Dans le cadre des Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI) le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) a souhaité réfléchir sur la marginalisation de l’information sur l’Afrique dans les médias " grand public ".
Un texte signé Nicole de Sève, militante au CISO.
La couverture médiatique internationale
Si nous examinons les médias électroniques francophones du Québec, le temps alloué aux questions internationales est souvent très bref. On ne peut pas sousestimer le fait que les médias sont des entreprises commerciales qui répondent aux lois du marché. Le temps et l’argent alloués à l’information internationale sont tributaires de ce projet commercial.
En 2011, Influence communication, qui produit régulièrement des analyses des médias à travers le monde, avait évalué que le contenu de tout ce qu’on rapporte en une année dans les médias au Québec sur les questions internationales équivalait à seulement 4 épisodes de Tout le monde en parle. De plus, l’espace accordé aux enjeux internationaux est très concentré chez deux principaux médias québécois francophones. En effet, 82% de l’information internationale
diffusée au Québec est produite par Radio-Canada et La Presse.
Prenons le cas de Radio-Canada : les grandes émissions télévisées consacrées à ces enjeux, comme Une heure sur terre, ont disparu. Par contre, la radio fait encore une place à l’émission L’heure du monde, en semaine, tandis que Désautels le dimanche consacre plusieurs segments aux questions internationales. Il y aussi le carnet international de François Brousseau à Midi info. Mais ces émissions ne sont pas parmi les plus écoutées au Québec et leur rayonnement est limité.
Radio Canada international, site plurilingue, sauve la donne chez le diffuseur public mais son auditoire est très restreint. Dans un tel contexte, on comprend que les diffuseurs privés ne se bousculent pas au micro et ne se déploient pas sur le terrain à l’international. Pour obtenir des informations internationales, il faut donc se tourner vers les médias étrangers comme TV5 Monde, qui présente quotidiennement le JT Afrique, ou encore s’abonner à des chaînes internationales comme la BBC.
Plusieurs médias écrits, notamment la Presse, ont très souvent recours à leurs journalistes locaux envoyés en mission et qualifiés « d’envoyés spéciaux. » Le Devoir, seul quotidien francophone indépendant, n’a qu’un seul correspondant étranger, Christian Rioux et il est à Paris. Il y a eu pendant quelques années un correspondant en Inde, mais plus maintenant. Encore là, les enjeux financiers dictent les décisions d’avoir ou non des journalistes québécois, correspondants étrangers.
L’information internationale dans les médias écrits et électroniques (sur leur site web) est très souvent tributaire des agences de presse : l’AFP (l’Agence France presse), Reuters (de la Grande Bretagne) et l’AP (Associated Press) des ÉtatsUnis. Leurs dépêches constituent la ‘’sève nourricière’’ de la quasi-totalité des médias internationaux. Scoops et dépêches se succèdent à un rythme effréné.1
Les médias utilisent aussi des journalistes étrangers qualifiés de
« collaborateurs spéciaux ». Sans préjuger de la compétence de ces journalistes, bien souvent leur connaissance et/ou leur enracinement dans ces pays peut être sommaire et ne permet pas nécessairement de tracer les liens entre la politique canadienne, les sensibilités québécoises à ces questions et les enjeux exposés par leur reportage ou leur article. Encore une fois, les personnes intéressées par
les enjeux internationaux doivent, pour s’informer, naviguer sur le web ou consulter les médias étrangers. Cette dépendance à l’égard de ces agences internationales nous prive d’un regard canadien ou québécois face à la situation décrite.
On invoque souvent le non intérêt des gens pour les questions internationales. Il y a du vrai dans cela. Mais comme le signale Fred Dubé, porte-parole des JQSI, « Oui les gens manquent de temps pour s’informer, mais lorsqu’on leur présente des clips comme « comprendre le monde en 75 secondes », il y a lieu de se poser des questions sur le fait qu’on prend moins de temps pour aider à comprendre le monde que de cuire une pizza pochette. »
La marginalisation de l’Afrique
La représentation de ce continent dans les médias occidentaux est un enjeu depuis les années 70. Prenons à nouveau l’exemple de Radio-Canada : notre diffuseur public a huit correspondants étrangers, principalement à Paris, à Washington, à Pékin et au Moyen Orient, mais aucun en poste en Afrique subsaharienne et ce, depuis 2009.
On parle de ce continent lorsqu’il y a une guerre civile, un attentat terroriste, un putsch militaire, une catastrophe humanitaire ou écologique. Les conflits et les catastrophes naturelles se retrouvent souvent en concurrence pour obtenir de la visibilité. La majorité des reportages sont catastrophiques comme si c’était là le seul visage de l’Afrique.
Dans son blogue rédigé en avril 2013, Sophie Langlois, journaliste de RadioCanada en poste en Afrique jusqu’en 2009 et auteure d’un livre magnifique Lumières d’Afrique, écrivait :
« L’Afrique ne se vend pas. L’international attire de faibles auditoires, malgré nos prétentions d’ouverture sur le monde. Dès qu’un sujet international est en ondes, l’Afrique-peut-t-elle-relever-le
il est frappant de voir les cotes d’écoute chuter. Quand le reportage est tourné en Afrique, la dégringolade est assurée, à de rares exceptions près. »
Selon elle « Le temps manque. L’argent aussi. L’Afrique est pauvre, mais elle coûte cher. Il faut aussi prendre le temps d’écouter les Africains. Or, ils parlent lentement et nos bulletins de nouvelles ont de moins en moins de temps. La publicité et les sujets de « proximité » laissent peu d’espace pour le reste du monde. Et quand on regarde ailleurs, on aime mieux les histoires sur les « riches
et célèbres » que celles sur le tiers-monde. »
Les préjugés et les stéréotypes dans les représentations médiatiques de l’Afrique influencent négativement les représentations que se fait la population sur le sujet. Le mauritanien Abdallah Ahmedou Ould a été le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Burundi, de novembre 1993 à octobre 1995. Il a été l’un des spectateurs privilégiés de l’attitude et du raisonnement des
journalistes occidentaux dans un pays qui focalisait l’attention : " On arrive toujours quelque part avec des préjugés. En Afrique, surtout lorsqu’il y a crise, les journalistes néophytes ont la conviction de débarquer dans des pays arriérés, violents, peuplés d’incompétents et de sauvages.2 »
Ce jugement est extrêmement sévère mais l’impact social de ces constructions négatives ne fait pas de doute. Les médias sont dans notre société les instruments principaux de la construction de nos représentations ; ils sont ce que plusieurs appellent des « faiseurs d’opinion. » L’effet de ces représentations est d’autant plus préoccupant parce qu’elles nuisent aux efforts de développement de l’Afrique. En fait, comme le signale l’AQOCI, quand entend-on
parler des projets de coopération internationale, des progrès réalisés pour combattre la pauvreté des femmes et appuyer leur autonomie, de la mise en œuvre de mesures pour contrer les mortalités infantiles, des initiatives pour stimuler l’autonomie économique des personnes ? Quand nous parle-t-on des réussites des Africaines et des Africains ? Rarement. On se prive ainsi d’une connaissance essentielle à la compréhension du monde.
1
http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/invasion-des-m-dias-occidentaux-l-afrique-peut-t-elle-relever-le
2
Dupaquier, Jean-François (2012), « Informer sur l’Afrique », Mouvements. No 21/22, Mai/août.
http://www.les-renseignements-genereux.org/ressources/1044?themeId=6324