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Une force méconnue : le corps enseignant issu de l’immigration

Rachel Saintus-Hyppolite

Enseignante en soutien linguistique à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) L’autrice s’exprime à titre personnel

Les écoles montréalaises recèlent une grande diversité culturelle, on le sait. Il n’y a qu’à regarder les cours d’école pour le savoir. Les statistiques de la population étudiante des différentes commissions scolaires montréalaises le prouvent aussi. À la CSDM, 26,5 % des élèves sont nés à l’étranger à la formation générale des jeunes (1), et si on inclut les jeunes nés au Québec d’un ou deux parents étrangers, on monte à 48%. Ce nombre va jusqu’à 71 % à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB) (2). Or, si les classes sont de plus en plus diverses, le corps enseignant l’est beaucoup moins. Peu de statistiques existent à ce sujet pour vérifier et chiffrer ce phénomène. Comme enseignante au primaire et au secondaire à Montréal depuis 2008, il me frappe de constater ce manque. La majorité des collègues que j’ai eus au fil des ans sont des francophones d’origine canadienne-française, ce qui est peu étonnant, mais fait contraste avec les chiffres nommés plus haut. Dans les deux écoles où j’enseigne, situées dans le sud-ouest de Montréal, il y a une proportion inconstante des enseignant-e-s issu-e-s de la diversité culturelle montréalaise (dans l’une, environ le quart du personnel ; dans l’autre, un nombre très faible). L’accompagnement d’élèves allophones en est d’autant plus riche… et ce fait devrait être plus répandu. En particulier, pour l’apprentissage de la langue française, cette diversité amènerait des pratiques qu’on apprend en enseignement des langues secondes, et qu’un-e professeur-e d’une culture autre que la dominante comprend instinctivement, mais qui est plus difficile à conceptualiser pour un-e professeur-e « de souche ».

Plusieurs facteurs sont très importants pour mener une éducation multiculturelle et plurilingue réussie. Une des plus centrales est la conviction de la force de la culture d’origine de l’élève. Grâce à celle-ci, l’apprenante ou l’apprenant peut analyser et comprendre la culture d’accueil en s’y appuyant, même en milieu scolaire.

L’empathie est aussi une valeur importante qui doit être déployée avec tous les élèves, peu importe le milieu. On s’attend du personnel scolaire en général qu’il manifeste cette qualité. Il est cependant beaucoup plus facile d’avoir de l’empathie pour une situation dont on est plus proche ou qu’on connaît plus intimement. Ainsi, les interventions pour faciliter la vie des élèves en est bonifiée par le vécu du personnel.

Par exemple, dans une des écoles où j’enseigne, quatre des sept professeures d’accueil sont nées à l’étranger ; de ce nombre, trois n’ont pas le français comme langue maternelle. Outre les avantages évidents, comme la capacité de traduire certains propos dans la langue de plusieurs de leurs élèves, il est aussi beaucoup plus simple de comprendre la lenteur d’adaptation au système scolaire et à l’apprentissage d’une langue lorsqu’on l’a soi-même vécu ou qu’on a vu ses propres enfants se débattre dans le système qui leur étaient inconnu. Il est aussi plus aisé de construire un lien lorsqu’il est évident qu’on vient peut-être « d’ailleurs » et de raconter aux élèves des parcours migratoires différents.

Plusieurs de mes élèves m’ont demandé au fil des ans mes origines, le fameux « d’où viens-tu ? ». Je me fais un devoir de préciser que je suis née à Montréal, même si mes parents, eux, viennent d’Haïti ; c’est une façon pour moi de démontrer que « l’ailleurs » peut aussi ressembler à « ici ».

L’empathie face à la relative lenteur des apprentissages d’une langue seconde devrait être le rôle joué par les professeur-e-s issu-e-s de l’immigration. Or, il est dommage de constater qu’on ne nous permet pas de le jouer, ni que cette voix soit écoutée. On se retrouve encore dans une situation où l’autre semble incompréhensible et inaccessible, alors qu’il pourrait l’être moins si on utilisait cette ressource qu’est cette présence des professeur-e-s issu-e-s de l’immigration. Dans l’idéal, pour atteindre ce but, il faudrait plus d’étudiant-e-s des populations visées dans les programmes des facultés d’enseignement.

La force du nombre influera sûrement sur cette donnée dans cinq ou dix ans. En attendant, j’invite le personnel scolaire à s’informer sur les réalités migratoires auprès de gens qu’ils côtoient tous les jours : leurs collègues issus de l’immigration.

Crédit photo : Jean-François Brière

Notes

(1) Commission scolaire de Montréal, « La CSDM en chiffres » : http://csdm.qc.ca/csdm/la-csdm-en-chiffres/élèves [page consultée le 12 août 2018].

(2) BAKHSHAEI, Mahsa. La scolarisation des jeunes issus de l’immigration : un diagnostic, Fondation Chagnon, 2014, p. 11.



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