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La solidarité citoyenne au secours de l’éducation publique

Pascale Grignon

Membre du comité organisateur du mouvement Je protège mon école publique Avec la collaboration du comité organisateur du mouvement

Le 1er mai 2015, des parents, des élèves, des enseignantes et des enseignants, bref, des citoyennes et des citoyens se sont tenu la main autour de quatre écoles québécoises pour protester contre les coupes effectuées par le gouvernement du Québec dans le budget de l’éducation.

Le 1er mai 2015, des parents, des élèves, des enseignantes et des enseignants, bref, des citoyennes et des citoyens se sont tenu la main autour de quatre écoles québécoises pour protester contre les coupes effectuées par le gouvernement du Québec dans le budget de l’éducation. Un an et demi plus tard, un total de 125 000 participantes et participants s’étaient tenu la main devant plus de 600 écoles situées dans 16 des 17 régions administratives de la province, soit 1 école sur 4. Une mobilisation de parents historique ! Ce mouvement citoyen, démontrant une solidarité rarement vue de façon aussi explicite, a obligé le gouvernement à reconnaître l’importance accordée par les Québécoises et Québécois à l’éducation, et plus spécifiquement à leur système d’éducation publique mis à mal par des années de compressions En effet, depuis trop longtemps, le gouvernement a négligé l’école publique. Elle fait l’objet d’une dévalorisation et d’une négligence honteuses. Plus encore, les coupes sévères effectuées entre 2010 et 2016 ont aggravé la situation. Les conséquences sont nombreuses(1) :
- élèves recevant moins d’attention du corps enseignant à cause de l’augmentation du nombre d’élèves par groupes dès la 3e année et dans les milieux défavorisés ;
- moins de soutien pour les élèves étant donné l’intégration des enfants en difficulté dans les classes ordinaires sans soutien de personnel spécialisé, l’abolition de postes de professionnels (psychoéducatrice-teur-s, éducattrcie-teur-s spécialisé-e-s, orthopédagogues et orthophonistes) dans les écoles, et ce, malgré l’accroissement de la population et l’intégration d’élèves en difficulté dans les classes ordinaires, l’abandon du ratio particulier pour les élèves en difficulté et les élèves des classes d’accueil ;
- élèves stressés par une surpopulation généralisée. Le nombre d’écoles dont la capacité d’accueil est largement dépassée est effarant. L’optimisation du nombre d’élèves par classe après le début de l’année scolaire engendre des pertes d’emplois, une importante rotation du personnel enseignant et beaucoup d’anxiété pour les élèves et le personnel enseignant. La négligence dans l’entretien des bâtiments et le manque de moyens pour rénover ou agrandir les bâtiments existants contribue au problème, tout comme le grand nombre de projets d’agrandissements ou de construction délaissés ou refusés.(2)
- abandon de programmes d’aide aux devoirs et d’aide alimentaire, essentiels pour beaucoup d’élèves parmi les plus démunis ;
- frais supplémentaires créant un casse-tête pour tous les parents : augmentation substantielle des frais du service de garde, du matériel scolaire, abolition du transport scolaire, etc.
- taux de décrochage scolaire inquiétant, taux d’analphabétisme inacceptable ;
- taux alarmant d’abandon de la profession par les enseignantes et les enseignants, tout particulièrement au début de leur carrière.

L’école publique, pour un société plus solidaire et juste

Or, l’école publique québécoise doit être une école équitable, stimulante, innovante, motivante, qui donne le goût d’apprendre et de se dépasser à tous et à toutes, peu importe leur origine, leur classe sociale ou la région où ils habitent. Les indicateurs de performance doivent bien sûr permettre de quantifier la réussite scolaire (taux
de diplomation, résultats scolaires, etc.) afin de se doter des outils nécessaires à la formation de la main d’oeuvre et de contribuer ainsi à la bonne marche de l’économie, mais c’est loin d’être une finalité, au contraire !

L’éducation est un moteur de développement individuel et social : elle forme des citoyennes et citoyens éduqué-e-s, compétent-e-s, confiant-e-s, indépendant-e-s financièrement et aptes à enrichir la collectivité, et pas seulement sur un plan économique. Elle permet aussi et surtout l’épanouissement individuel, elle favorise
l’équité sociale et la démocratie, en plus de lutter contre les inégalités sociales. Elle facilite le développement du sens critique qui habilite chacun à prendre des décisions personnelles et collectives éclairées. Le monde de l’emploi nécessite désormais beaucoup plus de compétences en lecture fonctionnelle et en traitement de l’information, plus de capacité d’adaptation et plus de créativité. L’école doit préparer les futur-e-s travailleuses et travailleurs à ces réalités au lieu de les former pour des emplois qui n’existeront probablement plus au moment de leur arrivée sur le marché du travail. L’école permet également l’amélioration des conditions socioéconomiques, mais aussi des conditions de vie et de travail pour les individus, leurs familles et la
société en général.

L’école publique doit maximiser les talents de nos citoyennes et citoyens en devenir, peu importe leur origine, leur milieu de vie, leurs difficultés, leurs particularités ou leur parcours. Elle doit aussi intégrer et valoriser les communautés culturelles tout en créant un bagage culturel commun, elle doit permettre à toutes et à tous de se réaliser et ainsi de contribuer à l’indice de bonheur national brut tout autant qu’au produit national brut. Elle est aussi un formidable levier pour à la fois accroître les revenus du Québec et améliorer le climat social et l’état de santé général de la population. Bref, c’est l’atout numéro un pour permettre le développement du Québec et assurer son avenir. L’éducation doit donc ABSOLUMENT, VRAIMENT et CONCRÈTEMENT être la priorité du gouvernement.

Depuis septembre 2015, le vent a commencé à tourner, entre autres grâce à la mobilisation initiée par le mouvement Je protège mon école publique. L’éducation primaire et secondaire est alors devenue l’un des principaux sujets d’actualité ; une nouveauté. Les Québécoises et les Québécois ont pris conscience de son sous-financement chronique puis accéléré qui ne lui permet plus de remplir sa mission adéquatement ‒ 86% se sont d’ailleurs prononcés pour un réinvestissement massif en éducation en mai 2016(3). Toutes et tous s’accordent désormais sur le fait que les répercussions des coupes dans les écoles sont dramatiques. Nous voulons que ça change.

La valorisation de la solidarité comme valeur commune pourrait être une façon de mobiliser la communauté autour de l’école, et grâce à celle-ci. En effet, pour réussir, chaque élève a besoin de l’appui de sa famille et de sa communauté, bref, de son “village”, comme le dit l’adage. Envisager l’école comme un écosystème, c’est se rendre compte qu’elle est aussi un lieu d’engagement social, et que cet apport des divers milieux lui donne aussi mille occasions de se réinventer. Reconnaître la contribution possible de tous les acteurs de la société, c’est aussi une façon de valoriser l’école, d’y faire vivre des expériences positives à tous ‒ c’est un cercle vertueux, qui favorise l’entraide, la complémentarité, et nous éloigne de la gestion par silos. En favorisant des maillages avec d’autres acteurs de la société, l’école peut mettre en valeur ces acteurs, qui vont progressivement enrichir le milieu de l’éducation :

- les organismes communautaires et les milieux artistiques, sportifs, environnementaux et de la santé contribuent à ouvrir les horizons des élèves ;
- les entreprises ont tout à gagner à participer à la vie scolaire, de manière éthique, au-delà des enjeux liés au recrutement de la main-d’oeuvre, pour faire découvrir des métiers aux élèves, et stimuler leur réflexion sur leur avenir et leurs choix de carrière ;
- favoriser les interactions sociales, créer des lieux d’échange, partager des bâtiments, cela peut aussi contribuer à régler plusieurs problèmes.

Dans cette optique, nous souhaitons que l’éducation devienne une valeur transversale pour l’ensemble du Québec. Il faut (ré)affirmer l’importance de l’éducation comme valeur, mais aussi comme responsabilité primordiale de notre société, et que tous les acteurs, peu importe leur fonction, jouent un rôle dans la promotion de l’éducation.

Une obligation de financement adéquat de l’éducation par le gouvernement est essentielle. On ne peut plus jouer au yoyo avec l’avenir de nos enfants. Il faut assurer un financement adéquat et constant pour fournir les services requis pour répondre aux besoins de chaque élève. Car sans argent, les professionnelles et professionnels pour aider les élèves en difficulté ne sont pas engagé-e-s en nombre suffisant, les services aux élèves sont réduits, les bâtiments sont négligés, les mesures d’optimisation des classes cachent l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Il faut investir en éducation sans plus attendre, pour ne pas fragiliser (davantage) les générations actuelles d’élèves. Une cohorte complète d’élèves du primaire a déjà fait les frais de ces compressions et ce désengagement, il est inadmissible que d’autres générations en paient aussi le prix.

Il y aurait également lieu d’ouvrir la discussion autour de la structure même du système d’éducation, qualifiée de « plus inéquitable au Canada » par le Conseil supérieur de l’éducation du Québec à cause de ses trois vitesses (l’école publique qui accueille tous les élèves, l’école publique avec projet ou volet particulier qui sélectionne les élèves, et l’école dite privée mais largement financée par les deniers publics). Peut-être est-il venu le temps de lancer un nouveau chantier sur l’éducation au Québec...

Malgré les nombreux défis qui continuent de guetter notre école publique québécoise, il est rassurant de constater que la solidarité a joué un rôle de premier plan pour la défendre au cours des dernières années. La participation même des élèves dans les chaînes humaines protégeant nos écoles de l’austérité pourrait être la graine d’une prise de conscience pour ces jeunes de leur capacité d’action et du pouvoir des citoyens lorsqu’ils agissent de concert pour protéger leurs valeurs communes. Et s’il s’agissait des prémices d’une génération véritablement engagée et prête à prendre action pour défendre ses idéaux ?

Notes :

(1) Soulignons que, dans une étude réalisée auprès du personnel de direction d’école à travers le Québec à l’automne 2015, il appert que 87 % des directions d’école considèrent que leur établissement scolaire manque de ressources ; pour 85 % d’entre elles, la situation actuelle dans le milieu scolaire est alarmante ; 82 % évaluent qu’elles ne disposent pas présentement des ressources financières nécessaires pour répondre aux besoins de leurs élèves, et 86 % estiment que les compressions auront des impacts importants sur les générations futures. En effet, par manque de ressources, les directions d’école ont dû réduire : le nombre d’heures de professionnels (76 % des directions) ; l’achat de matériel didactique (70 % des directions) ; l’aide aux devoirs (59 % des directions) ; les ressources pour les activités parascolaires (56 % des directions).
SOURCE : Léger Recherche Stratégie Conseil (octobre 2015 [projet 15438-001]). Les enjeux en éducation. Étude réalisée auprès du personnel de direction d’établissements scolaires du Québec, pour le compte de l’Association québécoise du personnel de direction des écoles (AQPDE), de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES) et de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), http://www.amdes.qc.ca/assets/docs/rapport_AMDES_FQDE_AQPDE_CP.pdf.

(2) Des milliards de dollars en déficit d’entretien ont été cumulés pour les écoles par les commissions scolaires, comme à la Commission scolaire de Montréal (CSDM), dont 9 écoles sur 10 obtiennent la pire note possible lorsque l’on évalue leur état.

(3) Sondage Crop réalisé du 8 au 10 mars auprès de 1000 adultes francophones, commandé par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).



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