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Comment parler d’avenir aux jeunes ? Pour une pédagogie de l’espoir…

Véronique Brouillette

Conseillère à la Centrale des syndicats du Québec

Article paru dans la revue Vie pédagogique, no 154, mai 2010 à la suite du colloque « Comment parler d’avenir aux jeunes ? » organisé par le mouvement des Établissements verts Brundtland de la CSQ

Pour une pédagogie de l’espoir...

Observer la réalité, aujourd’hui, c’est faire le constat que la Terre et ses habitant-e-s sont malmenés : pauvreté, pollution, changements climatiques, crise de l’eau, crise du pétrole, crise alimentaire, inégalités, guerres, la liste pourrait être longue… Analyser cette réalité est autrement plus complexe, puisque tous ces problèmes, d’envergure planétaire et imbriqués les uns dans les autres, auront des répercussions sur les générations futures. Dans ce contexte, comment parler d’avenir aux jeunes sans tomber dans les discours alarmistes ou sombrer dans le cynisme ? Comment leur donner le goût de s’engager pour un avenir viable et de contribuer à transformer notre réalité, à agir concrètement pour bâtir un monde meilleur ?

Étrangement, la question des impacts des crises sur la santé physique et psychologique des jeunes est très peu documentée, comme le faisaient remarquer Richard Kool et Elain Kelsey, de la Royal Roads University, en 2005 (1). Ces derniers notaient également que le terme espoir était pratiquement absent de la revue de littérature anglophone en éducation relative à l’environnement. Est-ce parce que la notion d’espoir ne revêt pas un caractère assez scientifique pour l’étudier ? Pourtant, il s’agit là d’une question fondamentale pour quiconque travaille en éducation, en environnement, en éducation relative à l’environnement ou pour toute autre personne qui croit qu’un autre monde est possible. Inspirés des travaux de ces chercheurs, le mouvement des Établissements verts Brundtland et la Fondation Monique-Fitz-Back pour l’éducation au développement durable (2) ont invité des spécialistes, des éducateur-rice-s et des organismes de tous horizons à se pencher sur ce sujet, en organisant le colloque « Comment parler d’avenir aux jeunes ? », en février 2009 (3). Un des objectifs du colloque était de construire ensemble les fondements d’une nouvelle pédagogie, la pédagogie de l’espoir. Le colloque s’est décliné selon les trois principaux temps de la pédagogie de la conscientisation de Paolo Freire : observer la réalité, l’analyser et la transformer.

Observer la réalité : l’avenir vu par les jeunes

Nous vivons actuellement une crise environnementale sans précédent. Les scientifiques et les expert-e-s peuvent nous le démontrer, preuves à l’appui. La planète se réchauffe, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, des catastrophes climatiques sont à prévoir, la planète étouffe. C’est un fait difficile à contester, les médias, groupes environnementaux et éducateurs sont là pour nous le rappeler. Dans ce climat d’incertitude, quelles sont les attitudes des jeunes à l’égard de l’environnement ? Quelle est leur vision du monde ? Est-elle fondée ? Sont-ils optimistes ou pessimistes face à l’avenir ? Comment évaluent-ils l’état de l’environnement et croient-ils qu’il peut s’améliorer ? Pour répondre à ces questions et mieux connaître les préoccupations des jeunes sur le sujet, la Fondation Monique-Fitz-Back a effectué –avec l’aide de Gilles Pronovost, professeur émérite de l’Université du Québec à Trois-Rivières ayant réalisé plusieurs études sur les valeurs des jeunes – une vaste enquête auprès de 3 000 élèves québécois de la 5e année du primaire à la 5e année du secondaire (4).

On y apprend que les jeunes sont pessimistes quant à l’avenir. La majorité des répondant-e-s estiment que dans vingt ans, la situation sera pire, quel que soit le thème proposé : pollutions diverses, changements climatiques, épuisement des ressources, etc. Moins de la moitié (43 %) se disent « confiant-e-s » ou « très confiant-e-s » relativement à ce que sera le monde dans vingt ans. Quant au rôle des personnes ou institutions, aux yeux des jeunes, ce sont les groupes environnementaux qui posent le plus de gestes pour préserver l’environnement. Une faible majorité reconnaît les efforts de leur école, qui arrive au deuxième rang. Le tiers des répondant-e-s portent un jugement favorable envers leurs parents, mais ils sont très critiques à l’égard des jeunes de leur âge, des adultes et des médias. Les gouvernements et les entreprises se situent très bas dans leur évaluation.

Dans une répartition selon les sexes, l’analyse des données montre que les filles sont généralement plus pessimistes que les garçons. D’autre part, l’indice de confiance en l’avenir du monde chute de moitié entre 10 et 17 ans et les jeunes sont aussi plus critiques par rapport à leurs semblables en vieillissant. Mais ce sont les plus jeunes qui sont les plus préoccupés par les questions environnementales et ils sont plus nombreux à déclarer que leur école leur permet de participer à des activités de nature environnementale.

On constate heureusement qu’ils croient qu’il est possible de poser des gestes individuels ou collectifs, 95 % étant tout à fait d’accord ou d’accord avec l’affirmation :
« L’environnement peut s’améliorer beaucoup si les individus changent leurs habitudes de consommation. » Les jeunes reconnaissent aussi le rôle de l’éducation et de leur école, 77 % estimant que, « pour améliorer l’environnement, les gens ont besoin de plus d’information et d’éducation » et 73 % affirmant que « l’on parle souvent d’environnement dans le contexte de différents cours à l’école ».

Fait intéressant, les jeunes qui déclarent que leurs parents font des gestes concrets à l’égard de l’environnement se déclarent plus optimistes par rapport à l’avenir, ils - elles se disent plus préoccupé-e-s par les questions environnementales et sont deux fois plus nombreux-euses à juger « très important » de se sentir utiles à la société quand ils-elles seront adultes. On observe aussi que les jeunes qui sont plus actif-ve-s sur le plan culturel ou en matière d’activités physiques ont plus de chances d’être plus actif-ve-s et conscient-e-s à propos des questions environnementales.

Les résultats de ce sondage nous montrent que les jeunes sont conscient-e-s des problèmes environnementaux qui les entourent ; mais ils-elles sont réalistes, voire plutôt pessimistes, quant à l’avenir de la planète. Ils-elles posent un jugement généralement négatif sur le niveau de conscience environnementale et d’implication des jeunes de leur entourage. Le portrait n’est toutefois pas si sombre, car ils-elles croient qu’il est encore temps de changer les comportements pour améliorer la santé de la planète.

Analyser la réalité : des pistes pour une pédagogie de l’espoir

L’avenir préoccupe les jeunes. On peut s’en inquiéter, mais on peut s’en réjouir aussi : ils-elles sont conscient-e-s du monde dans lequel ils-elles évoluent. Mais concrètement, que pouvons-nous faire en tant qu’éducateur-rice-s, ou simplement en tant qu’adultes, pour éviter le piège du cynisme ou du défaitisme ? Comment sensibiliser les jeunes aux problèmes environnementaux de façon réaliste tout en leur donnant l’espoir de pouvoir faire. S’intéresser à l’environnement, c’est voir au respect de la nature et, par le fait même, combattre les menaces réelles qui planent sur son équilibre. Dès lors, on affronte une réalité empreinte de dangers, de menaces et de pertes : dégradation de l’environnement, sécheresses, famines, pollution, épidémies, toxicité, contamination, appauvrissement, maladies, espèces en voie de disparition, déchets, catastrophes naturelles, etc. Ces problèmes suscitent des émotions, des réactions de crainte et d’angoisse. Or, avant Kool et Kelsey, très peu de chercheur-e-s s’étaient penché-e-s sur les conséquences émotionnelles de la crise environnementale. Pourtant, même si on souscrit au principe voulant qu’on évite de parler de tragédies à des enfants de dix ans ou moins (5), force est de constater que les questions environnementales peuvent perturber les jeunes et même les adultes.

Dans la conférence qu’il prononçait au colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ?, Richard Kool comparait la réaction de l’humain face à la peur à celle de l’animal : devant le danger, ce dernier se bat, fuit ou paralyse. L’inaction ou la négation des problèmes est une forme de paralysie ; or l’état de paralysie crée un sentiment d’impuissance. Fuir les problèmes ? Pour aller où ? Les problèmes environnementaux sont planétaires… La seule solution est de lutter, de se battre. Mais se battre contre qui, et contre quoi ? Quand le danger est près de nous, on peut réagir rapidement. Par contre, s’il semble plus loin, on a le temps de réagir, de planifier la lutte. Les jeunes n’ont pas à porter le poids des problèmes mondiaux, mais ils doivent savoir qu’ils font partie de la solution. Comme éducateur-rice-s, nous devons dire aux jeunes que leurs efforts sont efficaces, qu’ils portent fruit. C’est l’impression d’inefficacité qui mène au sentiment d’impuissance et à l’apathie.

Diane Pruneau, professeure à l’Université de Moncton, a qualifié ce sentiment d’impuissance exprimé par les jeunes de « faible autoefficacité collective », l’autoefficacité étant définie comme « la croyance partagée par un groupe en ses capacités conjointes d’organiser et d’exécuter les actions nécessaires pour produire un niveau donné de réalisations » (6). Selon Madame Pruneau, une des solutions pour renforcer l’espoir chez les jeunes serait de développer chez ces derniers une autoefficacité collective résiliente. Elle suggère de leur fournir l’occasion de poser un geste pour l’environnement (nettoyer les berges d’une rivière, faire un jardin dans la cour d’école, ou tout autre projet de ce type), de souligner le succès de cette action, de présenter des modèles significatifs de groupes qui ont réussi une action environnementale, d’encourager la pensée positive (tous les petits gestes comptent, c’est nous qui avons créé les problèmes environnementaux, nous pouvons les résoudre), ainsi que de développer leurs compétences environnementales (pensée prospective, résolution créative de problèmes, etc.).

Thérèse Baribeau, cheffe du Musée de l’environnement, à la Biosphère d’Environnement Canada, s’est aussi intéressée au concept de la résilience dans son approche de l’éducation relative à l’environnement et dans sa contribution à la construction d’une pédagogie de l’espoir. La résilience, concept popularisé par le psychiatre Boris Cyrulnik, a été définie par Christine Genest comme la « capacité de rebondir, de croître ou d’apprendre lorsque confronté à une situation perçue comme un défi ou provoquant un stress nécessitant une mobilisation d’énergie » (7). Elle croit que, les attributs de la résilience sont la perception de contrôle sur la situation, la souplesse, l’ouverture vers le futur, les attitudes prosociales et la capacité à donner un sens à l’expérience. L’espoir, quant à lui, permet de fixer des buts, de se projeter dans le futur et de faire des plans, tout en procurant un sentiment de sécurité. L’espoir est nécessaire à la résilience. Il revient donc aux adultes et aux éducateur-rice-s de transmettre ce sentiment d’espoir, de susciter une confiance en nos capacités et habiletés et dans les ressources qui nous entourent, de penser à l’avenir et de favoriser une issue favorable. Une des façons les plus efficaces de susciter cet espoir créateur est de mettre les jeunes en action et de « construire l’espoir avec lucidité », comme le propose Lucie Sauvé dans son approche de l’éducation relative à l’environnement.

Transformer la réalité : passer de la parole à l’action

Au terme du colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ?, un comité d’expert-e-s (8) s’est réuni pour pousser plus loin la réflexion sur ce que pourraient être les fondements de la pédagogie de l’espoir, une approche qui reste à inventer. Les membres du comité en sont rapidement venus à la conclusion que la question à la base du colloque était peut-être mal posée et que l’on aurait plutôt dû se demander : « Comment construire l’avenir avec les jeunes ? ». Après deux journées de conférences et d’ateliers sur les façons de parler d’avenir aux jeunes, un élément faisait consensus : l’apprentissage se fait par l’action. En éducation pour un avenir viable, ce constat est encore plus frappant. C’est par l’action concrète que les jeunes peuvent ressentir le pouvoir de changer les choses, de donner un sens à la vie, à leur vie. Heureusement, le Québec compte des groupes, des associations et des organismes qui font des choses formidables pour sensibiliser les jeunes aux questions environnementales et sociales et surtout, pour les encourager à s’engager pour un monde meilleur. Les écoles fourmillent d’activités en éducation pour un avenir viable et les jeunes s’y intéressent et y participent.

Un autre élément faisait l’unanimité : il faut faire confiance aux jeunes, leur donner la parole, les écouter, les reconnaître et les valoriser. Les jeunes partagent les mêmes craintes que les adultes quant à l’avenir de la planète, les mêmes incertitudes. L’importance des liens humains prend tout son sens dans ce contexte. Un jeune doit pouvoir s’appuyer sur un adulte en qui il-elle a confiance et cette confiance doit être réciproque.

Réhabiliter l’espoir pour changer le monde…

La pédagogie de l’espoir reste à inventer. Le colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ? a permis de poser les premiers jalons de cette nouvelle et nécessaire approche multidisciplinaire. L’époque dans laquelle nous vivons est marquée par l’imbrication de crises multiples et de problèmes planétaires qui souvent nous dépassent. Évitons de tomber dans le piège du cynisme, si présent de nos jours, et réhabilitons l’espoir !
Il faut du courage pour vouloir changer le monde, et surtout, il faut y croire. Les jeunes y croient, croyons-y aussi et aidons-les à cultiver l’espoir d’un monde meilleur. « L’utopie, c’est la réalité de demain », disait Victor Hugo…

Crédit photo : Les Établissements verts Brundtland de la CSQ

Notes

(1) Richard Kool et Elin Kelsey, Affronter le désespoir : les conséquences psychologiques des questions environnementales, conférence présentée au 3e Congrès mondial sur l’éducation à l’environnement, à Turin, en Italie, en octobre 2005.

(2) Le colloque s’inscrivait dans le contexte de la 6e édition du Carrefour de la citoyenneté responsable, sous la présidence d’honneur de la Commission canadienne pour l’UNESCO, en collaboration avec Recyc-Québec, Oxfam-Québec et sa division jeunesse, le Club 2/3, l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec, la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants, ainsi que la Biosphère d’Environnement Canada.

(3) Les actes du colloque ainsi que plusieurs documents de référence, incluant l’article de Kool et Kelsey et les résultats du sondage sur les attitudes des jeunes à l’égard de l’environnement et de l’avenir, se trouvent sous l’onglet « Carrefour de la citoyenneté responsable » du site [www.evb.csq.qc.net].

(4) Les résultats préliminaires du sondage peuvent être consultés dans les actes du colloque, sous l’onglet « Carrefour de la citoyenneté responsable » du site [www.evb.csq.qc.net].

(5) D. Sobel, Beyond ecophobia : Reclaming the heart in nature éducation, Orion, 1995 (cité dans Kool et Kelsey).

(6) A. Bandura, Autoefficacité : le sentiment d’efficacité personnelle, Freeman and Company (2003), cité dans D. Pruneau, « Développer l’autoefficacité collective pour cultiver l’espoir, en éducation à la viabilité », dans les actes du colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ?, 2009.

(7) C. Genest, La résilience des familles endeuillées par le suicide d’un(e) adolescent(e), conférence du CRISE, dans T. Baribeau, actes du colloque Comment parler d’avenir aux jeunes ?

(8) Voir la « Déclaration du Collectif pour une pédagogie de l’espoir », sous l’onglet « Carrefour de la citoyenneté responsable », dans le site [www.evb.csq.qc.net].



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