avenir aux jeunes, un élément faisait consensus : l’apprentissage se fait par l’action. En éducation pour un avenir viable, ce constat est encore plus frappant. C’est par l’action concrète que les jeunes peuvent ressentir le pouvoir de changer les choses, de donner un sens à la vie, à leur vie. Heureusement, le Québec compte des groupes, des associations et des organismes qui font des choses formidables pour sensibiliser les jeunes aux questions environnementales et sociales et surtout, pour les encourager à s’engager pour un monde meilleur. Les écoles fourmillent d’activités en éducation pour un avenir viable et les jeunes s’y intéressent et y participent.

Un autre élément faisait l’unanimité : il faut faire confiance aux jeunes, leur donner la parole, les écouter, les reconnaître et les valoriser. Les jeunes partagent les mêmes craintes que les adultes quant à l’avenir de la planète, les mêmes incertitudes. L’importance des liens humains prend tout son sens dans ce contexte. Un jeune doit pouvoir s’appuyer sur un adulte en qui il-elle a confiance et cette confiance doit être réciproque.

Réhabiliter l’espoir pour changer le monde…

La pédagogie de l’espoir reste à inventer. Le colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ? a permis de poser les premiers jalons de cette nouvelle et nécessaire approche multidisciplinaire. L’époque dans laquelle nous vivons est marquée par l’imbrication de crises multiples et de problèmes planétaires qui souvent nous dépassent. Évitons de tomber dans le piège du cynisme, si présent de nos jours, et réhabilitons l’espoir !
Il faut du courage pour vouloir changer le monde, et surtout, il faut y croire. Les jeunes y croient, croyons-y aussi et aidons-les à cultiver l’espoir d’un monde meilleur. « L’utopie, c’est la réalité de demain », disait Victor Hugo…

Crédit photo : Les Établissements verts Brundtland de la CSQ

Notes

(1) Richard Kool et Elin Kelsey, Affronter le désespoir : les conséquences psychologiques des questions environnementales, conférence présentée au 3e Congrès mondial sur l’éducation à l’environnement, à Turin, en Italie, en octobre 2005.

(2) Le colloque s’inscrivait dans le contexte de la 6e édition du Carrefour de la citoyenneté responsable, sous la présidence d’honneur de la Commission canadienne pour l’UNESCO, en collaboration avec Recyc-Québec, Oxfam-Québec et sa division jeunesse, le Club 2/3, l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec, la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants, ainsi que la Biosphère d’Environnement Canada.

(3) Les actes du colloque ainsi que plusieurs documents de référence, incluant l’article de Kool et Kelsey et les résultats du sondage sur les attitudes des jeunes à l’égard de l’environnement et de l’avenir, se trouvent sous l’onglet « Carrefour de la citoyenneté responsable » du site [www.evb.csq.qc.net].

(4) Les résultats préliminaires du sondage peuvent être consultés dans les actes du colloque, sous l’onglet « Carrefour de la citoyenneté responsable » du site [www.evb.csq.qc.net].

(5) D. Sobel, Beyond ecophobia : Reclaming the heart in nature éducation, Orion, 1995 (cité dans Kool et Kelsey).

(6) A. Bandura, Autoefficacité : le sentiment d’efficacité personnelle, Freeman and Company (2003), cité dans D. Pruneau, « Développer l’autoefficacité collective pour cultiver l’espoir, en éducation à la viabilité », dans les actes du colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ?, 2009.

(7) C. Genest, La résilience des familles endeuillées par le suicide d’un(e) adolescent(e), conférence du CRISE, dans T. Baribeau, actes du colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ?

(8) Voir la « Déclaration du Collectif pour une pédagogie de l’espoir », sous l’onglet « Carrefour de la citoyenneté responsable », dans le site [www.evb.csq.qc.net].



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Stéphanie Didier

Doctorante en didactique, Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université de Montréal (1)

« Il faut faire sentir aux élèves qu’il y a des contradictions à dépasser, un débat à trancher, une énigme à déchiffrer, que tout n’est pas transparent et simple, mais que la raison peut et doit agir, aussi partiels et provisoires ses résultats soient-ils. » (Éthier, Le Devoir, février 2014).

L’enseignement des sciences sociales centré sur la discussion en classe d’une question sensible ou d’un enjeu de société est considéré depuis longtemps comme la meilleure approche pour préparer les citoyennes et les citoyens de demain à raisonner ensemble et prendre des décisions sur le bien commun (Parker et coll., 1989, cité dans Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.57). Les problèmes sociaux étant controversés, mal structurés et multi-logiques (Parker et coll., 1989 ; Perkins et coll., 1983), ils requièrent des réponses nuancées et un type de raisonnement différent de celui des problèmes plus limités de la science ou des mathématiques (Perkins, Allen et Hafner, 1983). L’approche par le débat à l’école
(2) donne l’occasion aux élèves de mettre en question leurs propres points de vue en étant exposés à celui des autres. À l’appui de sources et de documents valides partagés avec leurs pairs, elles-ils peuvent construire un jugement plus raisonné face à l’enjeu posé et disposent ainsi de plus de possibilités pour réfléchir à des solutions adaptées à des situations complexes.
Un petit nombre de recherches empiriques auprès des jeunes démontre que, dans les pays en guerre ou fortement divisés par des positions émotionnelles profondément ancrées, ce type d’enseignement favorise une conscience plus ouverte à la différence de penser de l’autre. En conséquence, il a le potentiel d’encourager le développement des facultés critiques pouvant être utiles, par la suite, pour se prémunir contre l’adhésion à un discours de persuasion (McCully, 2017, p.161).
Il reste que cette approche est encore peu développée dans les classes. Stimulant pour certains enseignant-e-s qui tentent des nouvelles pratiques (p.ex. le blogue en univers social (3)), ce projet peut aussi être perçu comme une entreprise périlleuse pour d’autres, en plus d’être encore l’objet de bien des critiques. Certains enseignant-e-s choisissent de pratiquer l’autocensure afin d’éviter de heurter les croyances religieuses ou culturelles de leurs étudiant-e-s (Fortier, Le Devoir, février 2018). Au nombre des contraintes répertoriées, le manque de repères et de modèles pour mettre concrètement en place une activité de débat en classe, apparait en être un de taille (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.58).
Cet article vise précisément à donner un aperçu de la manière dont des enseignante-s ont utilisé cette technique en classe, quels moyens pédagogiques elles-ils ont mis en place pour faciliter la participation des élèves et les résultats qu’elles-ils ont pu observer chez leurs élèves.
Avant de présenter les situations concrètes de débat en classe, il sera rappelé brièvement les fondements de cette approche et ses liens de parenté avec l’éducation basée sur l’enquête et la pédagogie critique. Cette mise en perspective permettra de mieux comprendre pourquoi aborder des enjeux sociétaux à l’école, quels sont les objectifs d’apprentissage poursuivis, et comment amener les élèves à les traiter.
L’enseignement favorisant l’approche par le débat est un objet de recherche inépuisé. Il reste encore bien des questions à élucider avant d’affirmer qu’il permet à la fois le changement social et le développement des compétences disciplinaires. Notre intention n’est pas d’en faire un mo-dèle unique à adopter mais plutôt de contribuer à élargir le champ des possibles pour faire des salles de classe, des endroits où tous les élèves apprennent les connaissances, les compétences et les dispositions nécessaires pour agir comme citoyennes et citoyens dans une société démocratique (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.73).


Aux fondements de cette approche
L’enseignement par le débat sur des questions socialement vives (4) ou controversées est orienté par le développement du pouvoir d’agir des élèves. Il en appelle à leur capacité à réfléchir à partir d’arguments textuels (documents et sources primaires et secondaires) et oraux, à être critiques par rapport à ces arguments et à imaginer des solutions qui auront dès lors un sens pour elles-eux. Il s’inscrit dans un modèle éducatif porté par des penseurs comme Dewey qui considèrent la connaissance non pas comme un contenu, mais comme une pratique orientée par la résolution d’un problème mettant en œuvre des moyens pour parvenir à cette fin (Gros, 2011). Loin d’être un détail, cette distinction marqua pendant longtemps (et marque encore !) des façons de voir différentes dans l’enseignement et l’apprentissage d’une discipline. Si l’on considère l’histoire, plutôt que d’être perçue comme une vérité à transmettre appuyée par un « stock » de connaissances à mémoriser du passé, l’histoire peut aussi être appréhendée comme une réalité à interpréter à partir d’une question que l’on se pose. Il faut alors apprendre à mettre en œuvre une méthode systématique d’enquête consistant à se livrer concrètement à la recherche de sources valides, leur analyse, leur corroboration, et à ouvrir la discussion avec ses pairs.
L’enseignement par le débat a un lien de parenté étroit avec cette conception de l’apprentissage qui place la pratique d’enquête au centre de l’apprentissage. Il est d’ailleurs souvent associé à l’étude d’un évènement marquant dans l’histoire et s’appuie sur l’actualisation du problème sou-levé, en vue de répondre aussi à des préoccupations du présent. En étant plongés dans un travail d’enquête sur un évènement historique par exemple, les élèves repèrent des continuités ou des ruptures dans leurs réalités quotidiennes, ce qui les engage dans un processus actif de réflexion qui les éclaire aussi sur leur réalité présente.
Dans ce processus, l’usage de la raison ne suffit pas pour Dewey. L’imagination et l’émotion des élèves interviennent pour une part essentielle (1939/2011, p.58-59). C’est en effet en ayant la possibilité d’imaginer des solutions qui ne sont pas réalisées dans leur réalité quotidienne que les élèves peuvent prendre conscience des pressions qui s’exercent sur elle (Dewey, 1939/2011, p.59). Ce processus mettant l’accent sur le pouvoir d’agir de l’élève à travers l’examen critique des situations problématiques a une dimension politique chez Dewey (1939/2011, p.48). C’est le moteur de la participation des citoyennes et citoyens au « vivre-ensemble ».
Loin d’être une simple technique, le dialogue qui s’engage lors du débat fait partie du processus d’émancipation des opprimé-e-s pour les tenants de la pédagogie critique comme Paulo Freire (1970/2018, cité dans Parkhouse, 2018, p.277). En se libérant de la vérité prodiguée par le-la professeur-e unilatéralement, au profit d’une relation d’analyse engagée réciproquement, l’apprentissage se réalise comme pratique de la liberté. La méthode est ainsi cohérente avec la finalité de créer une société plus juste. La discussion des idéologies et des récits dominants présents dans la réalité quotidienne des élèves, crée les conditions pour que les élèves recon-naissent qu’ils ont du pouvoir pour changer les choses (Ross, 2016, p.218, cité dans Parkhouse, 2018, p.279) et tente ainsi d’endiguer le cynisme et la frustration vécus par les élèves.
Au Québec, depuis le rapport Parent (1961-1964), l’histoire scolaire affirme viser à « former des citoyennes et citoyens plus autonomes, critiques et rationnels » (Éthier, Cardin et Lefrançois, 2014, p. 89). L’enseignement de l’histoire doit développer l’esprit critique et assurer que l’élève une fois sorti de l’école ne participe pas de façon aveugle au destin collectif (Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, 1965, cité dans Éthier, Cardin et Lefrançois, 2014). Ce n’est qu’au début des années 2000 que le projet tend à prendre forme avec l’implantation, non sans heurt, d’un nouveau curriculum dans les écoles primaires et secondaires du Québec qui introduit l’éducation à la citoyenneté dans l’enseignement de l’histoire. Rompant avec la vision du savoir « substantialisé » à transmettre aux élèves par des activités de répétition et de mémorisation, l’approche qui imprègne les nouvelles orientations curriculaires consacre le fait qu’il ne suffit pas toujours d’émettre de l’information pour que les élèves l’apprennent. C’est dans ce contexte que des expériences de débat ont pris forme au Québec.
Les deux expériences de débat présentées ici, ont été choisies car elles précisent de façon dé-taillée le déroulement de l’activité en tenant compte du contexte de classe. Toutes deux traitent d’un enjeu de société à partir d’un événement historique et sont réalisées par des élèves de niveau secondaire.
La première expérience se déroule au Québec et vise à utiliser la période des années Duplessis afin d’amener les élèves à réfléchir aux effets des groupes d’influence sur les décisions de l’État représentant le pouvoir officiel. La seconde expérience se déroule aux États-Unis. Il s’agit d’un débat portant sur les raids de Palmer de 1920, qui amène les élèves à se poser la question de savoir quand le gouvernement est-il justifié de limiter les libertés civiles ? (Brush, Kohlmeier, Mit-chell, Saye, 2011, p.60).

Comment le débat en classe se déroule dans chacune de ces expériences ?
Le procès de Duplessis est un projet développé au début des années 2000 dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté de la 4e secondaire visant à développer la compétence « interpréter les réalités sociales à travers la méthode historique » (Jean, 2014). Il s’agit bien entendu d’un procès fictif qui n’a jamais eu lieu dans les faits. La question posée aux élèves est la suivante : Maurice Duplessis était-il un bon Premier Ministre pour le Québec ?
À travers cette question, l’intention est de permettre aux élèves de comprendre la période des années Duplessis qui est une occasion aussi d’illustrer le tiraillement des différents groupes so-ciaux dans la société et leur influence sur les gouvernements en place (5).
L’activité prend la forme d’un jeu de rôle où les élèves, divisés en équipes, incarnent différents personnages et groupes de la société civile qui étaient pour ou contre le gouvernement de l’Union Nationale : le syndicat mais aussi des personnages comme Maurice Duplessis lui-même, Mgr. Joseph Charbonneau, Laurent Barré, ministre de l’Agriculture dans l’Union Nationale, Adélard Godbout, ex-premier ministre du Québec de 1939 à 1944 et grand rival de Maurice Duplessis (6). Une première partie du procès permet aux groupes défavorables au pouvoir officiel de présenter les mesures néfastes qui ont été mises en place et ses effets sur la société. Puis lors du contre-interrogatoire, l’avocat de l’ex-premier ministre du Québec contre-interroge Maurice Duplessis, ce qui permet de faire ressortir toutes les mesures mises en place par le gouvernement de l’Union Nationale. Vêtu d’une toge et muni d’un maillet, l’enseignant-e joue le rôle du juge, qui, au terme du procès, se prononce sur la question posée. Il a ainsi l’occasion de faire la synthèse des arguments servant de contenu à transmettre. Les élèves disposent ainsi d’un portrait nuancé de l’héritage de ce gouvernement tout en faisant l’expérience des différents rapports de force entre les groupes de la société civile.
Dans l’expérience états-unienne, le débat prend la forme d’une audience devant le Congrès des sénateurs au sujet des arrestations de socialistes, d’anarchistes et de militants syndicaux, or-chestrées par le procureur général A. Mitchell Palmer, plus connu sous le nom des raids de Palmer de 1920 (Brush, Kohlmeier, Mitchell, Saye, 2011, p.60). Divisés en sous-groupes, les élèves doivent débattre de la question selon laquelle les raids étaient justifiés, avec en toile de fond la réflexion mettant en tension les principes de liberté et ceux reliés à la sécurité nationale.
Pour ce faire, ils ont des rôles à jouer (avocat, membre du comité du Congrès, sénateur, artiste graphique) avec au préalable le mandat d’analyser le point de vue d’un personnage de la société de l’époque représentant une position pro ou anti gouvernementale : A. Mitchell Palmer, Henry Ford, propriétaire d’une petite entreprise, un policier pour incarner des positions favorable au gouvernement de Palmer ; Eugene Debs, Emma Goldman, un travailleur immigré, et un prêtre pour incarner des positions Anti-gouvernement (Appendice A dans Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.77).
Le travail d’enquête se réalise donc en trois « étapes » : 1) les élèves doivent adopter une pers-pective historique et comprendre les positions et les opinions des personnes historiques à l’étude ; 2) ils doivent formuler en équipe les arguments que ceux-ci ont vraisemblablement formulés sur le bien-fondé ou non des raids de Palmer ; 3) ils doivent exercer leur raisonnement dialectique (confrontation d’arguments contradictoires) en défendant leur argument devant une assemblée d’auditeurs. Lors de l’audience publique, la classe entend le témoignage des huit témoins, écoute l’avocat poser des questions, puis les sénateurs sont libres de débattre avec les personnages historiques mis en scène. À la fin de l’audience, tous les élèves jouent le rôle du sénateur qui défend son point de vue dans une lettre adressée à ses électeurs avec la preuve de l’audience à l’appui, afin de requérir leur vote sur la question centrale. L’activité permet ainsi que tous les élèves puissent comprendre l’ensemble des points de vue (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.77).
Dans cette expérience de débat, l’enseignante ne joue pas de rôle comme tel mais accompagne ses élèves dans leur préparation. Elle a cependant montré l’exemple d’une performance de qua-lité ce qui a permis de fournir aux élèves des attentes claires d’exactitude historique et la néces-sité de se mettre dans la peau des personnes à l’étude en adoptant une perspective historique (Wiggins, 1993, cité dans Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.65).

Comment l’enseignant-e met en place l’activité avec des élèves ayant des difficultés de lecture ou un manque d’intérêt pour l’école ? : les moyens pour contourner les obstacles en tenant compte du contexte de la classe
Comment faire en sorte que le problème à l’étude devienne un problème pour les élèves ? L’une des craintes souvent avancées par les enseignant-e-s dans l’exploration d’activités nouvelles est que les élèves ne sachent pas quoi faire ou ne fassent pas l’effort d’essayer de faire l’activité (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.63). Quelle souffrance pour l’élève d’être 75 minutes dans un cours où il n’a pas d’intérêt et dont il ne voit pas, en bout de ligne, ce qu’il lui apportera dans la vie ? (7) Quelle souffrance quand s’ajoutent à son manque d’intérêt, des difficultés de lecture et de compréhension écrite ! Comment dans ce cas, gérer la lecture complexe, l’empathie, l’argumentation et l’analyse nécessaires chez ses élèves afin qu’ils débattent avec succès de la question posée ? Comment ce type d’activité qui repose sur la prise en main de l’apprentissage par les élèves, peut-il se réaliser dans un tel contexte ?
C’est du point de vue de l’enseignant-e un défi qui requiert de se mettre à la place de ses élèves et d’aller au-delà des contenus et de ce qu’on a à enseigner. Alors on explore, on essaie d’être original, on planche, on se met à table, on prend des papiers et on réfléchit : comment puis-je intéresser mes élèves à la matière ? Qu’est-ce que j’enseignerai cette fois-ci, peut-on faire quelque chose avec cette période ? Y a-t-il des sujets plus malléables pour faire une activité ? (8) Quand on est enseignant-e, on ne peut pas laisser ses élèves plongés dans l’ennui ou dans l’échec. On n’est pas devenu enseignant-e pour vivre cela. La première intention est d’augmenter la probabilité de réussite à l’examen et d’aller chercher un maximum d’élèves à rester en classe et à réussir l’examen de fin d’année(9).
Aller chercher les élèves, là où ils sont : introduction d’un évènement qui leur parle
Il faut aussi aller chercher les élèves là où ils sont, en faisant un parallèle avec leur réalité quoti-dienne et susciter chez eux l’envie d’agir. L’introduction d’un évènement « accrocheur » (« grabber ») a été utilisé par l’enseignante dans l’expérience états-unienne et a permis que la question posée devienne un véritable problème à résoudre pour les élèves. L’interdiction par le directeur d’une soirée d’étudiants à la suite de problèmes de sécurité survenus la veille a servi de transposition de l’évènement des raids de Palmer (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.64). L’enseignante a ensuite mené une discussion sur l’équité de cette décision, parallèlement aux arguments entourant les raids de Palmer. En revêtant une pertinence personnelle pour ses élèves, ce grabber les a amenés à discuter de la question centrale des libertés individuelles et de la sécurité collective et à maintenir leur motivation pour élaborer plusieurs points de vue selon l’enseignante : « (…) ils se sont vraiment impliqués dans cette réflexion. (…) Ils ont vraiment pris cela à cœur. (…) Cela a vraiment aidé à voir l’importance de la question et à considérer les deux parties parce qu’ils (les élèves) étaient personnellement liés à la question » (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.64).

L’assignation des rôles en vue d’obtenir un travail de groupe efficace qui tienne compte de la capacité des élèves
L’assignation des rôles s’est réalisée de manière différente dans chacune des expériences. Dans le cas québécois, ce sont les élèves qui choisissent le personnage ou le groupe qu’ils veulent incarner. Dans l’expérience états-unienne, plutôt que de laisser les élèves choisir leur rôle, c’est l’enseignante qui a assigné un rôle à chacun, en tenant compte de leurs capacités et de leurs styles d’apprentissage dans l’expérience. L’enseignante a aussi choisi de regrouper les élèves en s’assurant qu’il y ait au moins un élève fort dans chaque groupe, qui assumerait un rôle de leadeurship dans le groupe. Cette décision a selon elle permis de faire en sorte que toute la classe en bénéficie (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.67-68).

La planification d’échafaudages savamment orchestrés par l’enseignant-e
Dans chaque expérience, les enseignant-e-s ont préparé avec soin des outils pédagogiques pour soutenir le raisonnement exploratoire des élèves en fonction du « besoin de savoir » requis à chacune des étapes de la préparation des élèves. L’exigence de la tâche est ainsi appuyée par une planification d’instructions fournies au « compte-gouttes » plutôt que toutes en même temps (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.69).
Afin de bien comprendre les arguments en présence, les enseignant-e-s ont constitué un dossier documentaire présentant des points de vue multiples sur les évènements à l’étude avec les échafaudages pour guider leur compréhension, la formulation des arguments et la préparation des rôles. L’analyse documentaire s’est ainsi fondée sur la compréhension textuelle et le dialogue avec les pairs en équipe.
Les textes ont été écrits à la première personne pour soutenir les étudiants ayant de faibles ca-pacités de lecture dans leur compréhension de la perspective historique qu’ils devaient repré-senter lors de l’audience (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.66). L’insertion progressive de questions de « bilan » permettant aux élèves placés en équipe, de prendre le temps de valider collectivement leur compréhension respective avant de passer à une section suivante, a aussi assuré le maintien de leur motivation.

La rétroaction de l’enseignant-e pendant la période de préparation en sous-groupes
Pendant la période de préparation en sous-groupes, les enseignant-e-s ont circulé dans la classe pour examiner le travail des élèves, remettre en question leurs positions, chercher des réponses plus approfondies et répondre à d’innombrables questions (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.68). Cette étape est loin d’être superflue. Elle assure la bonne préparation des élèves, se répercutant sur l’ensemble des élèves, exposés au moment du débat, à des présentations bien informées et argumentées. Dans l’expérience sur les raids de Palmer, l’enseignante a pris la décision de commenter les brouillons des discours et de faire des suggestions. Ce travail sur les brouillons lui a donné d’autres idées visant à mieux soutenir encore les élèves en générant d’autres questions à intégrer dans les documents pour les prochains débats.

Quels changements sont constatés selon les enseignant-e-s qui pratiquent le débat en classe ?
« Je peux dire que oui je l’ai vu, certains élèves pour lesquels tu ne t’y attendais pas, te disent : « ô monsieur c’était cool, j’ai aimé cette activité là ». C’est encore mieux quand tu sais que cet élève est un doubleur qui recommence son cours d’histoire et qui t’avait dit au début de l’année que l’histoire, c’était pas vraiment facile pour lui » (10).
Dans le cas des raids de Palmer, les résultats sont aussi très positifs. Les élèves ont vraiment pris part au débat et ont bien défendu leur personnage. Ils ont eu le sentiment d’avoir résolu un problème ensemble et un travail collaboratif plus efficace s’est établi entre eux (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.63). Bien qu’elle avait pris la décision de ne plus recourir au travail en groupe, faute de résultats satisfaisants, cette expérience a réconcilié l’enseignante avec ce mode d’intervention. L’expérience de débat a aussi changé la façon de voir ses élèves pour l’enseignante. En convenant du fait que ses attentes n’étaient pas assez élevées avec les élèves qu’elle considérait « moins performants », cela pouvait contribuer à les laisser décrocher : « Si je mets la barre plus haut, ils se montreront à la hauteur. Cela m’a vraiment consternée de voir que je les laissais passer sans trop les défier » (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.71, traduction libre). Sa vision des élèves « peu performants » est passée de personnes apa-thiques qui avaient besoin d’être informées, à des penseurs curieux qui raisonnaient rigoureu-sement à l’aide d’échafaudage pour guider leur enquête (Brush, Kohlmeier, Mitchell et Saye, 2011, p.72). Elle a alors décidé de maintenir des normes plus élevées et de soutenir ces élèves à atteindre des niveaux de pensée plus élevés en les formant à chercher la solution eux-mêmes.
Dans d’autres activités de débat et de discussion, il ressort que les élèves apprécient pouvoir faire le lien entre la capacité d’identifier les injustices et celle d’agir en conséquence (Parkhouse, 2018, p.292-293). L’identification de la résistance de gens ordinaires à travers l’histoire donne la possibilité aux élèves de penser que c’est par la liberté de parole et leur propre action, qu’il est possible de contribuer à une société plus juste : « la classe de madame Ray (l’enseignante) me fait aimer l’Amérique plus car ce sont des gens comme elle qui la rendent meilleure (…), parce qu’elle apprend à ses élèves à se lever, ou à regarder une publicité et à comprendre ce qui est sexiste, alors qu’on pourrait juste la regarder défiler à la télévision. (…) Je pense que [Mme. Ray] a renforcé l’idée que, en tant que citoyen américain, il est de notre devoir de nous lever et de faire mieux. Et s’il n’y a personne qui va mieux, mais que vous sentez que quelque chose doit être fait, alors vous êtes la personne à le faire » (Parkhouse, 2018, p.292, Entrevue d’Amina, 1er avril 2015, traduction libre).

Conclusion : Et après ? Quelles questions, quelles suites à donner ?
L’approche par le débat à l’école est une méthode qui se fonde sur des principes éducatifs an-ciens. Elle ne prétend pas résoudre tous les maux. Elle a néanmoins le mérite de permettre aux élèves de construire leur compréhension de façon indépendante de la « bonne réponse » prodi-guée par l’enseignant-e. En mettant en discussion leur point de vue sur la base d’une enquête menée en concertation avec les pairs, les élèves pratiquent concrètement leur jugement critique. Ne serait-ce qu’en se mettant dans la peau d’un personnage du passé, ils font l’expérience de la perspective historique. Nourrie de sources documentaires multiples, cette expérience permet de creuser un sujet en profondeur et d’éviter les jugements de valeurs et les réponses simples.
Il reste toutefois des questions à élucider pour élargir et « opérationnaliser » sa mise en applica-tion dans les classes. Est-ce que les élèves apprennent véritablement à bien poser un problème et à mettre en pratique une méthode pertinente pouvant par la suite être transposée dans d’autres sphères d’apprentissage ? De son côté l’enseignant-e peut-il-elle véritablement mettre en place ces conditions d’apprentissage pour que les élèves soient autonomes et prennent l’initiative de se poser des questions ? Bien qu’il soit possible pour un programme, aussi contraignant soit-il, de jouer un rôle selon des principes de pédagogie émancipatrice (Parkhouse, 2018), les enseignant-e-s se sentent-ils-elles en mesure d’outiller leurs élèves à nommer et questionner les forces hégémoniques contemporaines ?
Le contexte des écoles, fortement marqué par des écarts de réussite et de participation civique importants entre enfants selon leur milieu socioéconomique d’appartenance (Torney-Purta, 2001) appelle pourtant à utiliser au mieux les ressources de la pédagogie critique émancipatrice et de la méthode d’enquête. En montrant comment des enseignant-e-s essaient chaque jour d’élever les exigences d’apprentissage des élèves, les expériences présentées dans cet article prouvent aussi que même celles et ceux que l’on considère « perdu-e-s », peuvent les atteindre.

Notes

(1) Je remercie mon directeur de recherche, Marc-André Éthier, professeur titulaire en didactique de l’histoire et éducation à la citoyenneté à l’Université de Montréal, pour la relecture et ses précieux conseils qui m’ont aidée dans la rédaction de cet article.

(2) Pour les personnes intéressées à disposer d’un portrait actuel sur l’enseignement du débat en classe, les travaux de Deana Hess sont incontournables : Hess, D. E. et McAvoy, P. (2015). The Political Classroom : Evidence and Ethics in Democratic Education. New York, NY : Routledge. Hess D. (2009) Controversy in the Classroom.The Democratic Power of Discussion. New York/London : Routledge. Nous conseillons aussi le Chapitre 14 dans Manfra, M. M. G., et In Bolick, C. M. (2017). The Wiley handbook of social studies research, ainsi que l’ouvrage de Hemberger L., Khait V. et Kuhn D. (2016). Argue with Me : Argument as a Path to Developing Students’ Thinking and Writing. New York, NY : Routledge.

(3) http://www.recitus.qc.ca/tic/dossiers-tic/blogue-en-univers-social

(4) Yannick Mével et Nicole Tutiaux-Guillon font un excellent résumé de la recherche française sur les questions so-cialement vives dans Tutiaux-Guillon N. (2018). Enseigner l’histoire en contexte de pluralité identitaire, Revue francaise d’education comparée, Numéro 17, Éditions l’Harmattan.

(5,6,7,8,9,10) https://ici.radio-canada.ca/premiere/premiereplus/societe/p/40960/enseigner-lhistoire-du-quebec-aux-jeunes

Références

Brush T., Kohlmeier J., Mitchell L., Saye J., (2011). Using Mentoring to Support a Novice Teacher Using Problem Based Historical Inquiry with « Low Achieving » Students. The Journal of Social Studies Research, 35(1), 56-79.

Dewey, J. (2011). La formation des valeurs, Paris : Éditions La Découverte.

Éthier, M.-A., Lefrançois, D. et Demers, S. (2009). Justice sociale et réforme scolaire au Qué-bec : le cas du programme d’« Histoire et éducation à la citoyenneté ». Éthique publique. Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, 11(1), 1-21.

Éthier, M.-A., Cardin, J.-F. et Lefrançois, D. (2014). Épilogue sur le débat sur l’enseignement de l’histoire au Québec. Historical Studies in Education/Revue d’histoire de l’éducation, 26(1), 89-96.

Éthier, M.-A., (2014, 27 février). Contre la pensée narrative téléologique, | Le Devoir.com. Re-péré à https://www.ledevoir.com/opinion/idees/401205/lar

Éthier, M.-A., Cardin, J. et Lefrançois, D. (Printemps–Été 2014). Leur programme et le nôtre, Bulletin d’histoire politique, 22(3), 165–178.

Fortier M. (2018, 17 février). Des profs du collège de Maisonneuve se censurent, Le Devoir.com. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/education/520482/autocensure-chez-les-profs-de-cegep

Gros A. (2011). « Les formes de l’enquête historique : John Dewey et Max Weber », L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], 07 |, mis en ligne le 10 mars 2011, consulté le 12 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/acrh/3668 ; DOI : 10.4000/acrh.3668

Howell James B. et Saye John W. (2016). Using lesson study to develop a shared professional teaching knowledge culture among 4th grade social studies teachers, The Journal of Social Studies Research, 40, 25–37.

Jean G. (2014). Le procès de Duplessis. Dans Éthier, M. A., Lefrançois, D., et Demers, S. (dir.). Faire aimer et apprendre l’histoire et la géographie au primaire (p. 323-337). Éditions Multi-mondes inc.

McCully A., (2017). Teaching History and Educating for Citizenship : Allies or « Uneasy Bedfel-lows » in a Post-Conflict Context ?. Dans Epstein, T. et Peck, C.L. (Eds.), Teaching and learning difficult histories in international contexts : A critical sociocultural approach. New York, NY : Routledge.
Van Boxtel, C., Grever, M., & Klein, S. (2016). Sensitive pasts : Questioning heritage in educa-tion. New York, NY : Berghahn Books.

Wineburg, S. (2001). Historical thinking and other unnatural acts : Charting the future of teaching the past. Philadelphia, PA : Temple University Press.

Parkhouse H., (2018). Pedagogies of Naming, Questioning, and Demystification : A Study of Two Critical U.S. History Classrooms, Theory and research in social education, 46 (2), 277-317.

Radio-Canada. (2014). La passion de transmettre l’histoire aux jeunes. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/premiere/premiereplus/societe/p/40960/enseigner-lhistoire-du-quebec-aux-jeunes

Torney-Purta (2001). What Adolescents Know About Citizenship and Democracy. Educational Leadership 59 (4), 45–50.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Carine Nassif-Gouin

Responsable de programmes à l’UdeM - Certificat en coopération internationale et du programme d’accès aux études à la FEP

Les propos exprimés dans cet article n’engagent que l’autrice.

Ngugi wa Thiong’o (1986).1
Decolonising the mind,
East Africain Editional Publisher

Dans ce cas-ci, on peut parler d’une ignorance systémique 
Lise Bastien (2016)

Introduction

Lorsque l’histoire de la décolonisation est évoquée, celle qui vient le plus souvent à l’esprit est celle des territoires. Ce qui se voit ou, dirons-nous, ce qui est matérialisable est plus facile à appréhender. Or, la colonisation n’est pas uniquement territoriale. Elle ne s’accompagne pas seulement d’une appropriation de la terre et de ses matières premières. La colonisation se réalise toujours à partir de l’idée, fausse, qu’il y a des peuples primitifs (colonisés) et des peuples civilisés (colonisateurs). Or, l’héritage de la pensée véhiculée lors d’une colonisation se transmet.

Le processus de décolonisation doit se poursuivre au-delà de la restitution d’un territoire. En effet, qu’est-ce qu’une décolonisation des territoires sans indépendance et autonomie de l’esprit ? À saisir tous les enjeux qui en découlent, on peut y répondre qu’il s’agit d’une colonisation qui ne dit pas son nom. En effet, même si nous avons déconstruit l’idée de sociétés primitives, cette idée et ses conséquences demeurent. Et ce n’est pas seulement qu’elle se réalise sous la forme d’histoires coloniales comme celles de la France ou de l’Afrique du Sud, elle s’illustre aussi près de nous, au Québec, lorsqu’elle stigmatise une personne ou encore un groupe d’individus. Révélée sous le vocable d’intersectionnalité depuis 1989 par Kimberlé Crenshaw, cette approche désigne toutes les formes de discrimination et de domination subies par une personne ou un groupe d’individus. Comme l’explique la Commission ontarienne des droits de la personne, l’intersectionnalité permet par les situations réelles vécues « d’illustrer le caractère particulier de l’expérience de discrimination fondée sur le contexte historique, politique et social, et sur l’intersection, ou le recoupement, des motifs  ». L’une des modalités en exercice pour prendre conscience des différentes formes de discrimination individuelle et collective génératrice d’inégalités est la décolonisation de l’esprit.

La Décolonisation se définit comme étant un processus d’émancipation. Le dictionnaire Le Petit Robert précise qu’elle est une action qui permet «  d’affranchir ou de s’affranchir d’une autorité, de servitudes ou de préjugés  ». C’est donc un processus de libération d’une tutelle parfois, voire souvent, invisible et pourtant bien présente. Les décolonisations, qu’elles soient territoriales ou de l’esprit, permettent de nous outiller pour déconstruire de nombreux mimétismes, ou ce qu’on appelle «  habitus  » en sociologie.

Ainsi, décoloniser son esprit, c’est lutter contre l’ignorance, les manques et les absences lesquels s’illustrent souvent par des propos réducteurs, stéréotypés ou encore par des pensées-clichés, des idées reçues, des erreurs de jugement. Pour en prendre pleinement conscience, il faut donc développer son esprit critique, soit s’interroger continuellement sur le pourquoi et le comment. Les universités, et par elles l’éducation, se targuent de développer l’esprit critique afin de former des citoyennes et citoyens éclairé-e-s et en action. Alors qu’en est-il de l’éducation à la décolonisation de l’esprit, et ce, particulièrement, dans le cadre de formation universitaire en coopération internationale  ? L’identité sociale de «  white saviors  » est-elle déconstruite et, si tel n’est pas le cas, comment déconstruire cette identité sociale ? En somme, quels défis devons-nous relever ?

I – De la décolonisation de l’esprit pour repenser la formation

Ce n’est pas une découverte que de défendre l’idée selon laquelle la décolonisation de l’esprit a un pouvoir infini du fait qu’elle conjugue ralliement, inclusion, équité, égalité et liberté. Mais elle est avant tout le tissu de la solidarité entre les individus. Elle a donc un pouvoir infini grâce auquel elle permet de repenser l’histoire et d’anticiper les défis de tout un peuple. Plusieurs experts et scientifiques, telle Margaret Mead, l’énonçaient déjà il y a près d’un siècle. Un peu plus près de nous, Augustin Berque, géographe et philosophe français, expliquait en 1967 que l’enjeu est bien «  (…) ici non seulement de libérer un peuple, mais de le refaire, ou même de se faire en tant que peuple.  » Se définir, se redéfinir, en tant que peuple est un processus continu, perpétuel. Nous évoluons avec le temps, nous nous adaptons. Cette construction continue nous amène à questionner les inégalités que nous tolérons ou qui se dévoilent à nous au fur et mesure, elle nous amène à nous interroger sur la justice sociale, comme l’illustrent les écrits publiés par le réseau d’études décoloniales (www.reseaudecolonial,org). Ce questionnement permet alors de repousser les limites de l’iniquité, de la maltraitance, de la violence ou de bien d’autres «  agir  » que nous perpétuons contre nous et contre l’autre.
La décolonisation défait les mythes et se construit dans, par et avec la nuance. Elle amuse lorsqu’elle défait des idées reçues qui ne font de mal à personne. Ainsi, le saviez-vous peut-être, les autruches ne font jamais l’autruche puisqu’elles ne mettent jamais leur tête dans le sable  ! À un autre niveau, la décolonisation défait également les idées reçues plus conséquentes, néfastes, voire funestes pour un groupe d’individus. Chaque époque connaît des discriminations et les conséquences d’une domination fondées sur des erreurs de jugement ou encore sur l’ignorance. Ainsi,

- Rappelons qu’il fut un temps, pas si éloigné que cela, où l’on véhiculait dans la littérature que la femme n’avait pas d’âme (voir la légende du concile de Mâcon)  ;
- Gardons en mémoire qu’il fut une époque où des personnes, des individus étaient légalement considéré.es comme des biens meubles (voir les différents codes sur l’esclavage dont le Code noir)  ;
- Retenons qu’il faut attendre 1978 au Québec pour que la loi assure l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale ;
- Sachons qu’il faut attendre le 17 mai 1993 pour que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) supprime l’homosexualité de la liste des maladies mentales ;
- Suivons les travaux de la commission Viens relatifs aux « effets du colonialisme » et de la discrimination systémique, soit sur les relations entre les Autochtones et certains services offerts par l’État québécois.

Les discriminations et les dominations se déclinent et se conjuguent. Elles peuvent être sociales, légales, politiques ou encore économiques… Il y a donc un spectre de la discrimination et de la domination. Pour mieux comprendre encore l’impact de la décolonisation de l’esprit par l’éducation et l’apprentissage, prenons un autre exemple. François Crépeau, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des migrants, propose de déconstruire le mythe qui fait porter la responsabilité aux migrants de bien des maux de nos sociétés occidentales. Il démontre que les personnes possédant la citoyenneté officielle d’un pays donné sont autant responsables des maladies et du chômage que les personnes réfugiées, les migrantes ou clandestines. Une partie des personnes réfugiées, si elles ne fuient pas la violence et la misère, répondent même à un besoin de main-d’œuvre  ! François Crépeau nous appelle à en prendre connaissance et donc à décoloniser nos esprits  !

Il existe de nombreux préjugés et de stéréotypes qui touchent tous les groupes de personnes, tous les êtres vivants... Il faut donc s’interroger et les confronter à des études, les ramener à leur juste part. Ainsi, le processus de décolonisation de l’esprit se réalise dès que nous nous questionnons, dès l’instant où nous prenons conscience que ce que nous répétons naïvement peut avoir de lourdes conséquences. Il est alors toujours temps de prendre les moyens de reconsidérer nos propos, nos idées, notre pensée. Mais pourquoi aborder la décolonisation de l’esprit, la décolonisation mentale, encore, aujourd’hui, maintenant  ?

II – Du rôle fondamental de l’université  : la décolonisation de l’esprit

Le processus d’indépendance de l’esprit est une réaction à celle d’une pensée dominée par l’autre. Elle vise à défaire les catégories, les chaînes par lesquelles on s’enferre du fait de sa propre ignorance et/ou aliénation. Qu’elle soit volontaire ou non, qu’elle soit génératrice de justice sociale ou pas, elle existe de fait. Quels qu’en soient les objectifs et les raisons, la décolonisation de l’esprit devient libération. Pour mieux comprendre cet exercice de conscience, penchons-nous sur l’histoire occidentale de l’humanité. Autant que l’on puisse remonter dans le temps, les pères de la philosophie occidentale tels Socrate, Platon ou Aristote proposaient déjà de sortir des sentiers battus, de questionner le monde tel que nous semblons le voir. L’allégorie de la caverne écrite par Platon nous amène encore et toujours à nous questionner sur les mondes réel et intelligible. Comment se peut-il qu’un texte de plus de 2000 ans soit encore d’actualité dans certains pays et contextes  ? Comment se peut-il qu’il ait un lien avec la décolonisation de l’esprit d’aujourd’hui ? La réponse est complexe. Elle ne rallie pas nécessairement tous et toutes. À ceux qui restent sceptiques, je me permettrais une analogie ; lorsqu’il y a hésitation, tâtonnement pour prendre en compte cette réalité, faisons une analogie avec le Pari de Pascal  ? Empruntons sa logique. En effet, pourquoi ne pas faire le pari de la décolonisation de l’esprit de tous les êtres humains  ? Pour ce faire, nous aurions alors à revenir à certaines questions fondamentales. Que gagnerait-on à
- prendre conscience des injustices sociales  ?
- nous interroger sur leur reproduction sociale  ?
- refuser de transmettre des erreurs de raisonnement ou de jugement  ?
N’est-ce pas tout un programme stimulant parce que constructif  ? Pour autant que cela puisse surprendre, qu’aurions-nous à perdre  ?

Pour ce faire, la littérature générale et scientifique ainsi que notre expérience permettent très souvent de nous soutenir dans ce projet. Elles permettent de nous interroger sur nos croyances, notre ignorance, notre culture, nos compétences. Elles nous questionnent également plus largement sur des systèmes, des structures, et ce, qu’ils soient économiques ou non. Ainsi, la décolonisation de l’esprit est une remise en question de nos apprentissages et de nos actions. Elle est également un questionnement par rapport aux différenciations, aux structures sociales et institutionnelles qui nous forgent et nous mettent parfois, souvent, dans un carcan, catégorisant des personnes en leur attribuant des rôles figés. Comment alors en prendre conscience  ? Peut-on s’en défaire  ? Comment agir  ?

Les pères de la pensée sociologique occidentale tels que Condorcet ou encore Guy Rocher nous l’ont-ils assez répété  ? L’instruction, l’éducation, l’école sont autant de moyens qui permettent de nous ouvrir au monde, et sont, de ce fait, des moyens de lutter contre les discriminations. Nous ne naissons pas dans les mêmes conditions de vie, c’est pourquoi il a fallu concevoir un lieu qui permette de combler les inégalités autant que faire se peut. Comme le rappelle le ministère de l’Éducation2, si l’école est un milieu de vie où l’on peut s’instruire, un lieu d’apprentissage qui forge nos esprits ou surtout qui légitime nos savoirs, elle est ouverte à tous, sans discrimination et sans inégalités. C’est dans ses murs, tout de même, que nous comprenons tous qu’il existe plusieurs méthodes pour décoloniser les esprits  : les méthodes philosophiques de la Maïeutique de Socrate ou encore celle du doute cartésien. Mais elles ne suffisent pas. Il serait temps d’explorer d’autres modes de pensée - critique.

Oui, certes, il s’agit là de théories  ! Ces théories même peuvent être mise en application et être éprouvées. Avec elles, le processus de décolonisation de l’esprit peut se concrétiser, effectivement afin de nous sortir de notre construction imaginaire de «  white savior  » ou du «  complexe militaro-industriel du sauveur blanc  » tel que Teju Cole, écrivain et photographe nigérian-américain, le nomme.

III – La décolonisation de l’esprit  : quelques expériences inspirantes

Décoloniser son esprit est certes un exercice bien long et ardu, exigeant et complexe. Cet exercice est simultanément collectif et individuel, il est ponctué par des périodes de réflexion et d’action. Pascal Blanchard, historien français, soulignait qu’il faut «  décoloniser ces mentalités pour entrer dans une nouvelle temporalité.  » Ainsi, la mise en œuvre d’un processus conscient et concerté de la décolonisation de l’esprit nous mènerait à un changement d’ère. Ceci dit, précisons davantage son propos. Pour que ce processus soit complet, il nous faut également décoloniser «  ses  » propres mentalités. En effet, cette double entreprise nous permettrait alors de nous engager toutes et tous dans une nouvelle ère, une nouvelle époque, celle de la temporalité décolonisante, dans laquelle l’action s’incarne à travers des faits sociaux, dans le sens défini par Durkheim.

Parallèlement, de nombreuses actions collectives et individuelles ont déjà pavé plusieurs routes. Certaines d’entre elles pourraient nous inspirer ! Qu’elles soient dessinées par des institutions ou par des individus, il n’en demeure pas moins que ce positionnement relève d’une volonté, celle d’exercer sa pensée critique. En voici quelques illustrations inspirantes  :

Sens. Pour en finir avec les préjugés, les clichés, les endoctrinements, Fatimata Wane nous invite à prendre connaissance «  des ateliers de la pensée - œuvrer pour la décolonisation des esprits africains  » organisés au Sénégal. Les experts du continent ont créé cet espace de discussions et d’échanges afin de s’interroger ensemble sur la construction du monde tel qu’il s’oriente et afin d’explorer d’autres visions du monde. Cette action fait résonnance avec la Lettre «  Pour décoloniser notre regard  » initiée par Carole Poliquin et co-signée par plusieurs personnalités québécoises. En effet, l’objectif de ce mouvement est de prendre conscience de ces «  profondes ruptures culturelles  » afin de construire un avenir conciliant, inclusif et collectif fondé sur la reconnaissance de l’autre.

Langues. Au Kenya, cette décolonisation est proposée par la publication d’un livre dans la langue kikuyu. Grâce à l’expression de sa pensée dans sa langue, Ngugi wa Thiong’o permet l’expression de tout un peuple, comme ce fut le cas au Québec avec l’expression triomphante de la langue québécoise populaire par les Belles-Soeurs de Michel Tremblay, comme le précise Claude Poirier ou encore Lise Gauvin.

Sciences. Par ailleurs, il est également possible de décoloniser son esprit en nous positionnant en tant qu’objecteur de conscience, tout comme Frantz Fanon, psychiatre martiniquais, qui en 1952 propose par son «  Essai sur la désaliénation des Noirs  » d’analyser les pratiques qui poussent certaines à s’éclaircir la peau ou à se défriser les cheveux. Le processus est également amorcé en philosophie. Ernst Wolf nous propose de «  décoloniser la philosophie  » par l’analyse de contestations universitaires en Afrique du Sud. Que l’on suive les pas de Patrick Mbeko, historien, qui en appelle à la décolonisation des esprits des Africains en s’interrogeant sur le pourquoi de toutes ces guerres en Afrique, ou ceux de Patricia Triplet, poétesse guyanaise qui tend «  vers la décolonisation de nos esprits  » par ses poèmes comme celui de l’«  Écho des sentiments  », tous convergent vers la reconnaissance, la reconnaissance de l’autre sans discrimination, sans inégalité.

L’école. La révision des manuels scolaires est également une invitation à rompre avec les silences dans l’Histoire. Gilles Boyer explore, avec son collectif, comment les manuels scolaires français abordent les périodes de colonisation et de décolonisation, vecteurs de l’idéologie coloniale ; en Nouvelle-Calédonie, Marie Salaün propose, elle aussi, comment «  décoloniser l’école  ». Ces ouvrages construisent l’histoire à partir d’une vision collective. Mais il est possible d’aller plus loin encore, soit comme le soulignait l’anthropologue Margaret Mead déjà en 1928, en nous engageant à «  apprendre aux enfants comment penser et non pas quoi penser  ». En Amérique du Nord, plusieurs professeurs de cégep, comme Jackie Vallée et Debbie Lunny, partagent leur regard sur la décolonisation de la scolarisation, voire de la pédagogie. Ces dernières années, les universités rappellent que l’un de leurs mandats est le développement de la pensée critique scientifique, faisant ainsi écho à tout ce mouvement de la décolonisation des savoirs, laquelle a mené à la décolonisation de l’esprit. Plus encore, les universités ont ouvert leurs portes pour que nous puissions y accéder tout au long de notre vie. Cependant, le professeur américain Walter Mignolo nous met en garde contre une vision unilatérale répandue des concepts et à la marchandisation de l’éducation, lesquelles sont des obstacles au développement, à la créativité ou encore, comme le précise Marie Brodeur Gélinas, à la solidarité. Ces écueils peuvent être évités. Pour ce faire, en plus de mettre l’accent sur la démocratisation des savoirs, il est nécessaire de participer au décloisonnement de la science avec les humanités, de faciliter la co-construction et d’accepter la réciprocité. Plusieurs initiatives sous la forme de colloques ou encore d’ateliers ont gagné les universités. Outre le cycle de conférences de juin 2011 en Malaisie, plusieurs exercices de réflexion sur la «  décolonisation de l’université  » ont été menés. Par exemple, dans le cadre d’une table de discussion, l’Université du Manitoba propose «  comment faire pour décoloniser l’Université  ». Il en est de même pour l’Université de Cape Town en Afrique du Sud et bien d’autres encore.

Ainsi, qu’elles soient organisées sous la forme de la décolonisation des savoirs ou de l’éducation, les décolonisations de l’esprit prennent leur source avec et par la connaissance de l’autre et l’ouverture à son endroit. En effet, la décolonisation de l’esprit est impossible sans reconnaissance. À ce propos, à l’ouverture de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, rappelait que «  la réconciliation entre les Premières Nations et le Québec n’arriverait pas sans une reconnaissance des “injustices sociales” qui affectent les communautés autochtones  ». Ainsi, la décolonisation de l’esprit n’est donc pas pensable sans reconnaissance, soit sans entendre et sans connaitre l’Autre.

Pour revenir à l’un des exemples cités plus tôt, François Crépeau nous propose d’individualiser les propos, soulignant ainsi combien ce processus est partie de la décolonisation de l’esprit  !

Entendre l’autre, c’est sortir de la généralisation qui peut être fausse voire dangereuse comme l’illustre d’ailleurs l’expression populaire parfois attribuée à un auteur francophone, Dumas fils, ou encore à un auteur anglophone, Marc Twain  : toutes les généralisations sont dangereuses, y compris celle-ci. Connaître l’autre, c’est sortir du mythe, du fantasme ou encore de l’imaginaire. Il est espéré que toute formation universitaire incluant celles en coopération internationale aient pour objectif de programme, entre autres, de susciter de telles réflexions mais également de mener les agir décolonisants à bien. Si toutes ces illustrations sont le fruit d’une expérience à l’international, le milieu de la coopération internationale devrait donc certainement être à l’avant-garde de la décolonisation de l’esprit.

Conclusion

En résumé et à titre de conclusion, je me permets de présenter un extrait du livre de la sociologue française Ewa Bogalska-Martin intitulé Itinéraires de reconnaissance : «  Penser les inégalités, puisque c’est bien de cela dont il s’agit in fine dans la question de la justice sociale, ne passe pas seulement pas la reconnaissance de la diversité culturelle ou de la marginalité sociale, car celle-ci est toujours accordée par celui qui envisage le subalterne comme un être de manque. Elle passe, et peut-être avant tout, par une décolonisation épistémique des savoirs eurocentriques et coloniaux hégémoniques. L’insuffisance de la reconnaissance repose dans le fait qu’elle laisse intactes les structures sociales et institutionnelles qui maintiennent et reproduisent les inégalités.  »

Tant et aussi longtemps que nous ne nous permettons pas de reconnaitre que nos structures sociales et institutionnelles perpétuent aussi les inégalités, tant que nous n’en mesurons pas l’ampleur, mais surtout tant que nous n’agissons pas, il restera tout un défi d’apprendre de l’autre et d’évoluer avec l’autre. C’est donc aussi par une analyse de notre intelligence intrapersonnelle que nous pouvons valoriser l’expérience de chacun, et co-construire un lieu paisible, propice au bien-être et à la vie de chacun et de tous. La décolonisation de l’esprit est l’incarnation du respect du droit à l’égalité sans discrimination et de l’engagement envers l’équité pour une vie saine, tous deux vecteurs de la justice sociale et de l’égalité des chances. Sans actions pour la mettre en œuvre, nous ne repousserons pas leurs limites aussi loin que nous le pouvons.

Les milieux de formation universitaire et par eux, l’éducation et l’instruction, jouent un rôle fondamental dans et par le développement de la pensée critique, scientifique et réflexive. Comme l’explique Nancy Brassard, professeure à l’ENAP, les enseignants ont pour rôle de soutenir les apprenants au développement de leurs compétences, c’est-à-dire de l’acquisition de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être afin de développer des savoir-agir. On comprend dès lors mieux pourquoi lorsqu’un apprenant est marqué par une mauvaise expérience de l’apprentissage, nous avons tous perdu  !

L’éducation à la décolonisation de l’esprit est donc un défi d’envergure pour chacun des acteurs de la coopération et la solidarité internationales. Le relever serait synonyme de rupture avec les anciens modèles si elles étaient en mesure d’en proposer de nouveaux, s’incarnant alors dans le partage et la conciliation, la reconnaissance et la réciprocité.

Alors, acceptons-nous le pari que nous pouvons être les enfants éveillés par la conscience d’une nécessaire décolonisation dans tous les domaines ? Acceptons-nous le pari que nous sommes les citoyens d’un monde en décolonisation et les (grands-)parents d’un monde décolonisé  ? Acceptons-nous le pari que nous pouvons participer d’ores et déjà à des initiatives concrètes s’illustrant par et dans un agir décolonisant  ?

Références pour aller plus loin…

Berque, Jacques (1967). Quelques problèmes de la décolonisation. L’Homme et la société, no. 5, (p. 27), p. 17-28. Disponible sur  : https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1967_num_5_1_3073

Blanchard, Pascal (2009). « Décolonisons nos mentalités ! ». Revue internationale et Stratégique. 1(73), (p. 125), p. 121-126.

Bogalska-Martin, Ewa et al. (2017). Itinéraires de reconnaissance : discriminations, revendications, action politique et citoyennetés. Paris : Archives contemporaines, p. 126.

Boswell, John E. (1996). Les unions du même sexe  : de l’Europe antique au Moyen Âge, Paris  : Fayard, coll. «  Nouvelles études historiques  ».
 Bourdieu, P. (1980). Questions de sociologie (Habitus). Paris  : Éditions de Minuit.

Boyer, Gilles (Sous la coordination de) (2008  ?). Colonisation et décolonisation dans les manuels de l’école primaire. Disponible sur  : https://bit.ly/2Ixp0sO

Brassard, N. (2012). Profil de compétences de l’enseignant du niveau universitaire. Montréal, Québec  : ENAP. Récupéré du site  : http://bit.ly/2gOwhww

Brodeur Gélinas, Marie (2017). La culture industrielle, un obstacle à la solidarité. Blogue – Un seul monde. Récupéré du site  : https://bit.ly/2LZTgPi

Cole, Teju (2012). The White-Savior Industrial Complex. The Atlantic Journal, 21 mars. Disponible sur  : https://bit.ly/2jQo9fh

Dehoorne, Olivier and Sopheap Theng (2011), «  Osez décoloniser l’esprit »  : Rencontre autour de l’œuvre de Ngugi wa Thiong’o  », Études caribéennes. Disponible sur  : https://bit.ly/2KtrjyE

Derrida, Jacques (1971). La mythologie blanche  : la métaphore dans le texte philosophique, Poétique (5), 128 p.

Desbiens, Jean-Paul (1960). Les insolences du Frère Untel. Montréal  : Éditions de l’Homme

Durkheim, Émile (1988). Les règles de la méthode sociologique Paris  : Flammarion.

Eboussi-Boulaga, Fabien (2013). De la mutuelle décolonisation de notre pensée. NAQD, 30(1), p. 67-91. Disponible sur  : https://www.cairn.info/revue-naqd-2013-1-page-67.htm

Gauvin, L. (1974). Littérature et langue parlée au Québec. Études françaises, 10(1), 80–119. Disponible sur : https://bit.ly/2vhxjUL

Giroux, Dalie (2017). Pour une véritable décolonisation de l’État canadien. Relations, 791, p. 21–23.

Guibert, B. (2004). Décoloniser notre imaginaire de croissance ? Ça urge !. Mouvements, no33-34(3), p. 241-244.

Lepage, Pierre (2009). Mythes et réalités sur les peuples Autochtones, Montréal  : CDPDJ. Disponible sur  : http://www.cdpdj.qc.ca/publications/Mythes-Realites.pdf

Le Petit Robert, 1970, p. 555.

Luste Boulbina, S. (2013). La décolonisation des savoirs et ses théories voyageuses. Rue Descartes, 78(2), p. 19-33.

Mead, Margaret (1928). Mœurs et sexualité en Océanie, livre II  : Adolescence à Samoa. Paris : Plon, 1969, p. 131.

Mbeko, Patrick (2012). Une «  décolonisation des esprits  » africain s’impose. Kinshasa  : Œil d’Afrique. Disponible sur  : https://bit.ly/2K4RaMB

Michel, Viviane. CERP : Viviane Michel livre un vibrant témoignage. 5 juin 2017. Disponible sur  : https://bit.ly/2yLtIDK

Ngugi wa Thiong’o (2011). Décoloniser l’esprit, Paris  : La Fabrique, 162 p.

Platon (1950), La République Livre VII, Paris : Gallimard, p. 514-521.

Mbembe, Achille (2000). De la postcolonie – Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris  : Éditions Khartala.

Mignolo, Walter (2009).  «  La fin de l’université telle que nous la connaissons  », Cahiers des Amériques latines, 2009(62), Disponible sur : http://journals.openedition.org/cal/1608

Nahavandi, Firouzeh (2003), Repenser le développement et la coopération internationale – État des savoirs universitaires, Paris  : Éditions Karthala, p. 19.

Réseau d’études décoloniales. Disponible sur  : https://bit.ly/2uiopWU

Rocher, Guy (2017). Faisons école ensemble. Le Devoir, 19 juin 2017. Disponible sur  : https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/501582/faisons-ecole-ensemble

Salaün, Marie (2013). «  Décoloniser l’école ? Hawai’i, Nouvelle-Calédonie. Expériences contemporaines  ». Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 304 p.

Stanziani, Alessandro (2004). «  Čajanov, Kerblay et les shestidesiatniki  : une histoire globale  ?  », Cahiers du monde russe, 45/3-4.

Poliquin, Carole (2017). Un regard à décoloniser. Le Devoir, 19 avril 2017. Disponible sur  : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/496624/autochtones-un-regard-a-decoloniser

Tremblay, Michel (2007). Les belles-sœurs. Montréal  : Leméac/Actes Sud.

Triplet Patricia (?). Poésie. « Écho des sentiments ». Disponible sur  : https://bit.ly/2tGKNZC

Williams, Rick (1974), Teaching Under-development, Community Schools, 4(2), March 1974

Wane Fatimata (2016). Les ateliers de la pensée - Œuvrer pour la décolonisation des esprits africains, 3 novembre 2016. Disponible sur  : https://bit.ly/2fFXyQk

Wolf, Ernst (2016). Décoloniser la philosophie – Autour des contestations universitaires en Afrique du Sud. Paris  : La vie des Idées. Disponible sur  : https://bit.ly/2KrOoSB



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Francis Paré

Coordonnateur, Alliance pour l’engagement jeunesse

Durant leur parcours scolaire, les jeunes ont l’occasion de s’impliquer dans différentes activités sportives, artistiques, culturelles ou civiques. Est-ce que ces activités sont bénéfiques pour les jeunes ? Nous sommes plusieurs à le croire et à le constater sur le terrain. Les activités à caractère politique, économique ou social ayant un bénéfice pour la société en général, que l’on nomme « activités civiques », sont toutefois moins priorisées dans le milieu scolaire. Jusqu’à tout récemment, l’impact de ces activités sur la réussite et la persévérance scolaire des jeunes n’était toutefois pas clairement établi. C’est ce que le projet de recherche Réussir (1), piloté par le Laboratoire de Recherche sur les Émotions et les Représentations de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), tente d’élucider dans les écoles secondaires du Québec.

L’Alliance pour l’engagement jeunesse collabore depuis deux ans aux travaux du groupe de recherche. Les premiers élèves ont été sondés à l’automne 2016 sur les activités réalisées au cours de la dernière année et de l’année scolaire en cours, leurs valeurs intrinsèques et extrinsèques et leurs comportements civiques futurs (ex. : aller voter, recycler, défendre une cause, etc.). Le bulletin de notes de chaque élève a été récolté à la fin de l’année scolaire, ainsi que celui de l’année précédente. Un an plus tard, un nouveau questionnaire a été administré pour analyser l’évolution de leurs valeurs et comportements civiques qu’ils projetaient un an plus tôt.

Selon les premiers résultats obtenus, la pratique d’activités civiques chez les jeunes du secondaire contribuerait vraisemblablement à la réussite et à la persévérance scolaire au-delà de toutes autres activités pratiquées (sportives, culturelles et artistiques). En effet, les élèves pratiquant une ou des activités civiques ou d’autres types d’activités ont augmenté en moyenne leurs notes de 2,5% par rapport à l’année précédente comparativement aux élèves ne pratiquant aucune activité (statut quo). Toutefois, l’effet des activités civiques est cumulatif : les élèves pratiquant une activité civique en plus d’une autre activité ont vu une meilleure progression académique que les autres ne pratiquant que des activités artistiques, sportives ou culturelles.

De plus, les jeunes réalisant des activités civiques seraient plus à même d’exercer une citoyenneté active dans leur milieu et leur communauté à l’âge adulte. N’est-ce pas là la consécration de la mission éducative des établissements d’enseignement au Québec ? L’Alliance pour l’engagement jeunesse est d’avis que ce premier constat est un pas encourageant dans la bonne direction : il faut accorder une place plus importante aux activités civiques – tant éducatives que parascolaires – pour les élèves. Cette proposition aura encore plus de poids si la recherche démontre que la participation à des activités civiques est le point de départ (cause) et que le bien-être ainsi que la réussite et la persévérance scolaire sont le résultat (conséquence), non pas l’inverse. C’est ce sur quoi le groupe de recherche de l’UQÀM se penchera au cours de la prochaine année, alors qu’un rapport de recherche sera publié. Il sera également question des impacts de l’engagement civique sur le bien-être psychologique des jeunes. Enfin, une nouvelle cohorte a amorcé le même processus durant l’année scolaire 2017-2018, portant maintenant le décompte à près de 2 000 élèves participants.

Fondée en 2015, l’Alliance pour l’engagement jeunesse est composée de quatre membres qui désirent stimuler et soutenir l’engagement social et environnemental des jeunes de 12 à 17 ans dans la province : la Fondation Monique-Fitz-Back, Amnistie internationale Canada francophone, Oxfam-Québec et le réseau des Établissements verts Brundtland (EVB-CSQ). L’Alliance contribue à la tenue de Journées de l’engagement jeunesse chaque automne un peu partout dans la province. Ces Journées rassemblent des centaines d’élèves d’une même région pour s’éveiller à l’engagement, s’inspirer, s’outiller et réaliser un projet dans leur école suite à l’événement.

Note

(1) http://www.recherche.elaborer.org/reussir.html



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Mariebelle Leclerc-Hallé

Coordonnatrice du Centre de solidarité internationale Corcovado à Rouyn-Noranda et enseignante au primaire

Cet article est fondé sur des données recueillies dans le cadre d’une recherche de maîtrise. La présentation qui en est faite ici est partielle et comprend une plus grande part de subjectivité de l’auteure.

L’histoire d’Haïti est marquée par l’instabilité politique qui contribue à la situation économique précaire de ce pays. L’été 2018 s’est inscrit dans cette tradition d’instabilité avec des soulèvements populaires violents qui ont interrompu plusieurs activités quotidiennes, particulièrement dans la capitale. Il est donc essentiel d’analyser comment l’éducation peut contribuer au développement de la démocratie pour permettre aux élèves d’Haïti de participer à l’élaboration d’un système politique qui favoriserait le bien-être des Haïtiennes et Haïtiens. Puisque c’est le personnel enseignant et les élèves qui vivent l’éducation pour la démocratie dans les écoles, leurs points de vue peuvent stimuler la réflexion collective sur les opportunités qu’offre l’éducation pour la démocratie en Haïti et les obstacles qui entravent leurs réalisations. En novembre 2017, des entrevues ont été réalisées avec cinq enseignantes, dix enseignants et une trentaine d’élèves dans des écoles secondaires publiques situées au sud d’Haïti. L’analyse de ces témoignages a mené à la conclusion suivante : la démocratie participative doit naître de la réflexion des citoyennes et citoyens d’Haïti et se baser sur leur réalité culturelle. L’éducation pour la démocratie pourrait contribuer à la réappropriation de la démocratie par le peuple si elle se fonde sur les expériences des élèves. Les milieux scolaires devraient aussi encourager leur engagement politique en leur permettant de délibérer et d’agir sur des questions qui les touchent.

Définir la démocratie

Plusieurs élèves et pédagogues interrogés au cours cette recherche affirmèrent qu’Haïti est encore en transition démocratique puisque le peuple n’arrive pas à s’entendre sur ce qu’est la démocratie. Il est donc pertinent de se poser les questions suivantes : Qu’est-ce que la démocratie ? Que signifie-t-elle pour les jeunes Haïtiennes et Haïtiens ?

Il est nécessaire de se positionner sur ce que l’on entend par démocratie puisque ce terme est défini différemment selon les groupes qui l’emploient. À travers l’histoire, certaines puissances mondiales ont utilisé la « défense de la démocratie » comme moyen détourné d’envahir d’autre pays pour défendre leurs propres intérêts. Il faut remettre en question l’idée que l’imposition d’une démocratie occidentale, suivant le modèle européen ou nord-américain, est toujours souhaitable et nécessaire pour que les pays du Sud deviennent « modernes ».

Dans cet article, le terme démocratie désigne ce que l’on pourrait appeler la démocratie participative. Dans ce type de démocratie, la population s’engage dans des débats dirigés par la raison, qui se concentrent sur les idées ayant la meilleure logique et pas seulement celles qui sont soutenues par le plus grand nombre de personnes (Biesta, 2011). Les citoyennes et citoyens doivent comprendre quels groupes tirent profit des décisions qui sont prises et quels groupes risquent de devenir plus vulnérables. Ainsi, les possibilités de changement deviennent plus claires et les gens peuvent utiliser leurs droits pour plus de justice sociale (Carr, Pluim, & Thésée, 2014). Ceci est particulièrement pertinent dans le contexte haïtien, car la démocratie participative pourrait devenir un outil pour lutter contre les inégalités sociales.

La démocratie en Haïti

La perception qu’avaient les personnes interrogées de la démocratie est ancrée dans les expériences démocratiques qu’elles vivent au quotidien. Même si le corps enseignant transmet des connaissances dans les écoles sur les fondements de la démocratie et ses caractéristiques en tant que système politique, les élèves apprennent la démocratie à travers leurs expériences.

Dans toutes les entrevues, la défaillance de la démocratie en Haïti a été mentionnée. Les participantes et participants avaient tendance à blâmer les politiciens et les institutions faibles pour le dysfonctionnement de leur gouvernement. Les dirigeants étaient présentés comme des êtres avides de pouvoir qui font passer leurs intérêts personnels devant le bien commun comme l’exprime cette élève :
« Maintenant je peux dire qu’il n’y a plus d’Haïti. Haïti n’est plus la perle des Antilles. On vit dans la peur. On n’a pas de quoi manger. Les présidents ne prennent pas vraiment leurs responsabilités. Avant de monter au pouvoir ils font de beaux discours. En montant au pouvoir, ils ne font rien. »

Cette méfiance à l’égard des politiciens entraînait parfois un manque de confiance en la démocratie elle-même.

La situation actuelle de la démocratie en Haïti peut être mieux comprise lorsque l’on analyse le contexte historique dans lequel elle a émergé et évolué. En effet, l’histoire d’Haïti est marquée par le colonialisme, la révolution des esclaves, les tensions raciales, l’occupation américaine, la dictature et une transition difficile vers la démocratie. De nombreux participant-e-s ont également mentionné comment les gouvernements démocratiques sont influencés par la communauté internationale et le secteur privé. Par exemple, les étudiant-e-s et les enseignant-e-s ont mentionné que l’actuel président, Jovenel Moise, n’avait pas le pouvoir de réaliser le projet d’électrification qu’il avait promis, car sa campagne était en partie financée par la bourgeoisie. Les financeurs du président ont des intérêts dans la vente d’électricité et ne seraient pas d’accord pour la fournir gratuitement. Par conséquent, certains participant-e-s ont fait valoir que la démocratie ouvrait la porte aux influences du secteur privé dans les affaires publiques. Le président est vu comme une façade pour créer une illusion de pouvoir au peuple à travers des élections.

Face à l’état de la démocratie dans leur pays, la majorité des pédagogues et des élèves ont affirmé qu’Haïti n’est pas vraiment un pays démocratique. Elles et ils voyaient un décalage entre ce qu’ils vivaient comme expérience démocratique et ce qu’ils croyaient que la démocratie devrait être. L’idée principale partagée par les personnes interrogées était que la démocratie devrait être « le pouvoir du peuple ». Pour les personnes interviewées, un réel « pouvoir du peuple » signifie que les personnes élues travaillent réellement pour le bien de leurs électeurs. Les autres éléments importants mentionnés pour définir la démocratie étaient la liberté d’expression, les droits et devoirs des citoyennes et citoyens et la démocratie en tant qu’instrument de développement. Bien que ces notions démocratiques soient maintenant enseignées à travers le monde, elles ont émergé et se sont développées en Europe. Implanter cette démocratie basée sur le modèle européen dans le contexte haïtien sans tenir compte de la réalité culturelle et socio-économique du pays ne semble pas avoir fonctionné jusqu’à maintenant. Un enseignant de sciences sociales au secondaire interrogé aborde ce phénomène dans l’extrait qui suit :
« Cette démocratie-là considère que tous les hommes sont égaux. Mais dans notre réalité culturelle, les Haïtiens sortent de l’esclavage. Au fond d’eux-mêmes est-ce qu’ils se considèrent effectivement comme égaux de toutes les personnes ? Est-ce qu’il n’y a pas quelque part un certain complexe de la plupart des Haïtiens qui se considèrent comme étant inférieurs ? C’est un choc psychologique, ils sortent de l’esclavage où ils étaient traités comme des bêtes. »

Les idées du philosophe et pédagogue Paulo Freire sont utiles pour analyser le discours de cet enseignant haïtien. Freire a beaucoup écrit sur la pédagogie de la libération, suite à son travail avec les plus défavorisés du Brésil. Il affirme que les idées des oppresseurs sont parfois assimilées par les opprimés. Cela veut dire que, même si les Haïtiennes et Haïtiens sont sortis de l’esclavage, la vision de l’oppresseur selon laquelle ils sont inférieurs et ont besoin d’être contrôlés dans leur liberté est ancrée en eux. Selon Freire, les personnes opprimées doivent participer à un processus de conscientisation pour se libérer de l’emprise de l’oppresseur qui est en eux. Ensuite, il est possible pour elles de bâtir une société plus juste et démocratique (Freire, 1996).

Mais comment ce processus de conscientisation peut-il être encouragé concrètement ? Paulo Freire affirme que ce sont les personnes opprimées elles-mêmes qui doivent être maîtres de leur propre émancipation. En me basant sur les données recueillies dans cette recherche, je crois que les élèves devraient être encouragés à analyser et critiquer leur environnement immédiat en se basant sur leurs propres expériences. L’enseignante ou l’enseignant peut servir de guide, afin de les aider à comprendre les liens entre leurs expériences concrètes et les systèmes politiques et économiques qui les influencent. L’apprentissage devrait se baser directement sur le vécu culturel et social des jeunes en Haïti. Cela pourrait permettre à une démocratie plus adaptée d’émerger en surmontant la déconnexion entre la démocratie occidentale qui a été imposée en Haïti et la réalité haïtienne.

Potentiel de l’éducation pour la démocratie

La grande majorité des pédagogues et élèves qui ont participé à cette recherche s’entendaient pour dire que l’éducation est primordiale afin de développer la démocratie haïtienne. Ils affirment que ce système politique a été imposé de l’extérieur sans être adapté ni réellement compris par la population du pays. Cet enseignant de sciences sociales affirme que l’éducation est la clé :
« La démocratie pourrait mieux faire son chemin quand le peuple est éduqué. Jusqu’à date, chez nous, on organise des élections, où le paysan qui ne sait ni lire ni écrire, comment ? Comment il peut choisir ? »

Selon les personnes interrogées pour cette recherche, la solution passe donc par l’éducation. Pourtant, des auteurs, comme Paulo Freire, ont soutenu que les écoles peuvent servir d’outil pour reproduire les inégalités sociales et perpétuer l’oppression. En effet, choisir ce qui vaut la peine d’être enseigné à l’école est une affaire politique et favorise souvent la vision du monde des plus puissants (Freire, 1996). En Haïti, l’incapacité de l’état de fournir l’éducation gratuite pour tous contribue aux inégalités entre les riches et les pauvres. Francesca Désulmé, haïtienne vivant au Québec et agente de programme à Mer et Monde, ce ne sont pas les établissements d’enseignement qui sont insuffisants pour permettre une éducation de qualité, mais bien les ressources humaines, matérielles et financières :
« En Haïti, ce ne sont pas les écoles qui manquent. C’est le moyen pour que l’enseignement face une réelle différence dans la vie des jeunes et des jeunes adultes. Haïti vit encore les sévices d’avoir été contraint de couper le financement attribué à son système d’éducation par le FMI et la Banque mondiale depuis les années 1980. »

En effet, quatre-vingt-dix pour cent des élèves n’ont pas accès à l’école publique et doivent choisir entre des écoles privées en fonction de leurs moyens financiers. Plus de 200 000 enfants ne peuvent accéder à aucune école, publique ou privée (WorldBank, 2015). Les familles les plus riches peuvent payer les frais d’écoles prestigieuses et coûteuses, ce qui leur donne de meilleures chances d’accéder à l’enseignement supérieur. Cette élève de 3e secondaire explique comment elle se sent affectée par cette situation :
« Nous qui sommes dans les écoles publiques sont des victimes, nous faisons beaucoup d’efforts. Mais lors des examens officiels (examens donnés par le Ministère de l’Éducation Nationale), nous ne pouvons pas réussir parce qu’ils disent que les élèves des lycées sont des délinquants. »

Les inégalités dans le système éducatif n’affectent pas seulement les élèves selon leur classe économique, elles sont aussi présentes sur le plan du genre, particulièrement en ce qui a trait aux expériences démocratiques vécues à l’école. Un enseignant de sciences sociales explique comment les stéréotypes de genre affectent les élections de comité de classe :
« Ça se reflète encore jusqu’à présent, même au niveau de l’association des élèves pour gérer la classe. C’est souvent les garçons qui remportent pour être le chef du comité. Il y a des élections qui se font pour élire un comité de classe. Souvent, même les filles ont tendance à élire les garçons comme présidents de classe. »

Selon la théorie de Paulo Freire, on peut expliquer ce phénomène par le fait que les jeunes filles ont assimilé l’oppression en adoptant l’idée sexiste que la politique est une affaire d’homme. Cette idée a d’ailleurs été mentionnée à quelques reprises durant les entrevues. Lors de l’entrevue avec les élèves d’un lycée exclusivement féminin, les jeunes femmes semblaient avoir déjà entamé un processus de conscientisation. Elles étaient au fait des inégalités de genre et voulaient travailler à les combattre, comme l’explique cette élève :
« On pense toujours que c’est seulement un homme qui peut être un sénateur, un président. C’est pour cela nous les femmes nous nous révoltons et disons que c’est une femme qui doit diriger Haïti. J’aimerais que les droits de la femme soient respectés. »

Certains défenseurs de la pédagogie critique proposent l’éducation pour la démocratie comme une nouvelle voie pour changer les inégalités structurelles et lutter contre l’oppression. Cela devrait donner les conditions nécessaires pour que les élèves pensent de manière critique et s’engagent dans la démocratie. Ainsi, la scolarisation aurait un rôle de transformation au lieu de reproduire les inégalités existantes (Apple, 2011 ; Biesta, 2011 ; Freire, 1996). Pour ce faire, l’école devrait encourager l’engagement politique des élèves en se basant sur leurs expériences quotidiennes.

Créer l’espace pour l’engagement politique des élèves
Toutes les jeunes femmes et tous les jeunes hommes qui ont décidé de faire partie de cette recherche étaient très intéressé-e-s par les questions de démocratie. Leur volonté d’agir pour l’améliorer la situation d’Haïti était palpable tout au long des entretiens. Bien que toutes les élèves et tous les élèves ne voulaient pas faire de la politique leur carrière, toutes et tous avaient le désir d’aider leur pays et de changer les problèmes dans le système démocratique, comme l’explique cette élève :
« Par exemple, si deux personnes font de la politique, ils ne cherchent pas l’intérêt du pays. Ils cherchent leurs propres intérêts. C’est-à-dire, s’il trouve à exterminer l’autre, il le fait. Donc c’est une mauvaise chose, c’est une mauvaise réputation aussi en tant qu’Haïtien. Nous-mêmes en tant que jeunes Haïtiens, nous savons que ce n’est pas bon. Nous devons nous changer. Le changement doit venir de nous en tant que jeunes qui grandissent dans le pays. »

Lorsque j’ai demandé à un groupe d’élèves ce qui les poussait à être si critiques et engagés, on m’a expliqué :
« Ça vient de ma vie. Je n’aime pas la vie que je mène. J’aimerais avoir une vie plus paisible, un peu de luxe. Pour améliorer ça, je dois voir mon environnement, comment il fonctionne et comment je peux évoluer. C’est pour cela que j’ai vu des bonnes et mauvaises choses et je critique. »
Cela démontre que les jeunes sont déjà conscients des enjeux démocratiques et désireux d’agir pour changer ce qui leur déplaît. Cependant, les témoignages des élèves indiquent qu’il n’y a pas assez d’opportunités à l’école pour que leur volonté de partager leurs opinions et d’agir s’épanouisse : « C’est le problème. Nous ne parlons jamais de ces idées ensemble. C’est la première fois. C’est un problème de communication et d’éducation. »

C’est en vivant des expériences démocratiques que l’on développe sa compréhension de la démocratie et que l’on peut contribuer à la faire évoluer (Biesta, 2011). Les institutions scolaires devraient permettre aux élèves d’agir dans leur communauté et d’apporter leurs idées au monde. Ainsi, les élèves pourraient se réapproprier la démocratie à partir de leurs propres expériences, pas seulement des idées occidentales qui leur sont enseignées.

Conclusion
Pour conclure, créer un espace pour que les apprenantes et apprenants puissent partager leurs opinions et adapter les connaissances enseignées à l’école à leur réalité pourrait être l’occasion pour la population haïtienne de se réapproprier la démocratie. Reconnaître que les jeunes sont des citoyennes et citoyens à part entière qui vivent leurs propres expériences démocratiques ouvre la voie pour que leurs idées soient considérées et qu’ils participent au développement de la démocratie. Ainsi, on leur laisse la chance d’apporter des solutions qui n’avaient pas été envisagées par les générations précédentes. Encourager la délibération et l’action chez les jeunes pourrait être favorable non seulement en Haïti, mais également au Québec et partout ailleurs.

Bibliographie

Apple, M. W. (2011). Democratic education in neoliberal and neoconservative times. International Studies in Sociology of Education, 21(1), 21-31.

Biesta, G. J. J. (2011). Learning Democracy in School and Society : Education, Lifelong Learning, and the Politics of Citizenship

Carr, P. R., Pluim, G., & Thésée, G. (2014). The Role of Education for Democracy in Linking Social Justice to the ‘Built’Environment : the case of post-earthquake Haiti. Policy Futures in Education, 12(7), 933-944.

Freire, P. (1996). Pedagogy of the oppressed (revised). New York : Continuum.
WorldBank. (2015). Four Thing You Need to Know About Haiti. Retrieved from http://www.worldbank.org/en/news/feature/2015/03/12/four-things-you-need-to-



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Emmanuel Thélusma

Article publié le 4 octobre 2017 dans Le Nouvelliste (Haïti)

Les problèmes qui rongent le secteur éducatif sont nombreux. Incompétence du corps enseignant, maigre salaire, démotivation personnelle, lassitude et désamour sont les maîtres mots qui résument la réalité de ce secteur. A l’occasion de la Journée mondiale des enseignantes et des enseignants, nous avons interrogé des enseignant-e-s émérites sur l’avenir de la profession en Haïti.

« Ce qui me reste après 53 années de service, c’est que j’ai apprécié particulièrement la qualité des élèves que j’ai rencontrés tant sur le plan académique que sur le plan humain en général. Mais, je pense qu’on mérite mieux que ça », a déclaré le frère Serge Larose qui a pratiquement consacré toute sa vie au service des Frères de l’institution chrétienne (FIC) et au service des écoliers haïtiens. En convalescence chez lui, l’expérimenté pédagogue a fait savoir qu’il n’existe pas d’avenir pour Haïti sans une éducation de qualité et solide. Une façon à lui de sonner l’alarme.
Pour sa part, l’ancien ministre de l’Éducation nationale sous le gouvernement du président d’Ertha Pascal Trouillot, le Dr Charles Tardieu, 37 ans de carrière, a fait un petit survol historique pour montrer l’origine de la déchéance du métier d’enseignant-e en Haïti. Selon lui, depuis les années 60, Haïti a commencé à perdre des enseignant-e-s qualifiés. Il a expliqué que ces gens-là émigrèrent en Afrique, (particulièrement au Congo) et en Amérique du Nord, (surtout au Canada), parce qu’ils étaient persécutés par le régime des Duvalier. Pour combler le déficit, a raconté le vieux de la vieille, les Duvalier n’avaient rien fait. Et depuis lors, dit-il, le champ est ouvert à tous, aux gens sans grande qualification, sans vocation et sans amour pour le métier. C’est comme pour dire que cela devient un tremplin pour les jeunes qui abandonnent par la suite le secteur pour mauvais traitement.
« C’est ce qui explique en partie le désordre que nous sommes en train de vivre dans ce secteur aujourd’hui. C’est ce qui explique aussi ce que nous avons maintenant : une éducation qui n’est pas de qualité. Un pays avec un système éducatif si exécrable n’ira pas loin et l’avenir du métier est incertain », a martelé le spécialiste en éducation, le Dr Charles Tardieu.
La dévalorisation du corps enseignant, la faiblesse de leur rémunération, la médiocrité, des conditions d’enseignement et d’apprentissage et le manque de formation professionnelle adéquate sont autant d’indicateurs qui fragilisent l’exercice de ce métier incontournable, selon l’avis de ces spécialistes.
« C’est un métier incontournable, mais trop de choses découragent aujourd’hui nos jeunes et les plus intelligents à l’exercer. Et la société et l’État ne valorisent pas cette profession en Haïti », a déclaré Marc Anthony Alix, 49 ans de carrière d’enseignant. Selon lui, les éducatrices et les éducateurs de nos enfants haïtiens devraient être considérés à leur juste valeur. « Ils sont plutôt maltraités et même banalisés par la société ».
Dans la même veine, Rose Thérèse Magalie Georges de la Confédération nationale des éducatrices et éducateurs d’Haïti (CNEH) a fait savoir que le métier d’enseignant-e en Haïti est en voie de disparition. Il a même avancé les arguments suivants : les gens ne sont plus intéressés à la profession. Le traitement infligé aux enseignant-e-s est inhumain.
« Avec ce cas de figure, dans les 10 prochaines années, on ne pourra pas trouver dans ce pays des professionnels compétents et qualifiés pour exercer ce métier », a indiqué celle qui a 32 ans de carrière dans le secteur, la syndicaliste Magalie Georges.
De son côté, le Dr Patrice Dalencour, 39 ans de carrière, croit que l’avenir dans ce domaine, est plutôt inquiétant. Car, dit-il, il y a trop d’enseignant-e-s à qualification insuffisante dans le secteur. C’est un danger pour le futur. Le sexagénaire estime qu’il revient à l’État de penser et de faire les choses autrement pour attirer beaucoup plus de gens qualifiés et compétents. En réalité, a-t-il ajouté, c’est un métier qui est en decrescendo de plus en plus.
« Quel-le enseignant-e aujourd’hui va inciter son enfant à exercer ce métier ? Personne ! Car, les enseignant-e-s ne sont pas honorés. Moi, si je reste c’est parce que j’aime ce métier », a précisé Patrice Dalencour, ajoutant que c’est une carrière que les gens embrassent temporairement faute de mieux et que celui qui le choisit est automatiquement condamné à avoir une vie difficile sur le plan économique.
Par ailleurs, si le secteur éducatif en Haïti est toujours associé à des journées de grève et de manifestation, c’est dû au fait que les conditions des enseignant-e-s sont minables et que l’éducation n’est pas la priorité de l’État et des citoyens, a conclu la secrétaire de la CNEH, Rose Thérèse Magalie Georges.

Crédit photo : Le Nouvelliste CCN



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Jo-Anni Joncas, PhD

Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones - CIERA Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail - CRIEVAT Observatoire Jeunes et Société

Les résultats de ma thèse de doctorat, qui avait comme principal objectif d’évaluer comment le contexte d’études de femmes autochtones universitaires contribuait (ou non) à leurs possibilités de choix dans l’optique qu’elles réalisent le parcours scolaire désiré, m’ont notamment permis d’identifier des éléments qui ont facilité ou limité la réalisation du parcours scolaire de ces étudiantes et de cerner les besoins des intervenants universitaires rencontrés à propos de leur travail auprès d’étudiants autochtones. Un des éléments intéressants des résultats de cette recherche concerne la relation entre les étudiantes autochtones et le personnel enseignant. Selon plusieurs auteur-e-s (Battiste, 2000 ; Bishop et al., 2012 ; Hare et Pidgeon, 2011 ; Kanu, 2007 ; Kovach, 2013 ; Neeganagwedgin, 2011 ; Stonechild, 2006 ; Wotherspoon et Schissel, 1998), le manque de connaissances sur les savoirs et cultures autochtones chez les enseignant-e-s et les professeur-e-s est l’un des principaux facteurs qui expliquent les écarts entre les taux de scolarisation des peuples autochtones et allochtones (non-autochtones). En effet, les taux de scolarisation des peuples autochtones sont largement en dessous des moyennes canadiennes et québécoises (Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, 2013 ; Statistique Canada, 2013). Une recherche de Kanu (2007) au sujet de l’intégration de la vision du monde autochtone dans le curriculum d’écoles secondaires de deux villes de l’Ouest canadien porte à croire que l’élément central qui affecte la réussite scolaire des élèves des Premiers peuples est la capacité des enseignant-e-s à intégrer efficacement les enjeux et savoirs autochtones dans leur enseignement. Je me suis alors questionnée quant à la formation des enseignant-e-s et des professeur-e-s sur ces questions relatives aux Premiers peuples.

De plus en plus de recherches portent sur la reconnaissance des Premiers peuples dans la pédagogie et les programmes scolaires du primaire et du secondaire au pays (Aikenhead, 2001 ; Battiste, 2010 ; Cajete, 2000 ; Donovan, 2015 ; Friesen et Friesen, 2002 ; Haig-Brown et Dannenmann, 2002 ; Kanu, 2007, 2011 ; Metallic, 2009 ; Reis et Ng-A-Fook, 2010 ; Sterenberg et Hogue, 2011 ; Stonechild, 2006 ; Tuck et Gaztambide-Fernàndez, 2013). Cela dit, à notre connaissance, la littérature existante concernant la présence des Premiers peuples dans la formation universitaire à l’enseignement est limitée (Archibald, 2008 ; Ng-A-Fook, 2014 ; Ng-A-Fook et al., 2015 ; Ng-A-Fook, Ingham et Burrows, 2017 ; Ng-A-Fook et Rottman, 2012 ; Scully, 2012 ; St.Denis, 2011). Potvin et al. (2015) ont conduit une étude sur la prise en compte de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans les orientations et compétences professionnelles en formation à l’enseignement au Québec. Leur analyse fine du référentiel ministériel indique une faible présence d’éléments de compétences interculturelles dans la formation à l’enseignement.

Ces constats m’ont menée à m’intéresser à l’espace qu’occupent les Premiers peuples (savoirs, cultures, histoires, enjeux contemporains, méthodes d’enseignement, etc.) à l’intérieur de la formation à l’enseignement des facultés d’éducation. De manière conforme aux appels à l’action de la Commission canadienne de vérité et de réconciliation (2015) et aux lignes directrices de la recherche auprès des Premiers peuples (Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, 2014 ; Groupe consultatif interagences en éthique de la recherche (1), 2015 ; Kovach, 2009 ; Smith, 2012 ; Smith, Tuck et Yang, 2018 ; Wilson, 2008), je travaille actuellement à : 1) documenter la place des Premiers peuples dans la formation à l’enseignement de facultés d’éducation québécoises ; 2) identifier les besoins des formatrices et formateurs dans l’intégration des questions relatives aux Premiers peuples à leur pratique ; et 3) relever des pistes d’action pour intégrer davantage les Premiers peuples dans la formation à l’enseignement de ces facultés.

Crédit photo : CIERA

Note

(1) Qui regroupe les trois organismes fédéraux de la recherche (le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et les Instituts de recherche en santé) au Canada.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Tanga Kiendrebeogo

Président de l’Association Solidarité Patoinyimba pour le Bien-être Social de Doulou, Burkina Faso

Dans la société, qu’elle soit traditionnelle ou moderne, la question de l’éducation occupe une place de choix tant au niveau national qu’international. C’est dans cette optique que le Burkina Faso s’est engagé à travers des accords et des conventions dans le cadre de l’Éducation pour tous.
L’éducation est perçue comme un droit fondamental pour les filles et les garçons dans notre pays. Ce droit s‘applique dans des écoles laïques classiques et dans des classes innovées comme les écoles bilingues, satellites, double flux, multigrades, à travers un programme d’enseignement - apprentissage qui tient compte des différents aspects du milieu de vie de l’apprenante et de l’apprenant. Après cet aperçu, quelle serait la finalité de l’éducation dans notre contexte ?
La mission de l’éducatrice et de l’éducateur est d’aider l’enfant, future bâtisseuse ou futur bâtisseur de la nation, à s’intégrer harmonieusement dans la société des adultes à travers sa formation physique, intellectuelle, morale et sociale.
En effet, sur le plan intellectuel, on constate le développement de l’esprit critique qui permet de définir. Grâce à l’éducation, les parents ont pris conscience de la nécessité de l’école et y inscrivent leurs filles, ce qui a favorisé grandement à l’émancipation des femmes et au développement du genre. Au Burkina Faso, bon nombre de femmes s’illustrent dans des organisations ou mouvements politiques et syndicaux pour la défense de leurs droits, de leurs intérêts. En classe, les filles et les garçons sont invité-e-s actuellement à mener les mêmes activités : balayer le plancher de la classe, nettoyer la cour de l’école, effacer le tableau, cultiver le potager, faire la vaisselle ou la cuisine, tracer le terrain des sports… ; les filles et les garçons s’asseyent ensemble sur le même table-banc pour étudier, ou sous le même arbre pour déjeuner.
Dans le même ordre d’idée, en dépit de la gratuité de l’école, les parents d’élèves ne sont pas du reste. Ils sont organisé en associations dénommées « Association des Parents d’Élèves » (APE) qui regroupent femmes et hommes ayant inscrit leurs enfants à l’école et « Association des Mères Éducatrices » (AME) composée uniquement de mères ayant leurs enfants dans ladite école. Ces deux associations contribuent à la bonne marche de l’institution scolaire : recrutement de nouveaux élèves, sensibilisation au recrutement des filles, réfection des locaux, acquisition de matériel pédagogique, implication dans les activités péri, para et post scolaires, apport en cantine endogène.
Les parents, en collaboration avec le personnel enseignant et élèves délégués, ont un regard particulier sur la prévention et la gestion des conflits entre acteurs de l’établissement.
Aussi, les grands défis de la planète - en l’occurrence les changements climatiques, la pauvreté, la violence, les maladies sexuellement transmissibles, l’incivisme, les grossesses en milieu scolaire - font l’objet de discussion lors des Assemblées Générales des parents d’élèves.
Outre les parents d’élèves, plusieurs autres partenaires sociaux interviennent généralement dans l’éducation des enfants. Au Burkina Faso, à Doulou, un village de brousse situé à une quinzaine de kilomètres de la ville de Koudougou, deux partenaires se sont impliqués dans l’éducation des enfants. Premièrement, le Club Nord du Cégep de Victoriaville intervenait à l’école bilingue de Doulou. Les étudiantes et étudiants de ce club organisaient des animations psychosociales avec les élèves des différentes classes en collaboration avec le corps professoral de l’école, animaient la bibliothèque de ladite école avec des livres provenant du Québec, feuilletaient ces documents avec les élèves en leur parlant du Canada. Les élèves en faisaient autant avec des documents portant sur le Burkina Faso auprès des partenaires du Québec. Il s’agissait de véritables partages d’expérience, de brassage culturel ; en un mot, de l’enseignement. Ces jeunes Québécoises et Québécois préparaient et partageaient les repas avec le personnel enseignant de l’école, des élèves et même les parents d’élèves dans leur famille. Des moments inoubliables de belle communion.
Maintenant, un autre groupe s’implique sous une autre forme. Il s’agit du groupe Songtaaba, associé à Solidarité Nord-Sud des Bois-Francs, cette fois via l’Association Solidarité Patoinyimba pour le Bien-être Social de Doulou depuis cinq ans. Le groupe Songtaaba, très soucieux du développement socio-économique du village de brousse qu’est Doulou, intervient dans plusieurs secteurs : le microcrédit, l’orphelinat de jour, l’agriculture, la clinique visuelle et le soutien au développement des Activités Génératrices de Revenus. Prenant le secteur de l’éducation, le groupe soutient l’Association à prendre en charge trente orphelines et orphelins issus de la communauté, le groupe soutenant la prise en charge scolaire, alimentaire et sanitaire à travers son Comité orphelinat. Deux enseignantes engagées dans ce cadre se partagent deux mandats : l’une fait l’aide au devoir et l’autre l’animation psychosociale avec les enfants une fois par semaine. Des modules de formation sanitaire sont dispensés notamment en hygiène corporelle, vestimentaire et du cadre de vie. Le comité orphelinat Songtaaba appuie fortement le développement des conditions de vie des enfants en sensibilisant le comité orphelinat de l’ASPBS. Durant ces cinq dernières années, les enfants voient ainsi leur niveau de vie amélioré. Les activités conjointement menées effacent les barrières culturelles. « Nassara et Ninsabalaga » (Blancs et Noirs) vivent ensemble dans le respect mutuel.
Sur le plan social, l’éducation inculque les valeurs du milieu à l’apprenante et l’apprenant comme le respect mutuel, l’obéissance, la solidarité internationale, l’honnêteté, la justice universelle, l’amour du prochain, la citoyenneté… ; et de pouvoir vivre dans un monde à diversités culturelles favorisant les rapprochements des peuples, gage d’un monde de paix, de justice et de liberté. À titre illustratif, nous pensons aux différentes compétitions internationales à savoir le football, les Jeux Olympiques (les J.O) qui regroupent des personnes de tous les horizons.
Sur le plan économique, l’éducation valorise le patrimoine culturel, moteur d’un véritable développement économique. La prestation des artistes musiciens sur scène, l’exposition des objets d’arts dans les foires, les salons internationaux, les villages atypiques, les visites dans les sites touristiques génèrent des devises importantes pour le pays. Elle permet également de promouvoir un commerce mondial juste et équitable.
Au regard de ce qui précède, nous retenons que l’éducation reste un facteur majeur de développement socio-économique durable.

Crédit photo : Tanga Kiendrebeogo



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Olivier Bégin-Caouette

Professeur adjoint en enseignement supérieur comparé, Université de Montréal

L’auteur s’exprime ici à titre personnel.

L’auteur souhaite remercier la Direction des affaires internationales de la Fédération des cégeps pour l’accès aux données.

Plusieurs lectrices et lecteurs de cette revue auront sûrement déjà connu ou entendu parler d’une étudiante ou d’un étudiant de cégep parti au Sénégal ou au Pérou réaliser un stage d’initiation à la coopération internationale. On peut voir ce phénomène - en expansion constante depuis le tournant du 21e siècle - comme une facette du processus d’internationalisation qui consiste à intégrer une dimension internationale, interculturelle ou planétaire dans l’organisation ou l’offre éducative. Si certains associent ce processus à une logique marchande selon laquelle l’éducation est un service qui s’exporte, d’autres – telle que la Professeure Jocelyne Gacel-Ávila – l’associe davantage à une action contre-hégémonique qui permet aux étudiants de mieux comprendre les liens d’interdépendance entre les peuples et favorise la coexistence pacifique. Dans un contexte marqué autant par la résurgence de populismes qui appellent au repli identitaire que par les inégalités croissantes entre les peuples, il se peut (mais n’est pas garanti !) que l’internationalisation de l’enseignement supérieur soit un vecteur de la compréhension mutuelle et du bien commun.
Cet article porte donc un sur un processus soutenu par de nombreuses motivations, dont certaines sont contradictoire, et tente de brosser un portrait de son évolution, des activités principales et de quelques résultats possibles.
Les racines de l’internationalisation
On peut faire remonter l’étude de l’internationalisation aux congrégations religieuses spécialisées en éducation qui, en plus de diriger les collèges classiques (ancêtres des cégeps), menaient des missions dans des pays en voie de développement, souvent motivées par des considérations prosélytiques. À l’image des transformations dans la société québécoise, la Révolution tranquille ramena l’internationalisation dans le giron de l’État et devint, pour le Québec, une manière de promouvoir son caractère distinct. La Doctrine Gérin-Lajoie (du nom du ministre de l’Éducation de l’époque) stipule que le Québec peut conclure des ententes internationales à l’intérieur de ses champs de compétences. Si la première entente internationale relative à l’éducation, signée en 1965 avec la France, visait d’abord les universités, les cégeps sont rapidement devenus une voie privilégiée pour l’action du Québec dans le monde.
Dès les années ’80, des enseignants de cégeps particulièrement sensibles aux enjeux internationaux ont élaboré diverses activités d’initiation à la coopération internationale (tel que l’option SENS du Cégep Saint-Laurent, le profil Optimonde du Cégep du Vieux-Montréal ou les profils Globe-trotter et Immersion du Cégep Garneau) qui se sont rapidement vues crédité à l’intérieur des programmes réguliers de formation. Une internationalisation plus institutionnelle s’est également construite grâce à la multiplication des projets de coopération internationale (financés par le Gouvernement fédéral) au lendemain de la guerre froide. En 1992, 20 cégeps impliqués dans 45 pays ont fondé Cégep international (désormais intégré à la Fédération des cégeps), qui avait pour premier objectif de faciliter la participation à ces projets. Mais Cégep international a également entrepris du démarchage auprès du Gouvernement provincial et fit valoir que les cégeps – uniques au Québec – contribuaient à la visibilité de la province. En 2002, le Ministère de l’Éducation du Québec (2002) déposa sa Stratégie pour réussir l’internationalisation de l’éducation qui avait pour objectifs avoués l’ouverture des citoyens sur le monde et la promotion du Québec. Le gouvernement a aussi créé les Programmes pour l’internationalisation de l’éducation au Québec (PIEQ) et des bourses pour la mobilité étudiante et enseignante dont il a laissé l’administration à Cégep international. Il s’est donc formé une communauté de pratique dans laquelle Cégep international obtenait, de la part de l’État québécois, du financement pour les activités internationales des cégeps qui, de leur côté, contribuaient à promouvoir le système d’éducation québécois. En 2010, un sondage mené par Cégep international révélait d’ailleurs que 95% des administrateurs de cégeps croyaient que l’internationalisation contribuait à promouvoir le Québec. À noter qu’entre 2000 et 2010, les nouvelles mesures de financement, de même que la création des offices jeunesse internationaux du Québec, ont multiplié les projets de mobilité étudiante alors que le financement pour la coopération internationale en éducation a décru significativement.
Aperçu d’un phénomène en expansion
L’internationalisation est un phénomène quasi-universel dans les cégeps : 86% d’entre eux en font état dans leur plan stratégique, tous recrutent des étudiants internationaux et tous organisent des projets de mobilité étudiante. On reconnaît cinq types d’activités internationales dans les cégeps, chacune supporté par des motivations distinctes : la coopération internationale, la mobilité étudiante, la mobilité enseignante, l’internationalisation des programmes et le recrutement d’étudiants internationaux.
La coopération internationale telle que comprise dans le contexte de l’internationalisation des cégeps se comprend comme toute activité d’exportation de services éducatifs incluant l’appui institutionnel et le développement des capacités. Un des exemples récents est l’implication de 10 cégeps dans le projet Éducation pour l’emploi (EPE) dans les Andes ; un projet financé par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada, dont l’objectif est de contribuer au bien-être socioéconomique des jeunes (et surtout des femmes) en situation de vulnérabilité. Le Cégep régional de Lanaudière à Joliette s’est ainsi associé au Ministère de l’Éducation de la Bolivie pour développer un programme de formation en production bovine orienté vers le développement durable. Le Cégep de Trois-Rivières, quant à lui, s’est associé à l’Instituto Tecnológico Ayacucho en Bolivie dans l’élaboration d’un programme en soudure industrielle selon l’approche par compétences.
Les études menées par Cégep international et la Fédération des cégeps suggèrent que la coopération sert d’abord à établir des partenariats stratégiques et à promouvoir le système québécois. L’expertise en approche par compétence développée au Québec a, par exemple, permis aux cégeps de participer à un comité de l’Organisation internationale de la francophonie et de rédiger des manuels en enseignement technique et professionnel ; ces manuels furent ensuite repris par l’UNESCO et portent le titre officieux de l’Approche Québec. Entre 2005 et 2014, le nombre de projets réalisés par les cégeps est néanmoins passé de 115 à 66, ce fait de la coopération internationale l’une des activités les moins répandues.
Au contraire, dans un objectif de former des étudiants ouverts sur le monde et grâce aux multiples mécanismes de financement, la mobilité étudiante est devenue entre 2000 et 2014 l’activité internationale la plus répandue. En 2014, l’étude de la Fédération des cégeps révélait que 3,4% de toutes les étudiantes et étudiants des cégeps participaient à un projet de mobilité, comparativement à 2,3% dans les universités canadiennes et 1% dans les collèges canadiens. La première région privilégiée demeure l’Europe, mais l’Amérique centrale et l’Afrique occupent la deuxième et la troisième place. Le Cégep du Vieux-Montréal permet, par exemple, aux étudiantes et étudiants en soins infirmiers de réaliser un stage crédité de trois semaines à Thiès (Sénégal). Plusieurs cégeps bénéficient également de l’appui d’organismes de coopération internationale. Le Collège de Maisonneuve s’est, par exemple, associé à Solidarité Union Coopération (SUCO) afin d’offrir aux étudiantes et étudiants la possibilité de participer à au Nicaragua ; les cégeps de Bois-de-Boulogne, Drummondville et Sept-Îles ont bénéficié du support de Mer et monde dans l’organisation de stages au Sénégal ; et des enseignantes en soins infirmiers du Cégep de Sorel-Tracy ont transformé leur cours de stage en un stage humanitaire au Pérou grâce au parrainage d’Infirmières et Infirmiers Sans Frontières (IISF).
La mobilité enseignante et l’internationalisation des programmes sont aussi deux activités qui ne cessent de gagner en popularité. La première est réputée favoriser le perfectionnement et le développement de nouvelles pratiques pédagogiques, alors que la seconde contribuerait à la sensibilité interculturelle des étudiantes et étudiants. Peu d’enseignantes et enseignants peuvent réaliser un tel projet (90 en 2014), mais ceux qui l’ont fait ont suggéré avoir amélioré leur capacité d’adaptation, de planification, leurs habiletés linguistiques et renforcé leur motivation au travail. Du côté des programmes orientés vers l’international, leur nombre a presque doublé en quatre ans.
Finalement, le recrutement d’étudiantes et étudiants provenant de l’étranger est motivé, dans de nombreux cégeps par des considérations économiques, mais pas dans le sens où les cégeps souhaitent générer des profits à même les droits de scolarités (fort élevés, il faut le dire) que ces étudiant-e-s paient, mais plutôt dans le sens où ce recrutement permet de maintenir une offre de programmes variée en région, tout en exposant les étudiants locaux à une certaine diversité culturelle. En effet, si près de la moitié des étudiantes et étudiants provenant des quatre coins du monde sont établi-e-s à Montréal, les régions du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du Bas-Saint-Laurent arrivent en 2e et 3e position. Un article paru dans le Soleil (19 août 2017) révélait que la proportion d’étudiant-e-s venu-e-s d’outre-mer s’établissait à 35% au Cégep de Matane, un record au Québec.
Le processus aux multiples facettes qu’est l’internationalisation est donc, en partie, soutenu par des motivations politiques économiques et socioculturelles dans les cégeps. Bien entendu, les cégeps ne sont ni des agences de tourisme, ni des ONG et leur implication à l’étranger est souvent inscrite dans un projet éducatif plus large. Plusieurs cégeps considèrent d’ailleurs que l’internationalisation offre diverses occasions aux étudiantes et étudiants de parfaire leur maîtrise d’une troisième langue, de mettre en application certains apprentissages théoriques, d’adapter leur pratique à un contexte de diversité culturelle, d’apprendre à travailler en équipe, de devenir plus autonome et d’alimenter leur réflexion quant à leur choix de carrière ; le tout en contribuant au développement des compétences communes associées à la formation collégiale, soit la résolution de problèmes, la créativité, l’adaptativité aux situations nouvelles, le sens des responsabilités et la communication. De nombreuses études américaines confirment d’ailleurs que l’internationalisation, en plus de contribuer au développement d’une sensibilité interculturelle, contribue à l’acquisition de nouvelles méthodes de travail, de même qu’aux résultats et à la persévérance scolaire.
Mais quelles que soient les motivations, l’internationalisation constitue un processus plus dynamique que statique et quiconque s’intéresse au rôle de l’éducation dans la solidarité internationale devrait prêter attention aux signes avant-coureur d’une nouvelle ère.
Une nouvelle ère dans l’internationalisation des cégeps
L’internationalisation s’est étendue à l’ensemble des cégeps et la plupart d’entre eux l’ont intégrée dans leurs publications, y ont dédié des ressources humaines et financières, de même que de nouvelles structures, telles que les bureaux internationaux. Or, depuis 2010, même si le nombre d’activités internationales et de participantes et participants continue de croître, le processus lui-même se décentralise, disparaît des documents officiels et ne se matérialise moins dans de grands projets structurants qu’à travers d’activités spontanées. Le financement fédéral dédié à la coopération en éducation n’est plus ce qu’il était, le financement provincial pour la conclusion d’ententes institutionnelles a été aboli en 2011 et, depuis, l’écrasante majorité des enseignantes et enseignants et des étudiantes et étudiants réalisent des projets à l’extérieur d’ententes. Cette ère « post-institutionnalisation », je l’appelle provisoirement « phase de diffusion » en ce sens que l’internationalisation continue de se diffuser à plus d’acteurs, mais devient en même temps plus diffuse et nébuleuse.
Cette phase de diffusion ne signifie toutefois pas la fin des relations de coopération. Il semble, en effet, que certains projets de mobilité enseignante, initiés par les enseignantes et enseignants eux-mêmes, constitue une forme de coopération plus flexible et moins coûteuse, mais peut-être aussi moins influente et durable. Des enseignantes et enseignants de cégeps développent ainsi des relations personnelles avec des enseignants de Tunisie, du Mexique, de Cuba ou du Sénégal, et partagent, dans une relation bidirectionnelle et (idéalement) plus égalitaire, leurs expériences et leurs méthodes pédagogiques. En 2011, des enseignantes et enseignement du Collège Vanier ont, par exemple, développé des liens avec leurs pairs de l’Inde et du Mexique et, à la suite de séjours de mobilité, ont conclu une entente avec la Indira Gandhi Open University afin de codévelopper des méthodes d’enseignement à distance.
De la même manière, même si les cégeps québécois affichent les plus hauts taux de mobilité étudiante en Amérique du Nord, ce n’est qu’une infime minorité qui participe à de tels projets. Afin de démocratiser l’accès à une expérience internationale, des enseignantes et enseignants ont développé des milieux d’apprentissage en réseau international (MARI) qui constitue une activité, un projet ou un cours offert conjointement par des enseignants de cégeps et d’ailleurs à leurs classes respectives, reliées par des technologies de vidéoconférence, des fora et applications de clavardage. En plus d’internationaliser la formation sans devoir modifier les programmes, les MARI constituent une occasion de développement professionnel (qui renforce les habiletés technologiques, pédagogiques et linguistiques des enseignants) et une forme ascendante de coopération puisque les professeurs doivent, dans le respect et la réciprocité, accepter de partager leur expertise et leurs ressources.
Par faute d’appui administratif et financier, plusieurs de ces MARI se terminent après une session, mais relatons tout de même deux exemples inspirants des dernières années. Un enseignant en design industriel a, en 2013, établi un partenariat avec un professeur d’une école de design de Barcelone. Ils ont développé, via Skype et Moodle, une activité semestrielle dans laquelle les étudiantes et étudiants des deux pays ont choisi des sujets sur lesquels ils ont travaillé séquentiellement : les étudiantes et étudiants de Catalogne ont conçu un produit et les étudiants québécois ont développé le prototype ; le tout dans un processus de rétroaction constante. Un autre enseignant en sciences humaines s’est associé à un professeur d’université en Russie et à un instructeur de collège en Ontario pour créer une « salle de classe du monde ». Les instructeurs se rencontraient virtuellement pour déterminer les objectifs d’apprentissage et élaborer des plans de cours. Ensuite, ils invitaient des chercheuses et chercheurs de partout dans le monde à offrir des conférences par webcam à toutes les étudiantes et tous les étudiants qui, par la suite, discutaient du sujet sur un blogue.
Ces activités sont une évolution intéressante puisqu’elles placent le corps enseignant au cœur d’un processus d’internationalisation plus ascendant et égalitaire. Notons toutefois, en terminant, l’émergence d’un phénomène qui, motivé par des intérêts plus économiques que socioculturels politiques ou éducatifs, contribue aussi à cette phase de la diffusion. Le recrutement d’étudiantes et étudiants de l’étranger dans les cégeps se faisait le plus souvent à l’intérieur d’ententes signées entre le Gouvernement du Québec et divers États de la francophonie (dont l’Île de la Réunion et la Nouvelle-Calédonie) qui exemptaient les étudiants de ces pays des droits de scolarité et assuraient la visibilité au Québec. Or la Politique internationale du Québec de 2017 préconise un recrutement d’étudiantes et d’étudiants à l’extérieur de ces ententes (contribuant ainsi à une certaine déstructuration) dans l’objectif avoué de faire de l’éducation un secteur d’activité rentable. Le corolaire, c’est que le nombre d’étudiantes et étudiants en provenance de la France a crû de 59 % en 4 ans, alors que le nombre d’étudiantes et étudiants en provenance d’Afrique a diminué de 38 %. Cette réorientation de la part du Gouvernement bouscule la communauté de pratique qui s’était construite autour des objectifs politiques du Québec et socioculturels des cégeps. Alors que les cégeps étaient les champions de la mobilité et que les collèges canadiens misaient plutôt sur le recrutement, il est à se demander quelles seront les conséquences de ce changement sur les projets de mobilité. Mais quoiqu’il arrive, les cégeps demeureront une signature distinctive du Québec dans le monde et leur internationalisation demeurera une histoire foisonnante et fascinante à étudier.

Bibliographie

Bégin-Caouette, O. (2018). Le processus d’internationalisation des cégeps : une analyse historique et géopolitique. Revue canadienne de l’enseignement supérieur, 48(1), 99-117.

Fédération des cégeps (2014). Portrait des activités internationales des cégeps 2014. Récupéré de www.fedecegeps.qc.ca/wp-content/uploads/2014/10/FED0914.

Fournier, J. (2017). Cégep de Matane : le salut par les étudiants étrangers. Le Soleil, 19 août 2017. https://www.lesoleil.com/actualite/en-region/cegep-de-matane-le-salut-par-les-etudiants-etrangers-a53aae089a19aec215969bb670f1aa62.

Gacel-Ávila, J. (2005). The internationalisation of higher education : A paradigm for global citizenry. Journal of studies in international education, 9(2), 121-136.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Marie-Françoise Joly

Présidente du Comité des Éducateurs Sans Frontières, Fondation Paul Gérin-Lajoie

En Haïti et dans plusieurs pays africains de la francophonie, les Éducateurs sans frontières (ÉSF) de la Fondation Paul Gérin-Lajoie accompagnent activement des initiatives visant à la construction d’une citoyenneté solidaire chez les jeunes.

Le réseau des Éducateurs sans frontières (ÉSF) est un regroupement d’éducatrices et d’éducateurs canadiens d’expérience qui ont décidé d’agir de façon bénévole comme conseillères et conseillers auprès de leurs homologues dans les systèmes scolaires et communautaires des pays francophones du Sud afin de partager leur savoir-faire et favoriser le partage des connaissances avec pour but ultime d’améliorer la qualité de l’éducation dans les pays d’intervention de la Fondation.

Une citoyenneté solidaire

Avant de vous présenter quelques initiatives locales, permettons-nous quelques réflexions sur ce que peut être une citoyenne ou un citoyen solidaire au niveau local et international.
Pour être citoyenne ou citoyen, il faut être instruit et comprendre son monde. On ne peut atteindre toute sa dimension humaine et sociale sans un savoir accessible, disponible et de qualité. La mondialisation des économies, des cultures, des politiques, des échanges qui ont « rétréci » notre planète, nous oblige à avoir une vision large et solidaire de nos interactions locales, nationales et internationales. La solidarité citoyenne vise à inciter les populations à participer au développement de leur groupe par leur implication dans les projets d’intérêt général.
Nos interventions en tant qu’ÉSF peuvent se définir par un certain nombre de mots-clés : accompagnement, renforcement des capacités, conscientisation, cheminement vers la responsabilisation et l’autonomie.
En travaillant avec les intervenantes et intervenants scolaires et communautaires, nous aidons à créer une éducation de qualité et participons à l’émergence de qualités citoyennes. Nous accompagnons nos partenaires terrain en étant à l’écoute de leurs besoins, en collaborant avec eux dans une réflexion interactive et une planification participative et en assurant des suivis en personne ou à distance.
Notre objectif ultime est d’aider nos partenaires à exprimer leurs besoins, à imaginer les outils nécessaires pour y répondre, à être capables de travailler en équipe et de partager leurs réflexions, à devenir responsables de leurs prises de décisions et autonomes face aux changements qu’ils ont décidé d’apporter.
De plus, la Fondation entend participer à l’éducation et à la sensibilisation de nos élèves canadiens face aux enjeux mondiaux et aux inégalités Nord/Sud, grâce à la Dictée PGL. Cette dictée connaît un vif succès puisque, depuis sa création, plus de 4 000 000 d’élèves québécois et canadiens y ont participé, mais aussi des enfants des États-Unis, du Sénégal, d’Algérie et du Maroc.

Après ces quelques réflexions liées à la solidarité internationale, nous nous rapprocherons de la réalité du terrain par des exemples concrets, sélectionnés en Haïti, au Mali et au Bénin, interventions aidant nos partenaires à tendre vers une éducation de qualité et donc à développer davantage de qualités citoyennes.

En Haïti, Bénin et Mali : Programme d’insertion durable des diplômés du secteur agropastoral (IDDA)
Le projet IDDA a pour objectif ultime une prospérité économique accrue des populations béninoises, haïtiennes et maliennes par les programmes de compétences pour emploi. Ce projet d’envergure permettra également de moderniser le secteur agricole qui est parmi les plus porteurs : au Bénin 58% de la population se retrouve dans ce secteur mais seulement 2% des chefs d’exploitation sont scolarisés ; au Mali 63% de la population active est en agriculture mais peu ou pas scolarisés ; en Haïti, dans le Sud Est, si 67% de la population travaille la terre, seulement 0,23% ont fréquenté un centre de formation professionnelle.
Pour améliorer les compétences des jeunes et leur accessibilité au marché du travail, le projet se base sur l’objectif d’amélioration des programmes d’études dans le domaine agropastoral (cours et stages) et sur un processus d’insertion professionnelle des jeunes. Par l’éducation et le renforcement de leurs capacités en agriculture et en élevage, ainsi qu’en gestion et en entrepreneuriat, les jeunes se verront mieux outillés pour aborder le marché du travail. Un accompagnement leur sera disponible lors de recherche d’emploi ou de démarrage d’entreprise.
À la fin du cycle de 5 ans, les programmes des dix établissements concernés auront été refondus et améliorés, 200 enseignants et gestionnaires formés et, si la tendance se maintient, plusieurs milliers d’étudiants et d’étudiantes obtiendront leur diplôme, ayant acquis des compétences et des techniques adaptées à leur coin de pays, et pourront devenir des atouts majeurs pour leur famille et leur communauté.
Le programme IDDA se caractérise notamment par son pragmatisme et l’atteinte de résultats immédiats et durables. Malgré les défis de réalisation au Bénin et plus encore au Mali et en Haïti, les trois volets de sa mise en œuvre fonctionnent en synergie et visent à permettre aux diplômés des centres de formation de contribuer concrètement au développement de leur communauté, dès la première des trois années du curriculum. Par le volet gestion organisationnelle, IDDA aide ces centres à mieux planifier et administrer leurs activités et à demander leur accréditation auprès des institutions publiques. Le volet formation professionnelle permet aux élèves, femmes et hommes, de réaliser des apprentissages qui combinent théorie et pratique de production, et de se préparer à devenir des entrepreneurs. À titre d’exemple, les élèves doivent développer leurs capacités en soin des champs (cultures, irrigation, protection des sols), sont en charge de poulaillers et de l’élevage de chèvres, de jardins de productions agricoles (pépinières, potagers) et s’occupent de la mise en marché de leurs produits. Enfin, dès la première année du programme le volet insertion permet à des stagiaires de travailler chez des employeurs, IDDA ayant aidé les centres à obtenir des ententes avec ces structures d’accueil. Ces jeunes se lancent ensuite en entreprises agricoles durables et respectueuses de l’environnement.
D’ailleurs, le programme PAREA vient renforcer le projet IDDA par l’apport d’un effort spécifique en environnement et lutte contre les changements climatiques. Il a pour objectif ultime d’améliorer la résilience aux répercussions des changements climatiques de 375 entreprises agricoles de jeunes diplômés des lycées techniques agricoles (LTA) de Sékou et de Kika au Bénin.

Projet d’Appui au parcours entrepreneurial des femmes de Porto Novo (PAPEF)
Le projet d’Appui au parcours entrepreneurial des femmes de Porto Novo (PAPEF) au Bénin est la suite du projet Femmes de Porto Novo. Le projet Femmes de Porto Novo, qui a débuté en 2003 et s’est poursuivi jusqu’en 2015, accompagnait des groupements de femmes dans un parcours entrepreneurial visant à les appuyer dans la lutte contre la pauvreté grâce à des activités génératrices de revenus. Le projet PAPEF s’inscrit comme la suite logique de ce projet qui a accompagné pendant plus de 13 ans plus de 129 groupements, soit l’équivalent de plus de 1300 femmes.
Prenons l’exemple d’une de ces coopératives de femmes : la coopérative WANGNINANGBE qui signifie « association de l’amour ».
À la faveur du Projet gouvernemental de Gestion Urbaine Décentralisée (PGUD) (Porto-Novo au Bénin) puis accompagnée par le projet PAPEF, une coopérative est créée et s’attelle à la transformation des graines de courge, vielle activité traditionnelle rare pratiquée par la grand-mère d’une des femmes fondatrices de la coopérative. Aujourd’hui, la coopérative gagne en notoriété et s’impose comme partenaire commercial de l’huile de courge sur le marché. Elle vend l’huile de courge aux centres de promotion sociale, aux hôpitaux et cliniques, aux diabétiques, aux particuliers et aux pays frontaliers du Bénin, voire au-delà. La production reste encore artisanale et la capacité de production annuelle actuelle est de 1200 litres d’huile de courge. Le litre d’huile coûte actuellement 2500 F CFA (environ 6$CAN).
La coopérative a bénéficié d’un appui matériel et de crédit. Le total des prêts reçus à ce jour est de 5 000 000 F CFA (11 750$CAN) dans le CANre des activités du Projet des femmes de Porto-Novo. Le chiffre d’affaires annuel actuel avoisine 3 000 000F CFA (7 050$CAN). Toutes les femmes membres de la coopérative travaillent ensemble et reçoivent chacune une ristourne d’au moins 13 000F CFA (31$CAN) chaque mois en dehors des prestations facturées et payées comme main d’œuvre. La coopérative emploie près d’une dizaine de personnes comme main d’œuvre externe.
Ces femmes ont dû se prêter à un véritable « parcours de la combattante » pour arriver à cette victoire : elles commencent par une formation en alphabétisation : langue locale Goun (11 mois) ; français fondamental (5 mois) ; examen en vue d’une certification gouvernementale ; puis viennent les formations et l’accompagnement en gestion/vie coopérative ainsi que des formations techniques. Une fois les formations terminées, elles reçoivent un appui en élaboration de plans d’affaires, une dotation en équipement ainsi qu’un micro-crédit. Des suivis serrés sont établis pour la mise en œuvre des plans d’affaires et des remboursements, ainsi qu’un accompagnement pour les activités quotidiennes au sein des coopératives.
Actuellement, 100% des emprunts ont été remboursés dans les temps impartis dans leur plan d’affaires. La coopérative est gérée par 8 femmes et la cogestion est facilitée par une présidente de coopérative.
Ces femmes championnes ont non seulement développé des capacités de production et de gestion mais elles ont compris l’importance de travailler ensemble pour le bien de tous.
De nombreux autres projets de la Fondation sont déployés pour amener des actions concertées par des individus, mais surtout par des regroupements d’individus (de femmes, d’agricultrice-teur-s, d’artisan-ne-s) appelés à unir leurs efforts.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Charles E. Caouette

Professeur retraité et auteur "Éduquer. Pour la vie !" chez Écosociété

Ce texte est inspiré d’une allocution présentée en 2009 à des enseignantes et enseignants.

Pour cette communication, j’ai choisi de vous proposer une vue d’ensemble, et de chercher à retrouver le sens profond de l’éducation, et la mission première de l’école.

Comme il est sans doute devenu évident pour toutes et tous, l’école d’aujourd’hui est à un carrefour ; elle doit faire un choix. Nous devons ensemble faire le bon choix et nous engager dans la bonne voie.

Si l’on considère, ne serait-ce qu’un instant, ce qui se passe autour de nous, ce qui se passe au niveau de la société globale, au niveau de l’humanité, nous prenons vite conscience qu’il y a à travers le monde un mal de vivre croissant, un stress, une violence, une compétition malsaine et destructrice, des guerres qui n’en finissent plus. Il devient donc urgent de réagir fortement et collectivement. Nous devons au plus tôt apprendre à vivre AUTREMENT !

Or, selon de nombreux expertes et experts dans le monde - je pense en particulier à ceux de l’Unesco - la transformation nécessaire et urgente de la société ne peut se faire sans une transformation majeure de nos systèmes d’éducation. Et cette transformation ne pourra se faire sans la collaboration active, sans la foi, sans l’enthousiasme et sans l’effort de chacune et chacun de nous ici présents. Nous avons un défi énorme à relever. Nous avons présentement l’obligation personnelle, professionnelle et sociale de Réussir cette transformation majeure de l’éducation au Québec.

Bien sûr qu’il y a des progrès énormes qui se font déjà en éducation, qu’il y a depuis longtemps des réformes qui se succèdent les unes aux autres, et même qui se réforment les unes les autres, au point où l’on dit souvent que « l’école québécoise est le statu quo le plus mobile qui soit » ; tout bouge mais rien ne change vraiment ! Il m’apparaît, donc que, pour se réaliser, ces réformes doivent davantage avoir une âme, une philosophie, une vision à long terme.

Le défi qui se présente à nous est énorme, et nous ne pouvons l’éviter. La crise économique actuelle, dont on fait tellement de cas, est un autre indice que la situation globale se détériore gravement, tant sur les plans humains qu’environnementaux. Nous n’avons plus le choix, des changements majeurs s’imposent. En éducation, nous avons un grand défi à relever : libérer l’éducation du paradigme industriel dans lequel elle s’est embourbée, et la ramener à sa mission fondamentale et essentielle, à savoir :

- Nous apprendre à vivre ;
- Nous aider à retrouver le sens de cette aventure humaine tout à fait unique que nous sommes en train de vivre ; et que nous ne vivrons probablement qu’une seule fois !
- Nous aider à donner du sens à notre vie, à notre travail professionnel, à notre mission extraordinaire de citoyennes et citoyens du monde ;
- Nous aider à Réussir notre propre vie, et à faire de nous des Passionné-e-s de réussite, des Passionnées de la réussite donc de chaque enfant et de chaque adolescent dont nous avons la responsabilité professionnelle et sociale.

Il importe de se rappeler d’abord, brièvement, ce qu’est l’éducation dans son essence même. Éduquer, c’est aider un individu ou un groupe à parvenir au maximum d’autonomie responsable, et au développement optimal de toutes ses ressources et de tous ses talents.

Il ne s’agit donc pas, en priorité, de performances mesurables, évaluables et permettant de mettre en rang les individus, les classes, les écoles et les institutions. Il s’agit du développement intégral de chacun des jeunes, enfants et adolescents, qui nous sont confiés.

Au moment où de plus en plus de pressions s’exercent sur nous pour favoriser la performance, l’excellence à tout prix, comme si seules les notes et les bulletins comptaient, nous en venons parfois à oublier que nous sommes d’abord là pour former des êtres humains, aussi vrais, authentiques et épanouis que possible. Bien sûr que nous avons des programmes à respecter le plus possible, mais ce ne sont là que des médiums et des outils d’intervention. L’objectif premier que nous devons rejoindre, et qui fait que notre métier est le plus beau du monde, le plus stimulant et le plus exigeant, demeure celui d’aider des êtres humains en croissance, dont chacun est unique, à se développer de la meilleure façon possible, à devenir des personnes et des citoyennes et citoyens du monde autonomes et responsables ; ce que, en passant, nous devons être nous-mêmes, et ce qui évidemment ne simplifie rien !

(J’en profite pour rassurer ceux et celles qui croient que j’accorde peu d’importance aux contenus d’apprentissage. Au contraire, ce qui me désole le plus c’est le peu de ces contenus qui reste après quelques années, sinon quelques mois ! Je pense aux jeunes qui, très tôt, perdent tout plaisir à apprendre, à découvrir, qui perdent confiance dans leurs capacités et qui perdent l’estime d’eux-mêmes. Je pense aussi à ceux qui après 8 ou 10 ans de fréquentation scolaire deviennent des analphabètes fonctionnels, parce que le difficile apprentissage du français, de la lecture et de l’écriture, a toujours été pour eux source de tension, d’échec et de dévalorisation.)

Aider de jeunes personnes à donner un sens à la vie, à leur vie et à en devenir responsables, c’est notre mission première et fondamentale, c’est aussi la plus importante, surtout dans le contexte actuel. Nous avons à bâtir ensemble une société nouvelle, plus saine, plus respectueuse de chacun des enfants et des adolescents, de chacun de nous aussi, une société plus joyeuse. Ce n’est pas là une utopie, comme certains des pouvoirs en place tentent de nous faire croire, c’est un défi incroyable, incroyablement stimulant : construire une société nouvelle fondée sur des valeurs différentes de celles de la société industrielle actuelle en train de s’écrouler ; construire une société nouvelle fondée sur les valeurs de respect, de responsabilisation, de coopération, de partage, du sentiment d’appartenance et de compassion pour l’ensemble de l’humanité. Or, ces valeurs et ces attitudes, qu’il nous faut retrouver et auxquelles il faut redonner la priorité, ne s’enseignent pas, mais elles doivent s’apprendre. Et c’est dans chacune de nos écoles qu’elles doivent s’apprendre et se vivre. En accord et en coopération avec les familles, bien sûr !

Il serait magnifique que nous retrouvions ensemble le sens de cette réussite, dont nous sommes passionnés, la réussite véritable, la réussite de l’éducation. J’ajouterai, par ailleurs, que nous devons dès maintenant joindre tous nos efforts pour que l’évaluation en éducation, dont on fait si grand cas, porte enfin sur l’essentiel et non pas d’abord et presque uniquement sur les performances mesurables, quantifiables, et le plus souvent transitoires. Il faut évaluer de façon rigoureuse l’atteinte des objectifs mêmes de l’éducation, une évaluation qui porte sur la qualité et le développement d’êtres humains, des gens compétents bien sûr, mais compétents surtout comme êtres humains. Il m’est apparu, très souvent au cours de ma carrière, que de magnifiques projets éducatifs, dynamiques, innovateurs et appréciés dans leur milieu, ont été abandonnés ou bloqués à cause d’un système d’évaluation qui rejetait leur droit à la différence, et leur droit d’évaluer l’atteinte de leurs objectifs spécifiques.

Je rappelle ici un peu plus en détails les objectifs primordiaux de l’éducation, à savoir :

a. former des individus davantage intelligents, capables d’apprendre, de penser d’une façon libre et critique, capables de réfléchir, de résoudre des problèmes, de créer et de méditer. Cela suppose, il va de soi, que la classe devienne un lieu, non pas de simple transmission des savoirs pré-fabriqués, mais un lieu de création collective du savoir, et l’école un lieu où il y a un temps et un espace consacrés au silence, à la méditation et à la beauté ;

b. des individus responsables et auto-disciplinés, capables de se prendre en main, capables d’assumer des responsabilités individuelles et collectives ;

c. des individus capables de coopération, d’échange, de partage, d’interdépendance, de respect, d’amitié et de tendresse ;

d. des êtres humains en santé physique, mentale et spirituelle. Des jeunes qui, pour étudier et se concentrer, n’ont pas besoin de surconsommation pour se valoriser ou pour combattre leur mal de l’âme, leur sentiment très souffrant de vide intérieur.

Mais il nous faut savoir que cette éducation fondamentale et prioritaire dont je parle ne peut se faire sans que nous entrions en relation ; d’où le titre de ma communication : en éducation, réussir, c’est d’abord entrer en relation avec les jeunes, avec ses collègues, avec la direction, la commission scolaire, le ministère de l’Éducation, les parents, la communauté… et soi-même. J’insisterai ici sur la relation avec les jeunes.

Je peux très bien instruire quelqu’un et même le former à distance sans le connaître, mais je ne peux éduquer quelqu’un que je ne connais pas. La question qui se pose est donc la suivante : est ce que je me donne, et est-ce qu’on me donne, les conditions et les moyens de connaître vraiment chacun des jeunes qui me sont confiés ? Sinon, c’est ce que je dois réclamer en tout premier lieu, car c’est la condition première de cette réussite dont nous parlons aujourd’hui. C’est ce que doivent favoriser prioritairement les directions d’école, les commissions scolaires et le ministère de l’Éducation.

Je dois prendre le temps et consacrer l’énergie nécessaire pour connaître chacun des jeunes, établir une relation vraie, respectueuse et réciproque, car c’est chacun d’elles, chacun d’eux que je dois aider et éduquer, et j’ajoute, même si cela semble audacieux ou romantique, que je dois aimer. Éduquer, c’est certes un geste professionnel, mais cela demeure aussi fondamentalement un geste d’amour. Et si, dans le cas de certains jeunes comme j’ai moi-même connus, il est parfois difficile de les aimer présentement, je peux toujours aimer ce qu’ils peuvent devenir, s’ils se sentent acceptés, respectés et aimés.

Et il est bon de se rappeler, surtout en ces temps où presque toutes les préoccupations vont du côté des performances, des pourcentages et des palmarès, que « chaque jeune, quels que soient ses talents, ses aptitudes spécifiques et ses limites, a un droit fondamental de vivre à l’école des expériences positives d’apprentissage, de succès et de valorisation.

Et c’est de cette réussite de toutes et tous et de chacune et chacun que nous devons devenir davantage passionnés, responsables et fiers. Fiers, non pas des performances de chacun, mais des progrès de chacun comme être humain, de chacun des jeunes qui, comme nous, est unique et indispensable comme l’est chacun des morceaux de l’immense et magnifique vitrail humain que nous formons tous ensemble.

Réussir en éducation, on vient de le voir, c’est bien sûr entrer en relation. Mais, je veux vous rappeler en terminant, que c’est aussi pour chacun d’entre nous se sentir dynamiquement relié à un projet de société.

Face à la crise actuelle, qui n’est pas qu’une crise financière mais qui est surtout une crise de valeurs, une crise de civilisation, l’école d’aujourd’hui doit, selon les termes mêmes de l’Unesco, participer très directement et vigoureusement à « la transformation et à l’humanisation des sociétés ».

Le projet de créer une nouvelle société, une société où il y aurait moins de stress, moins de mal de vivre, d’épuisement émotionnel, moins de compétition malsaine et de violence, le projet de créer une société plus saine, plus joyeuse et conviviale n’est pas une utopie. Elle doit devenir, pour nous tous, un projet collectif qui donne du sens au travail que nous faisons chaque jour dans nos écoles.

Et, rassurez-vous, il n’est pas plus utopique de croire à ce changement de société, devenu indispensable, que de croire que notre société actuelle qui, tel un second Titanic, craque de toutes parts, pourra se maintenir encore longtemps, et de croire que c’est à cette société mal en point et malsaine qu’il faut adapter et intégrer nos propres enfants.

Il nous faut redonner confiance à toutes celles et tous ceux qui œuvrent en éducation, aux parents, aux citoyennes et citoyens, et beaucoup aux jeunes eux-mêmes. Il nous faut retrouver tous ensemble foi et enthousiasme parce que c’est un défi formidable qui nous est proposé, un défi collectif auquel la contribution de chacun de nous est indispensable et urgente. Je peux aussi vous assurer qu’il ne faut pas plus d’énergie pour travailler au changement de société ou à la transformation de l’éducation qu’il en faut pour se résigner au statu quo.

Encore une fois, la crise que nous traversons présentement n’est pas qu’économique et elle ne se résoudra pas par de seuls sauvetages financiers, faits à coups de milliards de dollars. Nous devons apprendre dès maintenant à vivre autrement, à travailler, à consommer et à éduquer autrement. Nous devons apprendre à vivre dans un plus grand respect de l’environnement et de son harmonie ; nous devons apprendre à vivre dans un plus grand respect de l’être humain et de ses besoins fondamentaux, et en harmonie les uns avec les autres.

L’éducation à valoriser va bien au-delà des performances ponctuelles, se centre sur l’objectif fondamental : former des êtres humains développés de façon intégrale et optimale, des êtres humains compétents, autonomes et responsables, chacun contribuant de son mieux à intensifier la Qualité de Vie et la Joie de vivre sur notre belle planète bleue. Quel appel extraordinaire : nous sommes conviés à travailler ensemble à la refondation de l’humanité !



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Gabriel Perriau

Chargé des communications pour Humanité & Inclusion Canada

Avec l’aide de Aissatou Sy, Chargée des communications, Éducation inclusive en Afrique de l’Ouest pour Humanité & Inclusion

Kombéna est assise sur un petit tapis tissé qui couvre le sol battu. Il ne fait pas très clair dans sa hutte fabriquée en branchage, en paille et en terre séchée. La jeune fille arrive tout de même à lire à son tuteur le texte qu’il lui a remis. Alors qu’un vent vigoureux souffle dans les herbes hautes de la plaine togolaise, l’atmosphère à l’intérieur est paisible, et un mince filet de lumière éclaire le visage de l’élève et le mouvement de ses lèvres qui répètent ce qu’elle lit du bout des doigts. Non-voyante de naissance, Kombéna a appris à lire le braille et est aujourd’hui en troisième année à l’école primaire publique de Bodjopal, à Dapaong.
Âgée de 14 ans, Kombéna est parmi les plus talentueuses de sa classe et est en voie de passer au cycle supérieur. Ce succès est en partie grâce à l’aide de Kossi Gawou, enseignant itinérant pour Humanité & Inclusion (HI), qui la soutient aussi bien à la maison qu’en classe depuis le CP1, l’équivalent de la première année du primaire au Québec.
« Nous servons de lien entre la famille et l’école. Souvent, il est difficile pour un enfant avec un handicap, comme Kombéna, de se rendre en classe. Je dois donc trouver des solutions. J’appuie aussi le travail de l’enseignant titulaire, avec le braille par exemple, pour améliorer le travail de l’enfant. Si les enfants ont besoin de matériel pour une leçon, j’essaye de le fabriquer », explique M. Gawou.

Le travail de M. Gawou est essentiel pour l’apprentissage de Kombéna. À titre d’enseignant itinérant, il a bénéficié de plusieurs formations en éducation inclusive ; l’étude du braille et celle de la langue des signes en sont deux bons exemples.
« Je suis très contente de l’appui que m’apporte l’enseignant itinérant ! Sans lui, je pourrais difficilement réussir mes examens de passage. J’espère qu’il continuera de me soutenir afin que, dans deux ans, je puisse réussir mon CEPD (1) », s’exclame Kombéna avec enthousiasme !

UNE STIGMATISATION DES ENFANTS EN SITUATION DE HANDICAP

Si Kombéna fait aujourd’hui figure de modèle d’intégration au Togo, son cas n’illustre pas une situation répandue dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest qui compte
620 000 personnes en situation de handicap. Dans la région de Dapaong, par exemple, la majorité des enfants en situation de handicap ont difficilement accès au système de l’éducation.
« Les parents se disent que l’état de l’enfant ne peut pas lui permettre de fréquenter l’école, ils sont réticents. Les membres de communautés sont souvent peu informés
au sujet du handicap ; ils ont des réactions négatives et critiques envers les enfants en situation de handicap », explique l’enseignant itinérant, lui-même père de deux
jeunes filles.
Ensuite, ce sont les infrastructures qui ne sont pas adaptées. On trouve rarement des rampes d’accès pour les fauteuils roulants ; la lumière en classe est la plupart du temps insuffisante pour les enfants avec une déficience visuelle, et les moyens de transport ne sont pas facilement accessibles dans cette région du Nord Togo. Enfin,
il y a un manque en matière de politiques inclusives, tant à l’échelle nationale que locale. Le handicap est encore trop souvent abordé selon une approche médicale, et les gouvernements ne traduisent pas toujours la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRDPH) en politiques concrètes.

HUIT MILLIONS D’ENFANTS EN SITUATION DE HANDICAP NON SCOLARISÉS

En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, 24 millions d’enfants, dont 13 millions de filles (2), ne vont pas à l’école primaire. La non-scolarisation et la déscolarisation ont plusieurs causes majeures (l’éloignement de l’école, la pauvreté des familles, les problèmes de santé, les conflits, les crises humanitaires, la stigmatisation sociale sur le genre, etc.), mais le handicap demeure un des facteurs les plus aggravants. HI estime que 30 % des enfants dans cette région qui ne vont pas à l’école primaire ont
un handicap, ce qui équivaut à la population entière du Québec ! Cette population d’enfants vulnérables constitue donc une grande partie des exclus scolaires.
En plus de la mise en place d’un système d’enseignant-e-s itinérant-e-s, HI organise des activités centrées sur l’enfant, comme le recensement des enfants en situation de handicap, leur prise en charge médicale, et leur suivi scolaire et à domicile. L’organisme participe également au renforcement des capacités des acteurs de l’éducation au moyen d’activités de sensibilisation et de formations dont l’objectif est de s’extirper du carcan de la culture de l’enseignement spécialisé au profit d’une éducation plus inclusive. Le projet a également pour ambition d’accompagner
le ministère de l’Éducation au Togo, notamment avec la production d’un manuel de formation sur cette même thématique.

PARTICIPER À L’ESSOR DE LA JEUNESSE DE SON PAYS

Enseignant dévoué, Kossi Gawou est aujourd’hui détenteur d’un certificat d’aptitude à la pédagogie (CAP). Son engagement envers les enfants en situation de handicap
dans les classes dont il a souvent eu la charge lui a valu d’être détaché comme enseignant itinérant depuis le 29 mars 2016 par la Direction régionale de l’Éducation
des Savanes.
Fort des compétences acquises avec HI, ce dernier s’est spécialisé dans l’encadrement d’enfants avec des problèmes de vision, mais il soutient aussi quelques élèves avec des déficiences intellectuelles dans des classes ordinaires. « J’encadre à ce jour vingt-cinq élèves déficients visuels et intellectuels et je suis très fier du soutien que je leur apporte. Grâce à cet appui, ils ont aussi la possibilité de progresser dans leur scolarité au même titre que les autres enfants », confie M. Gawou avec énergie.

Crédit photo : Humanité & Inclusion

Notes

(1) Équivalent du diplôme d’études primaires au Québec.

(2) Rapport sur les bonnes pratiques en matière d’éducation des filles et des femmes en Afrique de l’Ouest, septembre 2014, UNICEF, FAWE, ANCEFA, PLAN, Aide et Action UNGAI.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Ana Portillo

Article publié dans le « Bulletin d’information et analyse » du SERPAJ – Paraguay
Année 7 - # 23 – Avril 2018
(Traduction libre, modifications et ajout des références pour faciliter la compréhension du texte : Lore Bolliet, Lisandro Chertkoff et Marie Brodeur Gélinas)

Le SERPAJ – Paraguay (Servicio Paz y Justicia ou Service Paix et Justice) (1) a publié le 3e volume du travail de recherche sur les liens entre autoritarisme et éducation dans le Paraguay des années 1869 à 2012 (musée des Mémoires (2), volet Dictatures et Droits humains).

L’analyse historique rigoureuse de ce que fut la dictature d’Alfred Stroessner pour le Paraguay est encore insuffisante (3). Beaucoup de protagonistes de cette dictatureoccupent des postes de pouvoir et de prestige dans la politique paraguayenne contemporaine (4). La plupart des analyses se concentrent sur les aspects policier et militaire de coercition et de contrôle de la société civile mais très peu est dit sur les mécanismes de construction d’un consensus national autour de la dictature, système ayant permis le maintien d’une des plus longues dictatures du continent latino-américain. Ce travail de recherche s’ouvre donc en définissant le contexte socio-politique du moment.

Le deuxième chapitre de l’analyse s’attache ensuite à démontrer le rôle de l’éducation dans la permanence de ce nouvel ordre dictatorial, notamment au travers de deux réformes dont les prémices furent appuyées par des organismes internationaux tel que l’UNESCO.

Dans les déclarations des autorités éducatives, l’intention de modeler un-e citoyen-ne docile, capable d’appuyer les plans de transformation économique et politique du gouvernement autoritaire est claire. Voici les mots d’un fonctionnaire du ministère de l’Éducation et des Sciences : « Il s’agit là d’une réforme socio-éducative qui pourrait jeter les bases de nouveaux comportements dans la société paraguayenne ».

Les principales actions des réformes des années 1973-1975 se sont concentrées sur la préparation d’une population jeune aux transformations économiques et productives prévues pour le Paraguay dans le cadre de la division internationale capitaliste du travail propre à la guerre froide. Les aspects les plus touchés furent les suivants : officialisation de l’enseignement commercial, création du collège national des filles, formation des enseignants. Il y eut également des investissements d’infrastructures : nouvelles écoles primaires et secondaires, des avancées dans la gratuité de l’école, la création de nouvelles écoles privées, tout ça sur fond de règlements répressifs imposés dans les écoles primaires et secondaires.

La relecture de ces réformes éducatives dites de transition à partir d’une vision contemporaine et d’une analyse critique de leurs limites et de leurs succès nous permet de mieux comprendre l’ancrage des réformes de Stroessner dans la société. Ces réformes ont anticipé délibérément l’accentuation de la brèche dans l’accès à l’éducation des classes moyennes et basses grâce à des investissements dans des infrastructures décentralisées et une formation technique des enseignant-e-s centrée sur des méthodes mettant l’emphase sur la technique, la bureaucratisation et l’administration plutôt que sur les aspects philosophiques et humanistes, considérés comme obsolètes par la dictature.

La réforme fut efficace pour élargir l’accès à l’éducation. Par contre, le système éducatif s’est vite caractérisé par sa rigidité, son contrôle, la soumission à l’autorité, la délation et la punition de toute pensée critique des enseignant-e-s, des étudiant-e-s et de leur famille. Les instruments qui permirent cela furent : le programme scolaire, les manuels scolaires et la formation du corps enseignant : définition rigide du genre, nationalisme, racisme et propagande étatique.

Il est important de mentionner que ce modèle éducatif ne s’est pas imposé sans résistance. Certains événements majeurs et significatifs des expressions des manifestations au système éducatif de Stroessner sont à noter, notamment la grève étudiante de 1956 et les Ligues Agraires Paysannes qui ont créé leurs propres écoles d’éducation populaire libératrice. L’analyse résumée dans cet article représente une avancée qui va aider à débattre et à comprendre combien la logique autoritariste de Stroessner est encore présente dans la pédagogie nationale du Paraguay, encore très orientée vers le contrôle et l’homogénéisation de la pensée et de la culture ; et quels sont les défis à relever pour construire une pédagogie émancipatrice, critique et respectueuse de la diversité pour une société plus juste
et plus libre.

Éléments clés de la recherche :
- En 1950, 33 % de la population du Paraguay était analphabète ; en 1972 ce taux a baissé à 19,6 %
- La scolarisation des femmes s’est accrue d’environ 400 % entre 1960 et 1980
- En 1970, 68 % de la population était scolarisée
- Les Réformes ont été appliquées en 1973-1975
- L’accès au secondaire est passé de 16 000 étudiant-e-s en 1955 (moins de 10 % des élèves du primaire allait au secondaire), à 110 095 étudiant-e-s en 1979, soit une augmentation d’environ 1 000 % en 25 ans.

Crédit photo : SERPAJ - Paraguay

Notes

(1) http://www.serpajpy.org.py/porandu/2018/04/20/relaciones-entre-el-autoritarismo-y-educacion-en-el-paraguay/

(2) Le Musée des mémoires est un lieu de lutte pour la mémoire historique,
un espace éducatif, de reconstruction, de rencontre, d’accueil de la douleur,
d’ouverture envers l’autre, comme personne et comme société avec pour
but de se transformer ensemble comme société. Cette dimension du musée
a été réaffirmée par le ministère de l’éducation, en opposition au ministère
de l’intérieur qui voulait en faire un lieu de douleur et de mort.

(3) https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2006/08/16/alfredo-stroessnerex-
dictateur-du-paraguay-est-mort-sans-avoir-ete-juge_804012_3382.html

(4) https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2010/07/15/le-paraguay-
reste-hante-par-les-annees-de-dictature-du-general-alfredostroessner_
1388309_3222.html



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Praveen Vempadapu

Directeur de Kidpower India, partenaire de l’organisme Aide internationale pour l’enfance (AIPE)

Aujourd’hui, l’importance de l’éducation est reconnue mondialement. Avec le développement d’emplois axés sur la technologie et un processus de production toujours plus complexe, détenir des connaissances pointues est devenu une nécessité. La plupart des pays du Nord ont rendu l’éducation obligatoire pour les enfants. De leur côté, les pays du Sud ont reconnu l’importance de l’éducation obligatoire, mais ils ont du mal à faire en sorte que tous les enfants soient scolarisés. Dans cet article, les efforts du gouvernement indien pour rendre l’éducation obligatoire en Inde seront évoqués. Nous montrerons aussi que le travail des enfants reste un problème majeur malgré les mesures entreprises par le gouvernement.

Que dit la loi ?

En août 2009, le gouvernement indien a adopté une loi sur le droit des enfants à l’éducation gratuite et obligatoire. Qu’est-ce que cette loi signifie pour les enfants indiens ? Elle stipule que l’école est obligatoire pour les enfants âgés de 6 à 14 ans. Des enfants peuvent également bénéficier d’une éducation gratuite si leurs parents n’ont pas les moyens financiers de les envoyer dans des écoles privées.

Toutefois, la réalité est toute autre. Selon les chiffres du recensement de 2011, 1 enfant sur 4 n’est pas scolarisé en Inde, soit 85 millions d’enfants au total. Parmi eux, 10,13 millions d’enfants de 6 à 14 ans travaillent. Si on définit un enfant comme étant âgé de moins de 18 ans, le nombre des enfants travailleurs atteint 33 millions.

Les filles et les femmes sont d’ailleurs les plus susceptibles de ne pas être scolarisées. Ainsi, parmi les filles et les femmes de plus de 7 ans en Inde, deux fois plus de filles que de garçons n’ont jamais été scolarisées (1). Dans le plus long terme, ces inégalités d’accès à l’éducation entraînent des inégalités à l’emploi pour les femmes, en plus de vivre dans une situation de plus grande pauvreté.

Pauvreté, manque d’éducation et travail des enfants

Quelles sont les causes à l’origine du travail des enfants ? La principale raison qui explique que des enfants soient contraints au travail est la pauvreté au sein de la famille (2). Le besoin d’un revenu supplémentaire est ainsi la principale cause du travail des enfants. Le sentiment de méfiance que ressentent des familles analphabètes vis-à-vis du système éducatif est également un facteur de risque important. Les autres raisons que l’on peut citer sont le manque d’infrastructures scolaires adaptées, la qualité de l’enseignement ainsi que le manque d’intérêt des enfants pour l’éducation. Le genre est également un important facteur à considérer dans une société telle que la société indienne. Les filles sont souvent déscolarisées plus tôt que les garçons afin qu’elles travaillent et s’occupent de leurs jeunes frères et sœurs, ou pire encore, pour être mariées (3). Le risque que les jeunes filles indiennes soient mariées avant l’âge de 18 ans est ainsi de 30 % (4).

Des solutions efficaces existent

L’accès à l’éducation est un élément clé dans la lutte contre le travail des enfants. Les autres solutions à développer seraient l’amélioration des infrastructures scolaires, de la protection sociale et de la sécurité sanitaire ainsi que la garantie d’un meilleur revenu. Un enfant éduqué a les connaissances et les compétences nécessaires pour obtenir un bon emploi et un meilleur revenu. Cela permet aussi à l’enfant de mieux comprendre les questions relatives à sa santé et à son alimentation qui contribuent à son bien-être. Éduquer les enfants aux questions de genre serait également bénéfique. Il a en effet été prouvé que cela permettrait de réduire la fécondité et la mortalité infantile (5).

Malgré l’existence du droit à une éducation gratuite, la question du travail des enfants reste un défi socio-économique de taille. Il faut souligner le travail des ONG dans ce domaine. Des ONG comme Kidpower India ont ainsi commencé à travailler avec des communautés défavorisées, où les problèmes de travail des enfants et de discrimination à l’égard des filles sont très répandus. Kidpower India, en partenariat avec l’Aide internationale pour l’enfance, un organisme basé au Québec, a ainsi mis en place des écoles de transition dans des bidonvilles de l’État de l’Andhra Pradesh. Ces écoles de transition permettent d’aider les enfants travailleurs et les enfants qui ne vont pas à l’école à apprendre les base en langues, en écriture et en mathématiques. En effet, après un passage par une de ces écoles de transition, l’enfant a les bases nécessaires pour rejoindre une école du système scolaire régulier.

Bien que ce ne soit pas populaire, distribuer des « bons scolaires » pourrait être une méthode efficace pour favoriser l’éducation des enfants les plus vulnérables. En effet, en vertu de l’article 12 de la loi de 2009 sur le droit des enfants à l’éducation gratuite et obligatoire, 25 % des places dans les écoles privées doivent être réservées à des groupes défavorisés au niveau d’entrée (classe I ou maternelle) via ce système de bons scolaires. Toutefois, les coûts associés et les objections soulevées par les écoles privées font obstacle à la mise en oeuvre de ce dispositif.

De nombreuses familles pauvres des bidonvilles choisissent d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées à bas prix dans l’espoir que ceux-ci aient accès à une meilleure éducation (6). Toutefois, les familles se trouvent parfois dans l’impossibilité de payer les frais de scolarité et l’enfant doit alors arrêter l’école prématurément. C’est la raison pour laquelle, James Tootely (2013) recommande de verser les bons scolaires aux familles les plus pauvres (7). Étant donné que les filles sont généralement les premières de la fratrie à être retirées des bancs d’école, cela pourrait être une méthode efficace pour soutenir l’éducation des filles.

Soutenir activement l’éducation des filles contribuerait aussi à réduire les inégalités et à revaloriser le statut de la femme au sein de la société indienne. Les femmes seraient en effet mieux dotées sur le marché du travail et bénéficieraient de meilleures opportunités d’emploi.

Illustration : François Meloche. Aide internationale pour l’enfance.

Notes

(1) Kamala Marius (2016, 23 novembre). Les inégalités de genre en Inde. URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/
le-monde-indien-populations-et-espaces/corpus-documentaire/inegalites-genre-inde#section-0. Consulté le 25/07/2018.

(2) Ahmad, Ayaz (2012) Poverty, Education and Child Labour in Aligarh City-India. Stud Home Com Sci. pp. 165-172.

(3) Komal Ganotra (2016), Flawed Child Labour Law Amendment Economic & Political Weekly EPW august 27, 2016 vol I no 35.

(4) UNICEF (2018, 6 mars). 25 millions de mariages d’enfants évités au cours dernière décennie grâce à une accélération des progrès, selon
de nouvelles estimations de l’UNICEF. URL : https://www.unicef.org/fr/communiqu%C3%A9s-de-presse/25-millions-de-mariages-denfants-%C3%A9vit%C3%A9s-au-cours-de-la-derni%C3%A8re-d%C3%A9cennie. Consulté le 25/07/2018.

(5) Sen (2005), The Argumentative Indian : Writings on Indian History, Culture and Identity, London : Allen Lane (Penguin).

(6) Geeta Gandhi Kingdon (2017), The Private Schooling Phenomenon in India : A Review, IZA DP No. 10612.

(7) James Tottley (2013), The Beautiful Tree : A Personal Journey Into How the World›s Poorest People are Educating Themselves, Washington, DC : Cato
Institute, 2009’



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Coline Renard

Diplômée d’un master en sciences de la population et du développement à l’Université libre de Bruxelles et d’un master 2 en inégalités et discriminations à l’Université Lumière Lyon 2

En Belgique, la Coopération belge au développement finance un programme d’éducation à la citoyenneté mondiale, Annoncer la Couleur, destiné aux (futur-e-s) enseignant-e-s, de l’école maternelle aux hautes écoles pédagogiques. Celui-ci est coordonné depuis Enabel, Agence belge de développement, et mis en œuvre sur le terrain en partenariat avec les provinces belges. Ce programme propose aux (futur-e-s) enseignant-e-s des démarches pédagogiques participatives pour aborder avec leurs élèves des questions de citoyenneté mondiale dont notamment des formations, des prêts d’outils pédagogiques et un appui financier et pédagogique pour la mise en place de projets d’éducation à la citoyenneté mondiale.

Étudiante en dernière année de master en inégalités et discriminations à l’Université Lumière Lyon 2, j’ai interrogé, dans le cadre de mon mémoire, d’avril à juin 2018, dix enseignantes et un enseignant ayant réalisé des projets d’éducation à la citoyenneté mondiale dans leur école, soutenus par Annoncer la Couleur, en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Parmi les dix projets étudiés, le projet Discriminations a eu lieu dans une école secondaire de la Région de Bruxelles-Capitale. Il a été organisé en quatre phases : la sensibilisation, l’information, l’action et l’exposition. Durant la première phase, les élèves ont participé à une journée surprise d’immersion organisée par les deux enseignantes porteuses du projet et certaines et certains de leurs élèves. Après un début de cours ordinaire, les élèves ont été interpellé-e-s par les enseignantes et enseignants de l’école et par leurs camarades complices de l’organisation de cette journée surprise. Elles et ils ont reçu, aléatoirement, une étiquette (noir-e, arabe, femme, petit-e, blond-e, etc.) à coller sur leurs vêtements. Dans la cour de récréation, les élèves se sont regroupé-e-s selon leur étiquette. Chaque groupe a ensuite suivi un parcours d’ateliers pour y découvrir une variété de discriminations existantes dans la société (les élèves ont reçu au fur et à mesure différentes étiquettes) afin de les amener à réfléchir et définir la problématique abordée. Des ateliers d’entretien d’embauche, sur le genre et le handicap ont notamment été offerts, en partenariat avec différents organismes et ONG.

Lors de la deuxième phase, le corps professoral a développé des cours, proposé des conférences, visites et rencontres, dont la discrimination est restée le fil conducteur, afin d’approfondir la problématique et préciser les projets des élèves. Pendant la troisième phase, les élèves ont réalisé une double action : d’une part, une action sociale en partenariat avec un organisme ou une ONG et en lien avec les Objectifs de développement durable et d’autre part, une action de communication à la fin de l’année scolaire. Enfin, une exposition a également été organisée dans l’école afin de présenter le projet (Annoncer la Couleur 2018).

L’objectif de mon étude était d’identifier en quoi les projets d’éducation à la citoyenneté mondiale pouvaient changer les représentations des élèves sur les inégalités et les discriminations et les ouvrir au monde. J’ai souhaité interroger les enseignant-e-s porteur-euse-s de ce projet (représenté-e-s par des noms d’emprunt pour préserver leur anonymat) afin de poser un regard externe sur le comportement et le point de vue de leurs élèves.


D’après le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe, l’éducation à la citoyenneté mondiale devrait permettre aux apprenant-e-s de déconstruire les préjugés et les stéréotypes, les éviter, reconnaître ceux qui sont négatifs et s’y opposer activement (Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe 2008, 81). En outre, toujours selon le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe, l’éducation à la citoyenneté mondiale « aide les personnes à développer une connaissance de soi et la sensibilisation à leur environnement, à adopter une attitude de dialogue et de coopération, d’ouverture d’esprit et de responsabilité envers notre monde commun » (Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe 2008, 25, 54). L’UNESCO indique, de plus, que l’ouverture à de nouvelles idées fait partie des principes de la pédagogie de l’éducation à la citoyenneté mondiale (UNESCO 2015, 24).


Dès lors, j’ai construit les deux hypothèses suivantes. Les projets d’éducation à la citoyenneté mondiale changent les représentations des élèves sur les inégalités et les discriminations car :
- H1 : les projets déconstruisent les préjugés et les stéréotypes des élèves sur les thématiques abordées ;
- H2 : en découvrant de nouvelles thématiques, les élèves ouvrent leur esprit au monde.

Déconstruire les préjugés et les stéréotypes (hypothèse 1)

Pour certain-e-s enseignant-e-s, la déconstruction des préjugés et des stéréotypes apparaît clairement comme un objectif intermédiaire afin d’atteindre l’objectif initial qu’iel s’était fixé.

« Il y en a quand même plusieurs qui ont été capables, et c’était l’objectif même de la formation chez Annoncer la Couleur, de sortir de là juste en se disant : “Ah, mais moi aussi, je discrimine sans m’en rendre compte. [...] Et ils sont capables de me dire à un moment donné en parlant : “Ah, mais je suis en train de discriminer là. Ah mais, Madame, c’est un stéréotype que vous sortez là.” » (Charline, enseignante en secondaire).

Plusieurs enseignant-e-s insistent également sur le fait que la rencontre de l’Autre permet une telle déconstruction des préjugés et des stéréotypes.

« Moi, je reviens justement du Bénin, on a travaillé ça. Tous ces jeunes, au même titre que les nôtres, n’étaient pas au courant de toutes ces réalités. C’est vrai qu’on n’a pas tellement de migrants béninois, il n’y a pas de guerre au Bénin, mais par contre il y a plein de migrants africains, de l’Afrique de l’Ouest qui passent par le Bénin, qui remontent par le Mali et puis ils viennent vers la Méditerranée. Et malgré tout, eux-mêmes ne sont pas du tout au courant, et malgré tout, on a des tas de préjugés, une vue extrêmement négative sur le phénomène. Ou alors ils ont des vues complètement biaisées sur ce qu’est l’Occident. Ce qui a été magique d’ailleurs là-bas, de faire travailler nos jeunes avec eux, c’était de voir qu’ils partageaient énormément de préjugés ou énormément de… je n’ai pas envie de dire d’ignorances, mais de choses qu’ils ne connaissaient pas. Et donc, ils sont tous ressortis enrichis de la même manière en disant : “Mais oui en fait, on a un rôle à jouer, oui mais tant vous là-bas que nous ici” » (Charline).

Ouvrir l’esprit des élèves au monde (hypothèse 2)

L’ouverture d’esprit est, de manière générale, le premier objectif cité par les enseignant-e-s lorsque celleux-ci se lancent dans un projet d’éducation à la citoyenneté mondiale.

« C’était qu’ils se rendent compte que pour les grands, en achetant n’importe quoi, ça avait un impact dans le monde entier [...] Et donc, qu’ils se rendent compte de l’impact que ça a au niveau de l’environnement, mais aussi au niveau des hommes » (Estelle, enseignante au primaire).

Lorsque les enseignant-e-s évaluent les objectifs de leur projet, il en ressort, pour la majorité, que le regard et le comportement des élèves, et parfois même celui du personnel pédagogique, ont changé. Iels remarquent une réelle prise de conscience des élèves sur les interdépendances mondiales et leur part de responsabilisation.

« Il y a eu une prise de conscience et même des tout jeunes, hein. Il y a eu une prise de conscience et certains, je pense, les [les élèves primo-arrivant-e-s] côtoient plus facilement et deviennent… amis ! [...] Nettement, au niveau des enseignants, il y a eu un changement et une remise en question. Ils se rendent compte que par des petits détails, ça vient par des détails, c’est pas euh, il faut pas dire : “Je change toute ma vie, non mais un sourire, un peu de patience, un peu de tolérance”, voilà quoi » (Christiane, directrice d’un établissement primaire).

« Ils ont vraiment changé de regard [...]. S’il y a un objectif, qui est atteint à chaque fois, c’est une autre vision du monde » (Charline).

Illustration : dessin d’un élève ayant participé à deux projets d’éducation à la citoyenneté mondiale dans une école secondaire de la Région de Bruxelles-Capitale.

Références

Annoncer la Couleur (2018), Discriminations, Institut Marie Immaculée Montjoie d’Anderlecht.

Cabezudo A., Christidis C., Carvalho da Silva M., Demetriadou-Saltet V., Halbartschlager F. & Mihai G.-P. (2008), Guide pratique sur l’éducation à la citoyenneté mondiale : concepts et méthodologies en matière d’éducation à la citoyenneté mondiale à l’usage d’éducateurs et de responsables politiques, Lisbonne, Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe.

Renard C. (2018), L’éducation à la citoyenneté mondiale en Fédération Wallonie Bruxelles : le cas des projets du programme fédéral belge Annoncer la Couleur, mémoire de master de en Sciences sociales et Sciences du travail, Lyon, Université Lumière Lyon 2.

UNESCO (2015), Éducation à la citoyenneté mondiale : Préparer les apprenants aux défis du XXIe siècle, Paris, UNESCO.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Stéphane Vigneault

Coordonnateur du Mouvement L’école ensemble

Solidarité bien ordonnée commence par nous-mêmes !

Les Journées québécoises de la solidarité internationale nous incitent cette année à réfléchir au rôle de l’éducation. Au Québec, quoiqu’en disent certains jovialistes, notre système d’éducation est inéquitable. Quelle incidence a ce système sur la formation des jeunes Québécoises et Québécois, des jeunes dont on voudrait qu’ils embrassent les principes de solidarité internationale ? Que reste-t-il en fait de notre solidarité… nationale, cette incroyable force motrice au moment des grandes réformes progressistes des années 60 et 70 ? Tous les acteurs sociaux le diront : elle est en piteux état. Le marché scolaire québécois est à la fois le résultat et la cause de cette situation.

Du dépassement de soi au dépassement des autres

En matière d’éducation, le Québec applique depuis 50 ans une politique officieuse de ségrégation scolaire. C’est en effet en 1968 que la province a commencé à financer l’école privée avec l’argent des contribuables (1). Cet argent public a permis aux écoles privées subventionnées d’augmenter continuellement leur part du marché scolaire. Seulement 5 % des élèves du secondaire fréquentaient le privé en 1970 : ils sont aujourd’hui plus de 21 % (2). Bien sûr, le privé choisit les élèves les plus favorisés et performants en imposant des frais de scolarité et en filtrant les demandeurs grâce à des examens.

Le réseau public a choisi de répondre au départ de ses meilleurs élèves en créant des écoles à projet particulier sélectif qui pratiquent leur propre écrémage. On a ainsi voulu compétitionner le privé sur son terrain, celui de la sélection. Le nombre d’élèves admis dans une école publique sélective est estimé au secondaire à 20 % (3).

En conséquence, l’école publique « ordinaire » voit sa tâche alourdie avec notamment une surreprésentation des élèves avec des besoins particuliers. Cette nouvelle composition de la classe ordinaire, de plus en plus écrémée, renforce l’attrait du privé subventionné et du public sélectif aux yeux des parents. Et le cercle vicieux se renforce.

Les conséquences

Ce système scolaire à trois vitesses a conduit le Conseil supérieur de l’éducation à mettre en garde le gouvernement : l’école québécoise est la plus inéquitable au Canada : « Dans toutes les provinces ou régions du Canada, les élèves des écoles défavorisées ont obtenu une performance inférieure à ceux des écoles favorisées, mais cette différence est nettement plus élevée au Québec. »

Ce qu’il faut comprendre, c’est que partout dans le monde, les élèves défavorisés réussissent généralement moins bien. Dans un système équitable, comme en Ontario ou en Finlande, cette différence de performance est atténuée. À l’inverse, dans un système inéquitable comme celui du Québec, les inégalités à la ligne de départ se retrouvent telles quelles à la ligne d’arrivée.

Et qu’est-ce qui différencie un système inéquitable d’un autre qui ne l’est pas ? Le niveau de ségrégation scolaire. Or avec plus de 40 % de ségrégation scolaire au Québec — 21 % d’enfants choisis par le privé subventionné additionnés aux 20 % d’enfants tamisés par les projets particuliers sélectifs du réseau public — il ne faut pas se surprendre de nos résultats médiocres. Un quart des élèves du secondaire décrochent et un quart des enseignat-e-s quittent la profession durant leurs cinq premières années sur le marché du travail. D’autres citeront les problèmes de nos concitoyen-ne-s en lecture : 53 % des 16-65 ans ont des compétences faibles ou insuffisantes en littératie (4).

La cohésion sociale est également mise à mal par cette compartimentation précoce des enfants. Nous sommes placés dans notre petite bulle sociale parfois dès le préscolaire. Les plus favorisés se sentent de moins en moins concernés par le destin national.

En France, la Fondation Jean-Jaurès a récemment tiré la sonnette d’alarme quant à ce problème de fragmentation sociale : « Depuis trente ans, les catégories les plus favorisées s’autonomisent du reste de la population. Elles développent des comportements et des réflexes propres à leur milieu et elles se sentent de moins en moins liées par un destin commun au reste de la collectivité nationale. Le premier risque, c’est que leur sentiment de solidarité s’érode au point de fragiliser notre modèle social, avec le développement de techniques d’optimisation fiscale pour contourner l’impôt par exemple. Mais cette évolution pose aussi et surtout un problème démocratique. De par leur autonomisation vis-à-vis du reste de la société, les élites sont susceptibles d’avoir de plus en plus de mal à comprendre les classes moyennes et les classes populaires. Le risque est qu’il y ait donc un décalage croissant entre les politiques publiques mises en place et les aspirations réelles de la population. »

Le temps du choix collectif

Il est donc urgent de rebâtir notre solidarité nationale pendant qu’il en est encore temps. Les solutions sont connues de tous les partis politiques : fin du financement des écoles privées par les contribuables (comme en Ontario) et fin de la sélection dans le réseau public.

Au moment où vous lirez ces lignes, le Québec se sera donné un nouveau gouvernement. Souhaitons — non, demandons ! — que des propositions claires de déségrégation de notre système scolaire soient débattues à l’Assemblée nationale. C’est l’idée même que nous nous faisons de notre société qui est en jeu.

Illustration : Jacques Goldstyn

Notes
(1) https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/1969-v10-n4-cd5001858/1004696ar.pdf.

(2) http://sern.qc.ca/fileadmin/user_upload/syndicats/z48/Communiques/Note_de_recherche_projets_particuliers_final.pdf p. 2.

(3) http://sern.qc.ca/fileadmin/user_upload/syndicats/z48/Communiques/Note_de_recherche_projets_particuliers_final.pdf p. 7.

(4) http://www.magazine-savoir.ca/2017/07/12/lalphabetisation-en-2017/.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Suzanne Loiselle

Membre du Collectif Échec à la guerre

Cet automne, alors que l’AQOCI et ses membres tiennent les Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI) sous le thème Quel rôle joue l’éducation dans notre compréhension des enjeux mondiaux ?, le Collectif Échec à la guerre mène la 8e campagne du coquelicot blanc.

De plus en plus de réseaux - scolaire, syndical, organisations de femmes, de défense des droits et de coopération internationale, congrégations religieuses - appuient cette campagne. Mais d’où vient une telle campagne ? La première campagne du coquelicot blanc fut lancée en Angleterre, en novembre 1933, par la Co-operative Women’s Guild (CWG). Cette organisation, composée de mères, de sœurs, de veuves et d’amoureuses d’hommes tués lors de la Première Guerre mondiale, menait un travail d’éducation sur les conditions socio-économiques et politiques favorisant la montée de la guerre et s’opposait activement au commerce des armes. Par sa campagne, la CWG voulait non seulement commémorer toutes les victimes de la guerre, mais également proclamer son rejet d’un tel fléau et se dissocier des commémorations faisant subtilement l’apologie de la force militaire.

Dès 1934, l’initiative de la CWG fut appuyée par un nouveau mouvement pacifiste en Grande-Bretagne, le Peace Pledge Union qui prit dès lors en charge, jusqu’à aujourd’hui, la production et la vente des coquelicots blancs.

Au Québec, depuis 2011, le Collectif Échec à la guerre réalise la campagne annuelle du coquelicot blanc pour dénoncer les interventions militaires menées à l’encontre du droit international et rappeler que les guerres d’aujourd’hui tuent majoritairement des civils, surtout des femmes et des enfants. Ces guerres forcent aussi des millions de personnes à errer sur les routes ou à dériver sur les mers en quête d’un havre de paix et de sécurité.

Les présentes guerres constituent un enjeu international majeur et leur dénonciation un enjeu éducatif incontournable. Comme l’affirmait, de façon convaincante, lors du premier Forum social mondial sur la paix et la sécurité humaine tenu à Sarajevo en juin 2014, Mairead Maguire, militante pacifiste d’Irlande du Nord et fondatrice du Regroupement des femmes récipiendaires du Prix Nobel de la paix (Nobel Women’s Initiative), « nous voulons un autre monde dans lequel l’humanité croit que le désarmement et la paix sont possibles, qu’une vision commune d’un monde sans armes, sans militarisme et sans guerres, est indispensable. Il ne peut y avoir de changement réel sans rejet total du militarisme ». S’opposer aux armes, au militarisme et aux guerres, voilà tout un défi pour l’éducation à la solidarité internationale et la mobilisation citoyenne en faveur de la paix. Le Collectif Échec à la guerre invite donc les participant-e-s aux JQSI et leurs réseaux à participer activement à la campagne du coquelicot blanc qui se déroule du 21 septembre (Journée internationale de la Paix) au 11 novembre (Jour du Souvenir). Endosser la campagne du coquelicot blanc constitue un geste citoyen tout simple pour dire non aux horreurs des guerres et en finir avec le militarisme !

Crédit photo : Collectif Échec à la guerre



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Pierre Chénier

Porte-parole du Réseau des écoles publiques alternatives du Québec (RÉPAQ)

« L’école publique alternative outille l’élève pour qu’il devienne un citoyen autonome, critique, responsable et engagé ». Telle est la position adoptée par le Réseau des écoles publiques alternatives du Québec (RÉPAQ) pour sa première condition intitulée UN MILIEU DE VIE CRÉATIF, RESPONSABLE ET OUVERT SUR LE MONDE (1).

Qu’est-ce que cela implique ? Que tous les membres de la communauté éducative de l’école, élèves, enseignantes et enseignants, parents, directions, éducatrices et éducateurs des services de garde « aient la préoccupation de construire, avec les autres, geste après geste, un monde plus juste et plus solidaire » (2).

Cette préoccupation de l’école alternative québécoise lui vient en partie de ses racines européennes et plus précisément de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle ou LIEN. Fondée en 1921 lors d’un congrès à Calais, cette ligue regroupait les grands noms de l’éducation nouvelle : Jean Piaget, Maria Montessori, AS Neill, John Dewey, Célestin Freinet, Rudolf Steiner, Édouard Claparède et Adolphe Ferrière, entre autres. Marqués par les dégâts de la Première Guerre mondiale (1914-1918), il s’agissait pour eux de lancer le grand projet d’une éducation internationale. « Pour assurer au monde un avenir de paix, rien ne pouvait être plus efficace que de développer dans les jeunes générations le respect de la personne humaine par une éducation appropriée. Ainsi pourraient s’épanouir les sentiments de solidarité et de fraternité humaines qui sont aux antipodes de la guerre et de la violence  » (3).

La montée du fascisme et la Seconde Guerre mondiale (1935-1945) balayèrent ce mouvement humaniste mais la graine était semée en la personne de Colette Noël qui rencontra Célestin Freinet dans son école de St-Paul-de-Vance et qui, de retour au Québec, fonda la première école nouvelle, l’école Noël, en 1955, en pleine période duplessiste. Une enseignante de cette école, Denise Gaudette, créa à son tour l’école Nouvelle-Querbes en 1967 puis participa avec Charles Caouette à la fondation de la première école publique dite alternative, l’école Jonathan, en 1974.

En septembre 2018, en jeune quadragénaire, l’école alternative réunit actuellement près de 7 000 élèves, dans 45 volets alternatifs et écoles alternatives, répartis dans 24 commissions scolaires du Québec. Ces écoles et volets sont regroupés dans un réseau, le Réseau des écoles publiques alternatives du Québec ou RÉPAQ.

Pour voir le jour en 2002 et se développer malgré sa petitesse, le RÉPAQ a dû se concentrer sur ses propres besoins, se définir une identité propre, défendre sa place au soleil québécois : il a donc dû négliger les appels de phare qui lui venaient régulièrement de l’international. Le temps est maintenant venu de développer sa dimension internationale, de tisser des liens avec ses complices et amis d’outremer. Et le RÉPAQ n’est pas seul dans le monde à se battre pour une école humaniste. En 2003, est né le Lien pour l’éducation nouvelle qui organise des congrès en France, en Belgique, en Tunisie, en Roumanie. L’océan qui nous sépare de l’Europe et de l’Afrique ne nous empêchera pas de collaborer à ce mouvement. Un premier pas en juin 2019, au congrès de l’ACFAS, le Réseau des chercheurs du RÉPAQ compte organiser un colloque sur l’alternative en éducation et tentera de réunir pour cette occasion des chercheuses et des chercheurs provenant de divers pays et continents.

Le monde de 2018 n’est pas celui de 1921, année de la création du LIEN. Il n’en reste pas moins que les mouvements humanistes, comme le nôtre, doivent encore et encore faire face à un monde où la violence règne en maîtresse, où les exploiteurs de l’être humain traitent de bêtises humanistes la coopération, le partage et le respect, où enfin l’éducation demeure un luxe pour les bien nantis. Comme nos prédécesseurs, nous opposons la force de l’humanisme pour renverser ces déviances inhumaines et bâtir un monde meilleur.

Illustration : Jacques Goldstyn

Notes
(1) L’école publique alternative québécoise. Ses conditions pour naître et se développer (disponible sur le site web du RÉPAQ www.repaq.org).
(2) Idem.
(3) Henri Wallon, dans Pour l’Ere Nouvelle, n°10, 1952.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Élèves de 4e et 5e secondaire

La simulation de l’Assemblée générale des Nations Unies (SAGNU) est une activité offerte par le Carrefour de solidarité internationale dans les écoles secondaires de l’Estrie. Elle permet aux jeunes de secondaire 4 et 5 de vivre une expérience unique en devenant diplomate d’un jour. Les participantes et participants doivent représenter un pays, débattre, prendre parti et faire pression en faveur de leurs intérêts afin de trouver des pistes de solutions à une problématique internationale. Les jeunes sont formés afin de découvrir le fonctionnement de l’ONU ainsi que le pays qu’elles ou qu’ils représentent.
Il est possible de participer à la SAGNU en tant que journaliste d’un jour. Accompagnés par une ou un journaliste de Sherbrooke, des jeunes relèvent le défi de rédiger un article sur l’événement, qui sera ensuite diffusé sur les réseaux sociaux.

Jeunes diplomates à l’oeuvre
Marie-Anne Desbiens et Maude Bédard, élèves de 5e secondaire de l’école de la Montée (Pavillon Le Ber)

À l’ère des réseaux sociaux et du désintéressement de la politique, la reconnaissance à travers les autres, l’intérêt des questions internationales et l’impression d’être entendu sont les trois principaux facteurs qui incitent les jeunes à s’impliquer dans la politique. C’est bien là l’opinion d’Emmanuel Choquette, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

« Quand on écoute les médias, des fois on a l’impression que les jeunes ne sont pas intéressés. On voit que c’est une généralisation erronée », souligne M. Choquette.

C’est d’ailleurs le cas de cent vingt étudiantes et étudiants de la région de l’Estrie qui, à l’occasion de la 20e Simulation de l’Assemblée générale des Nations Unies, ont partagé leur point de vue sur différents aspects politiques.

Maxence Roger, élève de cinquième secondaire de l’école de La Montée, prend part pour la première fois à cette journée. Pour lui, la simulation est une bonne opportunité de partager son opinion avec les autres, en particulier lorsqu’il est question d’actualité.

Pour ces élèves, l’implication à court terme dans cet événement est un motif supplémentaire d’y participer, pense Michèle Côté, agente d’éducation à la citoyenneté mondiale.

Le temps d’une journée, ces jeunes impliqués à fond se sont même vêtus comme des diplomates !

Déléguée aujourd’hui, citoyenne responsable demain
Océane Dandurand, élève de 4e secondaire de l’école secondaire l’Odyssée

Cela fait 20 ans que, chaque année, des écoles de l’Estrie se rassemblent pour la SAGNU. La SAGNU a un grand effet sur les jeunes. Elle leur permet de développer plusieurs compétences comme parler en public, prendre sa place, influencer des gens. Elle aide aussi à faire des adolescentes et adolescents des citoyennes et citoyens responsables, car ce sont les adultes de demain.

Marc-André Raymond, qui a participé à la cinquième édition de la SAGNU, représentait la Suisse dans la commission sur le terrorisme. Il retient de cette expérience une nouvelle façon de voir le monde. Selon M. Raymond, l’activité développe une confiance de soi, car on doit essayer de convaincre et influencer les gens.

C’est la vingtième édition à laquelle participe Yoland Bouchard, enseignant d’histoire au collège Mont Notre-Dame. Quand, en 1998, il a proposé le projet à sa classe, ce fut un intérêt instantané. Pour M. Bouchard, c’est une prise de conscience directe. « Ça nous rapproche de la réalité, c’est ça qui me plait. Ça offre beaucoup aux jeunes, pas nécessairement un choix de carrière, mais aussi de voir que leur parole a de la valeur. Elle ne formera pas que des diplomates, elle formera aussi des jeunes qui se demanderont ‘’est-ce que le métier que je suis en train d’apprendre contribue au monde de demain ?’’ », explique M. Bouchard.

Selon lui, plusieurs portes s’ouvrent après l’expérience. « Une autre chose que j’aime de la SAGNU c’est la collaboration, car c’est important de noter qu’à la SAGNU, il y a une collaboration entre l’Université de Sherbrooke et les écoles secondaires ainsi qu’entre les étudiantes et étudiants. Ç’a beau être un jeu, il y a quand même une dimension de réalité », estime Yoland Bouchard.

Certaines personnes utilisent cette expérience pour en faire un métier comme diplomate, politicienne ou politicien. D’autres iront faire des stages, mais ce qui est sûr c’est que toutes ces personnes deviendront de meilleures citoyennes.

Crédit photo : Carrefour de solidarité internationale de Sherbrooke.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Sarah Charland-Faucher

Coordonnatrice et formatrice pour le Carrefour international bas-laurentien pour l’engagement social (CIBLES) Participante à un stage en milieu scolaire en 1998 au Nicaragua avec le Groupe d’entraide international Spirale

Partout au Québec, des centaines de jeunes et moins jeunes partent chaque année à la rencontre d’autres peuples et cultures à travers des petits et grands projets d’initiation à solidarité internationale avec leur école. Ces expériences vécues grâce à un personnel habituellement mobilisé et engagé sont souvent très positives pour les élèves, mais il n’est pas toujours évident de mesurer les retombées sociales tant individuelles que collectives de tous les efforts investis.

Est-il possible de faire jaillir de ces expériences les compétences transversales nécessaires à un vivre-ensemble local et mondial harmonieux afin que le projet ne soit pas réduit à un voyage consommé puis jeté quelques mois après le retour quand les émotions se seront assoupies ? D’autre part, comment s’assurer que les participant- e-s ne quittent pas, peut-être inconsciemment, avec un esprit colonisateur qui a jadis, et qui encore aujourd’hui dans de nouvelles formes, causé tant de dommages chez les populations rencontrées même si les stagiaires ont de bonnes intention ? Si certaines personnes qualifient, à tort, leur projet « d’aide humanitaire », il s’agit plus souvent qu’autrement d’expériences d’initiation à la solidarité internationale puisque les participant-e-s n’ont encore ni la formation, ni les savoir-être et savoir-faire pour être de réels partenaires de coopération et ni l’expertise de pointe pour intervenir en situation de crise comme l’exige l’aide humanitaire.

Pour le Carrefour international bas-laurentien pour l’engagement social (CIBLES) basé à Rimouski qui se spécialise, entre autres, dans l’animation de formations préparatoires avant ce type de séjours, il est crucial de faire une part très large à la sensibilisation, l’information et la conscientisation afin que l’expérience soit transformatrice et sème les germes dans les cœurs et les têtes dont la planète a besoin pour donner une chance à l’avenir des humains. Il s’agit aussi de développer l’esprit critique qui permettra de comprendre sa propre posture de départ avant de penser à aider ou changer les autres ou le monde. Pour le CIBLES, ces séjours sont bel et bien un moyen et non une fin. Que cherchons-nous à poser dans
les bagages de ces jeunes en partenariat avec nos hôtes à l’international ? Que désirions-nous observer chez les participant-e-s suite aux formations pré-départ, à l’expérience outremer, aux formations de retour et même dans les mois et années suivant un séjour à l’international ?

Des participant-e-s qui ont renforcé leur estime et connaissances d’elleux-mêmes, leur confiance en soi et leur confiance en leurs prochains.

Pourquoi ? Parce que l’estime de soi et la confiance sont une base essentielle pour entrer en relation avec les autres et le « monde extérieur », sans peurs, de façon saine et pacifique. Parce que se connaître permet d’identifier les valeurs qui nous constituent et qui entreront inévitablement en conflit avec d’autres au cours de notre exploration du monde.

Des participant-e-s qui ont du plaisir à travailler en équipe et à se soutenir mutuellement.

« Tout seul, on va plus vite, mais ensemble on va plus loin » peut devenir plus qu’un slogan lorsqu’on l’expérimente concrètement, dans la joie autant que possible ! Pourquoi ? Parce que l’esprit d’équipe et de communauté est une base pour développer des projets plus grands que soi, chercher des résultats collectifs mais aussi pour permettre à un sentiment d’appartenance d’émerger. Sans ce dernier, aucune solidarité n’a l’habitude de germer. Or, la solidarité est un ingrédient crucial pour cocréer une société plus juste et harmonieuse tout comme une école
où il fait bon étudier.

Des participant-e-s qui s’intéressent à l’histoire qui les précède et distinguent leurs privilèges.

Pourquoi ? Parce que la connaissance du passé nous permet de mieux comprendre les réalités actuelles, de diminuer les jugements, de changer les comportements qui se doivent de changer pour ne pas reproduire ce que nous ne souhaitons plus observer dans le monde. Parce que reconnaître ses privilèges peut ouvrir la porte à une plus grande humilité, écoute et sensibilité à l’égard de celles et ceux qui en ont peu ou pas ou n’ont pas les mêmes.

Des participant-e-s plus à l’écoute et plus tolérant-e-s à l’ambiguïté

Pourquoi ? Parce les différences culturelles seront aux rendez-vous, tout comme les défis reliés à la vie en groupe et en collectivité.

Des participant-e-s plus à l’écoute, curieux et ouverts d’esprit et plus tolérant-e-s à l’ambiguïté.

Pourquoi ? Parce que le monde est complexe, les cultures et sensibilités distinctes et que si l’écoute et la curiosité ne débouchent pas sur une compréhension mutuelle, au moins, il est possible pour mieux vivre ensemble de demeurer patient à son propre égard et à l’égard des autres faces à ce qu’on ne comprend pas. Cela a aussi pour effet de diminuer les jugements trompeurs ou les interprétations erronées tout comme la violence qui peut en découler.

Des participant-e-s qui explorent et apprivoisent le sentiment de coresponsabilité et non de culpabilité.

Pourquoi ? Parce que découvrir l’histoire, l’état du monde, les injustices, la pollution, les conflits armés, le pillage et l’exploitation des ressources par les compagnies ou pays les plus puissants peut amener beaucoup de culpabilité aux participant-e-s qui réalisent comment s’est accumulée la richesse et se sont développés les privilèges dont ils profitent. La culpabilité est rarement un moteur de changement durable et peut mener différents mécanismes de défense avec le temps : repli, indifférence, cynisme, dépression, gestes charitables occasionnels pour déculpabiliser… Le sentiment de coresponsabilité nourrit la volonté de solidarité et la motivation à travailler en équipe pour trouver des solutions et modifier les comportements comme les règles ou les politiques qui causent les problèmes observés tant dans le groupe que dans le pays d’accueil que dans la société au retour de stage.

Des participant-e-s qui veulent participer à une transformation positive du monde et s’engager dans leur milieu ou à l’international tant au niveau personnel que professionnel.

Pourquoi ? Parce qu’on en a drôlement besoin, vous ne croyez pas ?

Certains diront : « Ce n’est qu’un court stage|séjour de 2-3 semaines, voire de 2-3 mois. Pourquoi se donner tant de mal alors que le financement d’une telle expérience demande déjà tellement d’énergie » ? Parce que les projets de séjours internationaux sont portés par un désir commun des participant-e-s et sont donc une occasion précieuse pour le milieu scolaire de rencontres enrichissantes sur plusieurs mois en plus de représenter une opportunité hors du cadre académique habituel permettant le dialogue, des prises de consciences et la mise en pratiques des valeurs humanistes que nous souhaitons voir modeler le présent et l’avenir.

Ne pas s’impliquer dans la formation pré-départ et de retour, ne pas se préoccuper que le séjour ne soit ou ne devienne qu’un « trip » à consommer et qui n’apporterait principalement qu’un lot de beaux souvenirs et des bonus sur un CV, c’est passer à côté - comme participant-e, comme personne accompagnatrice, comme organisme, institution scolaire ou partenaire du projet - d’une opportunité pédagogique incroyable afin de participer à la formation des actrices et acteurs de changement dont le Monde a besoin.

Illustration : Jacques Goldstyn



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Rachel Saintus-Hyppolite

Enseignante en soutien linguistique à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) L’autrice s’exprime à titre personnel

Les écoles montréalaises recèlent une grande diversité culturelle, on le sait. Il n’y a qu’à regarder les cours d’école pour le savoir. Les statistiques de la population étudiante des différentes commissions scolaires montréalaises le prouvent aussi. À la CSDM, 26,5 % des élèves sont nés à l’étranger à la formation générale des jeunes (1), et si on inclut les jeunes nés au Québec d’un ou deux parents étrangers, on monte à 48%. Ce nombre va jusqu’à 71 % à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB) (2). Or, si les classes sont de plus en plus diverses, le corps enseignant l’est beaucoup moins. Peu de statistiques existent à ce sujet pour vérifier et chiffrer ce phénomène. Comme enseignante au primaire et au secondaire à Montréal depuis 2008, il me frappe de constater ce manque. La majorité des collègues que j’ai eus au fil des ans sont des francophones d’origine canadienne-française, ce qui est peu étonnant, mais fait contraste avec les chiffres nommés plus haut. Dans les deux écoles où j’enseigne, situées dans le sud-ouest de Montréal, il y a une proportion inconstante des enseignant-e-s issu-e-s de la diversité culturelle montréalaise (dans l’une, environ le quart du personnel ; dans l’autre, un nombre très faible). L’accompagnement d’élèves allophones en est d’autant plus riche… et ce fait devrait être plus répandu. En particulier, pour l’apprentissage de la langue française, cette diversité amènerait des pratiques qu’on apprend en enseignement des langues secondes, et qu’un-e professeur-e d’une culture autre que la dominante comprend instinctivement, mais qui est plus difficile à conceptualiser pour un-e professeur-e « de souche ».

Plusieurs facteurs sont très importants pour mener une éducation multiculturelle et plurilingue réussie. Une des plus centrales est la conviction de la force de la culture d’origine de l’élève. Grâce à celle-ci, l’apprenante ou l’apprenant peut analyser et comprendre la culture d’accueil en s’y appuyant, même en milieu scolaire.

L’empathie est aussi une valeur importante qui doit être déployée avec tous les élèves, peu importe le milieu. On s’attend du personnel scolaire en général qu’il manifeste cette qualité. Il est cependant beaucoup plus facile d’avoir de l’empathie pour une situation dont on est plus proche ou qu’on connaît plus intimement. Ainsi, les interventions pour faciliter la vie des élèves en est bonifiée par le vécu du personnel.

Par exemple, dans une des écoles où j’enseigne, quatre des sept professeures d’accueil sont nées à l’étranger ; de ce nombre, trois n’ont pas le français comme langue maternelle. Outre les avantages évidents, comme la capacité de traduire certains propos dans la langue de plusieurs de leurs élèves, il est aussi beaucoup plus simple de comprendre la lenteur d’adaptation au système scolaire et à l’apprentissage d’une langue lorsqu’on l’a soi-même vécu ou qu’on a vu ses propres enfants se débattre dans le système qui leur étaient inconnu. Il est aussi plus aisé de construire un lien lorsqu’il est évident qu’on vient peut-être « d’ailleurs » et de raconter aux élèves des parcours migratoires différents.

Plusieurs de mes élèves m’ont demandé au fil des ans mes origines, le fameux « d’où viens-tu ? ». Je me fais un devoir de préciser que je suis née à Montréal, même si mes parents, eux, viennent d’Haïti ; c’est une façon pour moi de démontrer que « l’ailleurs » peut aussi ressembler à « ici ».

L’empathie face à la relative lenteur des apprentissages d’une langue seconde devrait être le rôle joué par les professeur-e-s issu-e-s de l’immigration. Or, il est dommage de constater qu’on ne nous permet pas de le jouer, ni que cette voix soit écoutée. On se retrouve encore dans une situation où l’autre semble incompréhensible et inaccessible, alors qu’il pourrait l’être moins si on utilisait cette ressource qu’est cette présence des professeur-e-s issu-e-s de l’immigration. Dans l’idéal, pour atteindre ce but, il faudrait plus d’étudiant-e-s des populations visées dans les programmes des facultés d’enseignement.

La force du nombre influera sûrement sur cette donnée dans cinq ou dix ans. En attendant, j’invite le personnel scolaire à s’informer sur les réalités migratoires auprès de gens qu’ils côtoient tous les jours : leurs collègues issus de l’immigration.

Crédit photo : Jean-François Brière

Notes

(1) Commission scolaire de Montréal, « La CSDM en chiffres » : http://csdm.qc.ca/csdm/la-csdm-en-chiffres/élèves [page consultée le 12 août 2018].

(2) BAKHSHAEI, Mahsa. La scolarisation des jeunes issus de l’immigration : un diagnostic, Fondation Chagnon, 2014, p. 11.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Frank Mackey

Auteur/chercheur indépendant

Un incident récent me pousse à partager quelques réflexions sur l’absence des Noir-e-s dans l’enseignement de l’histoire du Québec, et du Canada entier. Un jeune parent noir, étudiant au Secondaire 3, subissait en mai dernier un test d’histoire. Le sujet ? Les 92 Résolutions de 1834, la célèbre litanie de griefs qui devait servir de programme électoral au Parti patriote cette même année. Aurait-on discuté en classe de la participation des Noir-e-s aux débats entourant ces revendications ? Non, répond-il, tout surpris d’entendre que des Noir-e-s auraient eu quelque rôle à jouer dans cette affaire. Belle occasion loupée, lui dis-je en lui présentant le texte suivant (traduit de l’anglais) d’un tract d’Alexander Grant, un Noir venu de New York qui, depuis son arrivée en 1830, s’était imposé comme leader de la communauté noire de Montréal :

À mes Frères de Couleur de Montréal, Chers Frères, – En prévision de l’élection prochaine des membres de la Chambre d’assemblée, alors que vous aurez à exercer le Privilège que la Constitution vous confère, je m’empresse de vous entretenir d’un sujet qui touche de près à votre honneur et à vos intérêts en tant qu’hommes libres.

Le monde civilisé admire et envie la Constitution de la Grande-Bretagne, sous laquelle nous avons le bonheur de vivre. Impatients que nous sommes de jouir de tous ses Bienfaits, nous avons le devoir solennel et, je le souhaite, la volonté bien arrêtée d’empêcher que des hommes téméraires et égarés y portent atteinte.

Dernièrement de tels gens (en cette province) se sont dits « esclaves », alors que toute personne raisonnable et de bonne foi sait fort bien qu’ils jouissent d’une plus grande part de véritable liberté que ce qui se trouve partout ailleurs. Nous ne représentons qu’une faible partie de la population, mais nous sommes attachés à notre gracieux souverain, le Roi GUILLAUME IV, et aux lois du royaume, bien qu’il y ait certains privilèges auxquels la loi nous donne strictement droit (comme servir à titre de Jurés, & c.) qui pour une raison inconnue ne nous sont pas accordés.

Je vous recommande donc, à l’élection prochaine, d’affirmer résolument vos droits d’hommes libres ; de ne pas vous laisser séduire par les belles promesses et les fausses prétentions ; d’agir avec une saine et ferme discrétion ; et de ne voter que pour les candidats reconnus pour leur fidélité à la constitution Britannique, et qui s’engageront à faire tout leur possible pour vous assurer ces privilèges dont vous êtes aujourd’hui injustement privés.

En agissant ainsi, fermement et discrètement, vous mériterez bien le titre auquel vous prétendez, celui d’hommes libres et honorables, et vous offrirez un noble exemple à ces êtres vacillants et faibles qui se montrent indignes des glorieux privilèges qui sont les leurs. ALEXANDER GRANT (1), Montréal, 10 mai 1834

Pamphlet anti-patriote, dira-t-on bien que Grant avait voté patriote en 1832. Il y avait deux raisons valables de changer de cap en 1834 :
1. Les réformistes en étaient venus à voir dans le système démocratique des États-Unis le remède tout indiqué aux maux politiques du Bas-Canada, mais aux yeux des Noir-e-s, la démocratie à l’américaine était le suppôt de l’esclavage. Grant, l’Américain, en savait quelque chose.
2. Alors que les réformistes dénonçaient les injustices sans nombre du « tyran » britannique, celui-ci était en voie d’abolir l’esclavage dans la plupart de ses colonies, notamment aux Antilles. La loi d’abolition, votée à Londres l’été précédent, devait entrer en vigueur le 1er août. Pour la population noire du Québec donc, pas question en 1834 de couper les liens avec l’Angleterre et de se rapprocher des États-Unis. Cette attitude, discutable mais parfaitement logique, n’avait rien d’un réflexe réactionnaire. Quant aux accusations des réformistes selon lesquelles l’administration en place cherchait à réduire le peuple à l’esclavage, aucune personne noire ne les aurait crues. Aucun des abus dont se plaignaient les Patriotes n’était comparable aux affres de l’esclavage, le vrai, celui que les Noir-e-s du Bas-Canada, ou leurs parents et amis, avaient vécu aux États-Unis, aux Antilles ou ailleurs, voire, même au Québec. Quel Patriote avait vu sa mère vendue à un voisin ou exportée à l’étranger ?

Voilà une nouvelle tournure à une vieille histoire. C’est une preuve qu’il serait possible, avec doigté et sans forcer la note, d’intégrer les Noir-e-s – et bien sûr les Autochtones et autres minorités – dans nos cours d’histoire. Mais pour pouvoir communiquer leur réalité historique dans nos écoles, il faut premièrement la connaître, et deuxièmement vouloir la faire connaître. Enfin, il faut reconnaître que nous la partageons, nous Québécoises et Québécois du 21e siècle, pour qui la mère patrie n’est plus nécessairement la France, l’Angleterre ou quelqu’autre contrée de la vieille Europe.

Voilà la responsabilité des personnes qui confectionnent les programmes scolaires et qui rédigent les textes destinés aux élèves. Parmi les populations visées, parmi nos professeur-e-s et étudiant-e-s en histoire, il y a sûrement des spécialistes prêts à prodiguer leurs conseils et à fournir les documents et certificats nécessaires à ce mariage d’histoires, sinon à faire les recherches qui s’imposent pour boucher les trous béants dans ce passé que nous devons nous raconter.

Crédit photo : HURTUBISE 2013

Note
(1) On trouvera ce texte (en anglais) dans le Montréal Herald du 15 mai 1834, en ligne sur le site web de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Jacky Vallée

Professeur et co-fondateur du Vanier Indigenous Circle, Cégep Vanier College L’auteur s’exprime ici à titre personnel. (Traduction : Denis Côté)

Grâce au travail de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015), qui a passé 5 ans à faire de la recherche dans les archives des gouvernements et des églises et à recueillir des témoignages de survivantes et survivants des pensionnats autochtones, beaucoup plus de Canadiennes et Canadiens autochtones comprennent l’impact à long terme de ces pensionnats sur les populations autochtones. Il y a encore un manque général de prise de conscience par rapport à comment et pourquoi cette histoire a affecté l’état d’esprit et la motivation des étudiantes et étudiants autochtones, mais l’augmentation de la couverture du sujet dans les médias et en éducation sont un signe d’amélioration dans ce domaine. Un obstacle plus difficile encore à briser est le manque général de connaissances de la manière dont la pensée eurocentrique imprègne le système scolaire à tous les niveaux et continue d’avoir un impact négatif sur les peuples autochtones et les perceptions des populations autochtones par la population canadienne allochtone.

Plusieurs autochtones œuvrant dans le domaine de la recherche et de l’éducation au Canada et ailleurs ont décrit la nature eurocentrique des savoirs qui sont transmis dans les institutions eurocanadiennes à tous les niveaux. Goulet et Goulet (2014) ont expliqué que même les théories de l’enseignement et de l’apprentissage, par exemple, sont ancrées dans la pensée eurocentrique, laissant de côté les méthodes riches et diverses que les peuples autochtones ont utilisées depuis des millénaires pour comprendre le monde. De même, Smith (1999) a soutenu que les visions du monde dans lesquelles les disciplines universitaires sont enracinées excluent d’emblée d’autres systèmes de savoirs. Battiste (2013) a décrit cette exclusion comme de l’impérialisme cognitif, dans lequel les savoirs européens sont privilégiés au détriment d’autres formes de savoirs.

L’eurocentrisme est si profondément ancré dans le système scolaire, selon Battiste (2013), que la validité des savoirs n’est jamais remise en question. Les savoirs issus de la pensée eurocentrique sont perçus comme politiquement neutres et la vision européenne du monde à la source de ces savoirs académiques n’est pas reconnue. De même, Smith (1999) a fait valoir que « la mondialisation du savoir et de la culture occidentale réaffirme constamment la vision que l’Occident a de lui-même comme centre des savoirs légitimes, arbitre de ce qui peut être considéré comme un savoir et seule source des « savoirs civilisés ». Cette forme de savoir est généralement appelée « savoir universel », à la disposition de tous et dont personne n’est vraiment « propriétaire » (p. 63). Cependant, comme l’a soutenu Battiste (2013), il n’y a pas de « système de savoirs neutre. Tous les savoirs sur la nature sont une construction sociale » (p. 199).

Selon ces chercheuses et chercheurs, un biais eurocentrique dans l’éducation, lorsqu’il n’est pas remis en question, contribue à marginaliser encore davantage les peuples autochtones et leurs manières de savoir et d’apprendre. Battiste (2013) et Smith (1999) présentent cet argument dans le cas des sciences humaines, qui sous-tendent beaucoup d’autres disciplines, telles que celles liées aux sciences sociales ainsi que les sciences enseignées dans les écoles eurocanadiennes. Les origines de ces deux grands champs d’études remontent à des périodes de l’histoire de l’Europe où certaines visions du monde ont pris le pas sur les autres. Battiste (2013), par exemple, a soutenu que les sciences humaines eurocentriques ont émergé au cours d’une période d’exploration et de conquête, et qu’elles sont intimement liées à la montée de la classification raciale. Citant le travail de Said (1977) sur la façon dont les savoirs européens ont été « normalisés » au détriment de l’autre exotique, elle a démontré que la classification raciale s’est accompagnée d’une emphase sur les savoirs européens. C’est la même chose pour les systèmes de classification utilisés en science, que l’on considère comme légitimes et naturels dans les manuels scolaires sans tenir compte du contexte culturel dans lequel ils ont été produits.

Les visions du monde qui sous-tendent les savoirs académiques eurocentriques sont très différentes des visions autochtones du monde. Sparkes et Piercey (2015) ont donné plus de précisions sur cette différence en ce qui a trait à la science occidentale. Les visions autochtones du monde ont tendance à être globales, privilégiant une vision de l’interrelation entre les différents éléments de la vie : les humains, les animaux, les plantes, et ainsi de suite. La science occidentale, d’autre part, porte sur l’analyse individuelle des différents éléments. En outre, les visions autochtones du monde sont fondées sur une expérience directe de la nature, dans un territoire ancestral particulier. Les visions scientifiques occidentales sont basées sur des faits, acquis dans des environnements contrôlés tels que des laboratoires, et souvent coupés de leur contexte original (1).

L’exclusion des visions du monde, des savoirs, et de méthodes autochtones, d’après l’ensemble des autrices et auteurs mentionnés ci-dessus, donne une image incomplète du monde, ce qui est préjudiciable à toutes et tous. Par exemple, tel qu’illustré par Sparkes et Piercey (2015), Battiste (2013) et Nelson (1993), les façons d’appréhender le monde des Autochtones proposent une compréhension approfondie des environnements locaux - des interprétations qui ont aidé les populations autochtones à s’adapter et à survivre dans une variété d’habitats en Amérique depuis des milliers d’années. Comme l’ont expliqué Goulet et Goulet (2014), par l’observation et l’expérimentation directes, et grâce à une riche tradition orale qui permet de garder en mémoire les événements et les mouvements à travers le temps, les peuples autochtones en sont venus à des conclusions au sujet de leur monde de plus en plus corroborées par la science occidentale (2).

Cette exclusion est particulièrement nocive pour les étudiantes et étudiants autochtones. Comme Battiste (2013) et Goulet et Goulet (2014) l’ont fait valoir, la banalisation du savoir autochtone et de l’apprentissage contribue à la marginalisation sociale des peuples autochtones. Le traitement des savoirs autochtones comme archaïques et non scientifiques, par exemple, et l’accent mis simplement sur les statistiques négatives lorsque des sujets autochtones sont abordés d’un point de vue eurocentrique, nuisent à l’estime de soi des étudiant-e-s autochtones en favorisant l’intériorisation des stéréotypes négatifs et le développement d’un sentiment de honte à propos de leur patrimoine autochtone. Les étudiant-e-s doutent donc de la validité de leurs propres systèmes de savoirs ancestraux et de leur capacité à réussir à l’école. De plus, l’invisibilité de la contribution des populations autochtones à la société québécoise dans le programme d’études pousse les étudiant-e-s autochtones à sentir qu’ils n’ont pas leur place dans le milieu universitaire. Selon Goulet et Goulet (2014), le racisme intériorisé résultant d’une représentation eurocentrique et stéréotypée a un impact direct sur le faible nombre d’étudiant-e-s autochtones à tous les niveaux d’éducation.

De plus, l’inclusion bien intentionnée de sujets autochtones, généralement sans consultation préalable des communautés autochtones locales, souffre aussi bien souvent d’un biais eurocentrique. Un manque de considération pour la diversité des cultures des histoires et des savoirs autochtones, par exemple, contribue à l’idée que tous les peuples autochtones sont les mêmes.

De nombreux enseignantes et enseignants de Vanier, par exemple, discutent de « la culture autochtone » - notez que « culture » est au singulier - et ne parviennent pas à faire la différence entre les Inuits, les Métis et les Premières Nations, et entre les sociétés spécifiques de chacune des Premières Nations. Tel que préconisé par Battiste (2013), Goulet et Goulet (2014) et d’autres, il est essentiel de reconnaître ces distinctions parce que les savoirs autochtones sont ancrés dans des lieux particuliers.

En outre, la représentation typique des populations autochtones se concentre soit sur un passé glorifié ou sur un présent problématique, perpétuant ainsi l’idée que les populations autochtones sont en quelque sorte « carencées » et incapables de s’adapter à la société contemporaine. Par exemple, comme l’a souligné la Dre Adeela Arshad-Ayaz dans son discours lors de la conférence « L’inclusion en action » qui s’est tenue au Collège Vanier en mai 2015, les manuels scolaires du secondaire au Québec contiennent de nombreuses illustrations des peuples autochtones dans les pages consacrées à la période précédant les premiers contacts avec les peuples Européens. Cependant, toute discussion sur les populations autochtones contemporaines se concentre sur les indicateurs socio-économiques relatifs aux « problèmes sociaux » tels que le suicide et l’alcoolisme. On présente très peu de matériel visuel fournissant des images positives des peuples autochtones contemporains.

Dans l’ensemble, les autochtones oeuvrant dans le domaine de la recherche et de l’éducation sont d’accord pour dire que l’approche « ajouter et brasser », comme l’a décrite Battiste (2013), où le contenu est simplement ajouté au programme existant sans fournir le contexte historique et culturel approprié, est plus nuisible qu’utile. Comme l’ont soutenu Goulet et Goulet (2014), « Quand l’amélioration de l’éducation des autochtones se concentre principalement sur une programmation culturelle enseignée dans le cadre des pratiques scolaires actuelles, les initiatives n’exposent pas et ne contestent pas les relations de pouvoir au sein de notre société » (p. 22).

Le système éducatif actuel, tel que démontré ci-dessus, perpétue des stéréotypes préjudiciables qui contribuent à marginaliser encore davantage les populations autochtones. Puisque les éducatrices et les éducateurs ont été formés dans ce même système, elles et ils ont souvent intériorisé l’idée que les populations autochtones doivent être « réparées » pour être en mesure de s’adapter et de réussir dans le milieu universitaire. En effet, comme l’a soutenu Hare (2011), « on blâme les apprenant-e-s autochtones et leurs familles pour leur incapacité à réussir dans des systèmes éducatifs qui ne font à peu près rien pour valoriser leur culture, leurs valeurs et leurs langues » (p. 91).

Très peu de personnes reconnaissent que le système éducatif lui-même fait partie du problème.

Heureusement, de plus en plus d’éducatrices et éducateurs reconnaissent cette lacune dans leur propre éducation. À Vanier, nous faisons de nombreux efforts pour intégrer les savoirs autochtones dans nos programmes scolaires. La réaction a été phénoménale. Par exemple, non seulement nous avons 30 personnes inscrites à un programme de sensibilisation à l’éducation autochtone, mais nous avons une liste d’attente de plus de 10 personnes et de nombreuses autres personnes nous posent des questions sur les itérations futures de ce programme. De plus, nous avons reçu un appui massif de la part des départements dans l’ensemble des facultés pour la mise sur pied du futur programme de Certificat en études autochtones. En septembre 2017, Vanier a signé le Protocole sur l’éducation des autochtones (Collèges et instituts Canada, s.d.), ce qui démontre notre engagement à poursuivre nos efforts sur ce front.

Crédit photo : Productions Brutes / Télé-Québec

Notes

(1) Voir Sparkes et Piercey (2015), page 4, pour un tableau qui fournit une comparaison plus détaillée des visions autochtones du monde et de celle de la science occidentale.

(2) Voir lien http://www.cbc.ca/beta/news/technology/science-first-nationsoral-tradition-converging-1.3853799 pour un exemple d’un récent reportage montrant que la science occidentale corrobore de plus en plus les savoirs autochtones.

Références

Battiste, M. (2013). Decolonizing education : Nourishing the learning spirit. Saskatoon, SK : Purich Publishing Ltd.

Collèges et instituts Canada. (s.d.) Indigenous education protocol for colleges and institutes. Extrait de https://www.collegesinstitutes.ca/policyfocus/indigenous-learners/protocol/

Goulet, L.M. & Goulet, K.N. (2014) Teaching each other : Nehinuw concepts and Indigenous pedagogies. Toronto : UBC Press.

Hare, J. (2011). Learning from Indigenous knowledge in education. Dans Long, D. & Dickason, O.P., (éd.), Visions of the heart : Canadian Aboriginal issues, 3e édition., 90-112.

Nelson, R. (septembre/octobre 1993). Understanding Eskimo science. Aubudon Magazine, 102-109.

Sparkes, L.L. & Piercey, D.W. (2015) Indigenous ways of knowing and Western science : Including traditional knowledge in post-secondary biology courses. Rapport soumis au département de biologie, Collège Vanier.
Commission de vérité et réconciliation du Canada. (2015) Honouring the truth, Reconciling for the future. Extrait de http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Honoring_the_Truth_Reconciling_for_the_Future_July_23_2015.pdf.



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Maude-Gabrielle De Champlain

Enseignante au primaire et conceptrice de Culture autochtone à l’école Participante d’un projet Québec sans frontières au Costa Rica en 2004 ainsi que d’un séjour au Sénégal avec la Fondation Paul Gérin-Lajoie

C’est le 10 septembre 2013. Il y a quatre jours, j’ai répondu à une offre d’emploi dans le journal. Me voilà déjà sur le chemin forestier de 88 km qui relie St-Michel-des-Saints à la communauté de Manawan. À quatre heures de Montréal, je pars à la rencontre de la Nation Atikamekw.

À l’école Simon Pineshish-Ottawa, l’année scolaire est commencée depuis déjà dix jours. Je suis impatiemment attendue par mes futurs élèves de 5e année. Lorsque j’arrive le soir dans la communauté, le concierge vient m’ouvrir la porte de mon nouveau logement. Je m’installe avec mes bagages faits à l’improviste. Je me sens épuisée et très fébrile.

Le lendemain matin, à 7 h 30 j’arrive à l’école. Le directeur m’indique ma nouvelle classe. L’école est déserte, aucunenseignant n’est encore là. Je n’ai pas fait le tour des lieux encore. Sur les murs de l’école, plusieurs symboles autochtones ont été peints. Je me sens loin de chez moi, mais déjà mon lieu d’accueil me fascine.

Une fois rendue dans ma classe, il reste 15 minutes pour me préparer. Je dépose mon sac et je sors mes crayons. 8 h, mes élèves entrent. Je n’ai pas eu le temps de jeter un coup d’œil au matériel de la classe. J’ai l’impression d’arriver comme un cheveu sur la soupe, à vrai dire je ne suis pas préparée. Je cherche la liste de noms de mes élèves. Il n’y en a pas. Certains de mes élèves ont des noms que je n’ai pas l’habitude d’entendre : Mikonik, Wapikoni, Saki-Wapan, Tanya-Lee, etc. J’ai 23 élèves. Ils parlent atikamekw, je suis leur première enseignante uniquement francophone, on ne se comprend pas très bien.

Intérieurement, je vis un choc. C’est le choc culturel, le choc du nouveau logement, le choc d’arriver si vite sans préparatifs, le choc de me retrouver seule dans ce nouveau milieu. Les élèves aussi sont sous le choc. Ils doivent bien se demander ce que je fais ici. La situation dérape rapidement. Je n’ai pas hérité de la classe la plus facile. Un élève se couche par terre et il jette ses livres par la fenêtre. D’autres élèves courent dans le corridor. Je ne sais pas comment réagir.

Je remets soudainement en question la raison pour laquelle je suis ici. Je regarde par la fenêtre de ma classe, j’aperçois presque ma voiture au loin. Je tiens mon sac d’école dans ma main, j’ai la gorge serrée, je retiens mes larmes. Dois-je partir ? Je prends une grande respiration, une idée me traverse l’esprit et je demande de dessiner quelque chose qui les représente. Je circule dans la classe et je vois se tracer sur leur feuille des loups, des capteurs de rêve, des roues de médecine, des pattes d’ours, etc. Mon cœur fait un bond. Je réalise que je suis dans la culture atikamekw. Je sens un grand désir de les connaître davantage et de persévérer. Je suis au bon endroit, je reste.

Les semaines qui suivent sont d’abord chaotiques. Après chaque journée, des morceaux de papier traînent sur le sol. Lorsqu’une enseignante spécialiste utilise notre classe, je range tout dans mon placard, car les objets disparaissent ou se font briser. Gagner la confiance de mes élèves devient prioritaire. Le changement n’est d’abord pas visible, mais chaque jour un petit quelque chose s’améliore.

Chaque matin, je vais chercher mes élèves dans la cour d’école et je jette un coup d’œil sur le lac. Il brille de sa quiétude au milieu de cette communauté de 2 200 âmes.

Le contempler me rappelle de voir plus grand que les petits problèmes et de mettre l’accent sur tout ce que j’apprends, jour après jour. Ce moment est aussi un rendez-vous avec certains de mes élèves qui viennent me rejoindre dès mon arrivée. On discute de tout et de rien ainsi que de la vie à la maison. Cela nous permet de débuter la journée du bon pied.

Le soir, après les classes, je vais dans la forêt. Je pars marcher dans un magnifique sentier qui longe le lac. Je me sens au milieu de la nature, loin des centres urbains et c’est une sensation qui me fait un grand bien. Je trouve réconfort auprès des arbres et cela me permet de contrer la solitude. Au milieu de la forêt, je recherche des solutions à mes préoccupations, à mes difficultés et à mes questionnements.

Même si parfois je me sens fatiguée et à cours de solution, mon cœur se réjouit de découvrir un nouveau milieu, d’apprendre à connaître mes élèves et de me lier d’amitié avec d’autres enseignant-e-s. Avec le temps, je découvre l’humour atikamekw et j’apprends à l’utiliser dans mon enseignement. Je dédramatise les codes de conduite et je deviens plus flexible. J’apprécie de plus en plus le sentiment de liberté qu’il y a ici. Par exemple, les enfants qui se rassemblent et jouent librement dehors me rappelle mon enfance. Je découvre également l’esprit de communauté dans le village, comme les soirées de bingo animées à la radio communautaire où le débitage d’un orignal fait sur un camp familial. Je participe à quelques cérémonies de pleine lune ainsi qu’à une loge de sudation. Progressivement, je comprends mieux la culture et je m’y adapte. Lorsque je me promène dans le village, les enfants commencent à me reconnaître et m’interpellent dans les rues.

Dans la classe, pour établir un climat positif, nous faisons plusieurs activités de plein air : glissade en hiver, traversée du lac en raquettes, jeux de bois en forêt, feu de camp, pêche sur glace, etc. Nous accueillons des invitées : Annie avec ses plantes, Magali avec ses contes Kamishibaï, Emilia et son pays d’origine le Mexique, etc. Bref, j’essaie de dynamiser la classe et de motiver les troupes. Il y a aussi l’aide d’une collègue atikamekw qui nous accompagne quelques jours. Elle nous fait vivre des ateliers de perlage et pour Noël elle invite un membre de sa famille, un gigueur de Manawan. Une brigadière de l’école m’aide aussi dans la gestion du comportement de certains élèves. Lorsque le bruit s’intensifie, elle arrive à notre secours et dès qu’elle met le pied dans la classe, plus personne n’ose bouger.

Je trouve aussi des solutions à certains problèmes. Un jour, j’avertis la direction et je renvoie à la maison celles et ceux qui sortent sans permission courir dans le corridor. Je donne le droit de réintégrer la classe que s’ils-elles sont accompagné-e-s d’un parent. Après cet épisode, plus personne ne sort sans permission. Un autre jour, j’entre dans la classe après m’être absentée la journée précédente, c’est un vrai fouillis. Les bureaux sont sans dessus-dessous et il y a des déchets qui traînent. Je leur donne cinq minutes pour ramasser, je sors de la classe et je referme la porte. De l’autre côté, j’entends les élèves qui s’activent et le bruit des pattes de bureau qui glissent sur le plancher. Lorsque j’entre à nouveau, tout est impeccable. Petit à petit, nous commençons à marcher dans la même direction. Avec le temps, je n’ai plus besoin de tout ranger dans le placard verrouillé à clef. Je sens qu’un sentiment d’appartenance se développe et un lien se tisse entre les élèves et moi.

Un soir, en revenant de l’école, je découvre un message sur un bout de papier qu’une élève avait glissé dans mon sac d’école. Elle me demande de l’amener à Montréal une fin de semaine. Je suis attendrie. Je réalise que notre adversité s’est transformée en une aventure humaine de riches découvertes et de partages. À la fin de l’année, mes élèves me supplient pour que je les suive en 6e année. Nous sommes devenus des alliés et nous apprécions maintenant nos différences. Finalement, je décide de rester en 5e année l’année suivante et mes nouveaux élèves ont été tout aussi adorables.

Ces deux années d’enseignement à Manawan furent un riche apprentissage culturel. Qu’est-ce que la culture atikamekw ? c’est la langue maternelle de mes élèves, l’atikamekw ; c’est les tambours et les chants que les élèves écoutent sur Youtube pendant une période libre ; c’est une élève qui affirme fièrement qu’elle est atikamekw ; c’est la bannique, le doré et les bons beignets que mes élèves mangent en se réunissant au camp familial ; c’est un élève qui arrive en retard parce qu’il est allé poser des collets à lièvre avec son grand-père ; c’est un bâton de foin d’odeur qui traîne dans le fond du tiroir de bureau de chaque enseignant-e ; c’est faire brûler de la sauge dans une école pour purifier les énergies ; c’est les boucles d’oreilles perlées reçues en cadeau à Noël ; c’est les chiens qui se promènent en liberté dans la communauté ; c’est faire un concours de « call d’orignal » pour la rentrée scolaire. La liste est très longue. Mais surtout, la culture atikamekw, c’est ce que mes élèves ont incarné dans ma classe, jour après jour, en restant authentiques et fidèles à eux-mêmes. En m’ouvrant leur coeur, ils m’ont permis de les connaître. Pour cela, j’ai énormément de gratitude.

Depuis mon retour dans les écoles allochtones, j’ai partagé mon expérience de Manawan avec mes nouveaux élèves. J’ai remarqué chez plusieurs une grande fascination et un grand étonnement de découvrir les Autochtones d’ici. Certains sont même surpris d’apprendre que les Amérindiens sont toujours vivants au Québec. C’est donc un grand constat : ce que les élèves apprennent dans les manuels scolaires n’est pas suffisant. Pour y remédier, je désire créer dans nos écoles des espaces d’échange pour accueillir des personnes issues des Premières Nations. Je souhaite que les élèves allochtones rencontrent des membres des populations autochtones et prennent conscience de leur richesse culturelle. D’ailleurs cet objectif est d’actualité et rejoint celui de l’appel 62 du Comité vérité et réconciliation du Canada*.

Aujourd’hui, c’est en portant dans mon cœur mes élèves de Manawan que je trouve la motivation d’agir pour créer un pont avec leur nation. Pour cela, je m’engage à défendre un programme d’éducation aux cultures autochtones dans le cursus scolaire québécois.

*Appel 62 du Comité vérité et réconciliation du Canada : « Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, en consultation et en collaboration avec les survivants, les peuples autochtones, et les éducateurs, de rendre obligatoire, pour les élèves de la maternelle à la douzième année, l’établissement d’un programme adapté à l’âge des élèves portant sur les pensionnats, les traités de même que les contributions passées et contemporaines des peuples autochtones à l’histoire du Canada. »

Crédit photo : Serge Denoncourt/La communauté atikamekw de Manawan



À l'action !

Partager cet article sur Facebook et Twitter

Nous vous invitons à ajouter le hashtag #JQSI2018 à votre commentaire et mettre le statut de ce partage public.

FERMER

Informez-vous en vous inscrivant à l’infolettre de l’AQOCI

Ministère des relations internationales (MRI)
Ministère des relations internationales (MRI)
Association québéboises des organismes de coopération internationale (AQOCI)

1001, rue Sherbrooke Est, bureau 540
Montréal (Québec) H2L 1L3
Tél. : 514 871-1086
aqoci@aqoci.qc.ca